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teur d'un permis de chasse, il tient de l'art. 9 de la loi de 1844 et des conventions arrêtées entre lui et Adam, le droit de chasse à tir et à courre dans le bois de Poilly; il a chassé à la traque mais ce n'est pas là un mode prohibé. La Cour de cassation a depuis longtemps jugé que la chasse avec traqueurs n'est qu'un mode particulier de la chasse à tir et que dès lors elle est licite en vertu de l'art. 9 de la loi de 1844. (Rés. 29 novembre 1845. ) En appliquant à Saintanne l'art. 2 § 2 de cette loi, le tribunal a voulu punir une violation de la propriété d'autrui. Mais cette violation existe-t-elle ? Le deuxième alinéa de l'art. 2 de la loi de 1844 porte « qu'il n'aura « la faculté de chasser sur la propriété d'autrui sans le consentement du proprié << taire. » L'art. 9 s'exprime aiusi : « Le permis donne droit de chasse... sur ses pro« pres terres et sur les terres d'autrui avec le consentement de celui à qui le droit de «< chasse appartient. » Et comme sanction de ces dispositions favorables à la propriété, la loi prononce dans le § 2 de l'art. 2, une peine contre ceux qui auront chassé sur le terrain d'autrui sans le consentement du propriétaire. L'esprit de la loi est manifeste, elle ne veut pas qu'on puisse entrer avec des armes sur le terrain d'autrui, contre le gré du propriétaire, au risque d'y troubler celui-ci et de le trouver lui-même en arme, pour y atteindre un gibier qu'il poursuit peut-être ou qu'il veut ménager. On conçoit qu'une peine soit prononcée contre le chasseur téméraire qui ne s'arrête pas à la limite du champ d'autrui, quand il n'a pas l'autorisation d'y pénétrer, et ce qui prouve qu'on a voulu surtout, dans les premiers alinéas du § 2 de l'art 2 punir une violation du droit de propriété, c'est la teneur des deux autres alinéas: la peine pourra être portée au double si le délit a été commis sur des terres non dépouillées de leurs fruits, etc.. Le § 2 de l'art. 2 suppose évidemment qu'un chasseur s'est introduit sur le terrain d'autrui sans autorisation. Mais est-ce que Saintanne était dans ce cas ? Il était dans le bois d'Adam, du consentement de ce dernier; il y était avec des amis, des chasseurs qu'il avait amenés du consentement du propriétaire qui lui en avait formellement concédé la faculté.

Mais, dit le jugement, le consentement était limité. Saintanne ne pouvait faire de traque ni de battue sans une autorisation spéciale d'Adam; il a chassé à la traque sans se pourvoir de cette autorisation; donc il a chassé sans le consentement du propriétaire. Ce raisonnement nous semble erroné! nous venons de montrer que Saintanne n'a pas violé la propriété d'autrui, il a seulement enfreint une des clauses de son bail. Est-ce là un délit? La loi l'eût-elle dit, qu'on ne pourrait s'empêcher de le regretter vivement en pensant au nombre infini de délits de chasse qu'elle aurait créés et de procès qu'elle aurait suscités. Mais la loi n'a rien dit de pareil: elle n'a pas voulu assurément ériger en délit la violation de chacune des clauses que peuvent introduire dans un bail la liberté et le caprice des parties! Quand ces clauses n'auront pas été respectées et qu'il y aura dommage, il pourra y avoir lieu à une action civile mais rien de plus. Voilà la règle générale, et ce qui le démontre jusqu'à l'évidence, c'est que la loi elle-même a fait une exception à la règle dans le § 5 du même article. Il y a, en effet, certaines propriétés que la loi protége d'un façon spéciale parce qu'elles sont une partie de la fortune publique ce sont les bois soumis au régime forestier et les propriétés dont la chasse est louée au profit des communes ou établissements publics et une peine est prononcée contre les fermiers de la chasse dans les propriétés qui auront contrevenu aux clauses et conditions de leurs cahiers de charge relatives à la chasse.

Mais le caractère exceptionnel de cette disposition est assez connu.

L'art. 17 du Code forestier contenait déjà la clause suivante : « Toute contraven<«<tion aux clauses et conditions du cahier des charges, relativement au mode d'a« battage des arbres et au nettoiement des coupes, sera punie d'une amende, etc. » Avant la loi de 1844, les contraventions des fermiers de la chasse aux clauses de leurs cahiers des charges ne donnaient lieu qu'à des réparations civiles. Si le système de

jugement attaqué était admis, le §. 2 de l'art. 11 suffirait pour atteindre les fermiers en faute. Mais le législateur ne l'a pas pensé et se plaignant (voir exposé des motifs de la loi du 3 mars 1844) que l'administration forestière fút jusque-là entravée par les for malités qu'entraînent les procès devant la juridiction civile, il a introduit dans l'art. 11 le § 5, en disant qu'il était nécessaire de punir comme des délits des faits qui peuvent compromettre la fortune publique. On s'expliquerait que la loi fit une mention spéciale des propriétés énumérées dans le § 5, si elle prononçait contre ce nouveau délit une peine plus forte, que celle portée par le § 2 ;mais que l'on remarque bien que cette disposition, venant après le § 2, est contenue dans le même article, et que la peine est la même dans les deux cas. On ne mentionne donc spécialement ces propriétés que parce qu'on a voulu établir un privilége en leur faveur. Il n'y a pas à craindre que cette création d'un nouveau délit donne lieu à ces innombrables procès correctionnels qui découleraient du § 2 de l'art. 11 tel que l'interprète le jugement attaqué; car les cahiers des charges, dont la loi protége les clauses, sont préparés par l'autorité publique, et le législateur prévoyait qu'on n'y inscrirait jamais que des conditions sérieuses et dignes d'être sanctionnées par la justice. Mais les baux entre particuliers n'ont pas droit à la même protection. Si l'action des propriétaires est entravée par les formalités qu'entraînent les procès devant la juridiction civile, ce n'est peut-être pas un mal, ou du moins ce n'en est pas un assez grave pour que le législateur ait voulu changer en délit et frapper d'une peine la moindre infraction aux conventions arrêtées entre deux particuliers. Les tribunaux civils suffiront pour protéger la propriété privée contre les atteintes de cette nature.

Le jugement attaqué s'appuie d'un arrêt de la Cour de cassation du 20 février 1847 qui aurait déclaré le § 2 de l'article 11, applicable aux faits prévus par le § 5. Les circonstances particulières du procès soumis à la Cour suprême ferait probablement connaître pour quel motif cette cour a visé le § 2 et non le § 5 de l'art. 11. Le fermier avait sans doute non-seulement chassé à la traque sans autorisation, mais encore mené avec lui plus de chasseurs que le bail ne le permettait et on pouvait lui reprocher d'avoir chassé ou du moins fait chasser ses compagnons sans l'autorisation du propriétaire. On ne peut pas adresser le même reproche à Saintanne qui a le droit de mener avec lui autant de chasseurs que bon lui semble. Si ce n'est pas ainsi que doit s'expliquer l'arrêt du 20 février 1847, nous avouons ne pas comprendre pourquoi la Cour a visé exclusivement le § 2 et non le § 5 de l'art. 11. Au surplus, la même question s'est présentée une seconde fois devant la Cour de cassation (arrêt du 25 mai 1855, p. 175) qui a appliqué le § 5 et n'a pas même visé le § 5.

Dans ces circonstances, nous estimons qu'il y a lieu de faire droit au double appel interjeté par le préveuu et le ministère public, et d'infirmer le jugement du tribunal de Tonnerre.

Ce système a été de nouveau développé devant la Cour, par M. l'avocatgénéral DEVALLÉE et par Me O. FALATEUF, avocat de M. Saintanne. Mais la Cour, après avoir entendu M° MILLION, avocat de M. Adam, a rendu l'arrêt suivant :

La Cour:

Considérant que le bail consenti par Adam à Saintanne, porte expressément que Saintanne n'aura pas le droit de faire des battues ou traques sans l'autorisation d'Adam.

Considérant qu'Adam a affirmé devant la Cour n'avoir jamais accordé, même verbalement, cette autorisation à Saintanne;

Adoptant au surplus les motifs des premiers juges;

Met l'appellation au néant;

Ordonne que ce dont est appel sortira son plein et entier effet;

Condamne Saintanne aux dépens.

A. SOREL, avocat à la Cour impériale.

NOUVELLES ET FAITS DIVERS.

On écrit de Bourneville, le 19 mai, au Courrier de l'Eure: Une bande de loups et de louveteaux a élu domicile, depuis plusieurs semaines, dans le bois dit de Fécamp, sur les communes de Vieux-Port, Aizier et Sainte-Croix-sur-Aizier, et déjà les déprédations commises par ces hôtes dangereux ont jeté l'émoi dans les populations.

L'audace de ces animaux est telle qu'on en a vu quelques-uns rôder, à la tombée de la nuit, près des habitations et autour des étables. On raconte que des chiens ont été dévorés dans une ferme, et que leurs ossements ont été retrouvés dans la cour même de leurs maîtres. Voici un fait dont je puis vous garantir l'authenticité, et qui peut donner la mesure des instincts voraces et malfaisants qui animent ces dangereux rôdeurs :

Il y a quelques jours, un sieur Poulain, ancien capitaine de navire, retiré au Vieux-Port, s'occupait à jardiner dans un enclos. La nuit arrivait et il se disposait à rentrer chez lui, quand il aperçut à vingt pas un animal s'avançant lentement et dans lequel il reconnut une louve que suivait son louveteau. Le sieur Poulain s'arme d'une fourche; mais, pendant qu'il se met en défense, la louve pousse un cri auquel répondent d'autres hurlements partis de la forêt voisine, et quelques instants après trois autres loups se montrent à une certaine distance. La situation se compliquait et le sieur Poulain, quoique brave, songe qu'il est prudent de battre en retraite. Il s'élance sur la louve qui semblait vouloir lui barrer le passage, lui assène un vigoureux coup de fourche qui l'envoie rouler à dix pas. La bête blessée se relève, poussant un rugissement de douleur et s'enfuit avec son louvard.

Des habitants ont pu, le lendemain, suivre les traces sanglantes de la louve jusqu'au bois où elle s'était réfugiée; mais ils n'ont pas, faute d'armes, osé y pénétrer. On assure que l'autorisation de faire une battue va être demandée à l'autorité.

Un de nos abonnés nous signale un cas de retard extrêmement rare dans la gestation des lices: Une chienne courante, à lui appartenant, n'a mis bas que le soixante-dixième jour, c'est-à-dire qu'elle a porté dix semaines entières, au lieu de neuf, qui est le terme ordinaire de la gestation chez l'espèce canine. Elle n'a fait que quatre petits. Du reste, la mère et les enfants se portent bien.

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SOCIÉTÉ DES CHASSES A TIR DE BONDY. L'aliénation de la forêt de Bondy, qui va être distraite du régime forestier pour être remise au domaine de l'État chargé d'en opérer la vente au profit du Trésor, va forcément, cette année, vouer tout le gibier de cette chasse, si bien aménagée jusqu'ici, à une destruction complète. La société des chasses à tir se réorganise en ce moment sur des bases nouvelles et avec un règlement particulier, dont on peut prendre connaissance au bureau du Journal des Chasseurs. Le relevé des chasses de la saison dernière, 1859-60, accuse un total de 2,500 pièces, au nombre desquelles figurent 571 faisans et 322 lièvres. Ce printemps, 100 faisans (20 coqs et 80 poules) ont été remis en forêt, ce qui, avec les ressources naturelles du sol, promet pour la saison prochaine, 1860-61, une chasse des plus agréables et des plus belles. Il ne reste plus que quelques actions à prendre.

L'un des Directeurs, Rédacteur en chef: LEON BERTRAND.

Paris. Imp, L, Tinterlin, rue Neuve-des-Bons-Enfants 3.

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MES CHASSES EN ABYSSINIE

PAR A. VAYSSIÈRES.

SECOND VOLUME.

CHAPITRE III.

LES CYNOCEPHALES.

Nous vîmes chez M. D... un Anglais établi depuis plus de quarante ans en Abyssinie, où il a joué un rôle bigarré de bonne et de mauvaise fortune. Ce singulier personnage a nom Caffin.

Midshipman à bord d'un navire de la compagnie des Indes, il suivit Salt dans son voyage, et entama l'Abyssinie par la route qui part d'Amphilah et monte vers Antalon, la capitale de l'une des provinces du Tigré, en traversant la plaine de Sel. Séduit par la vie facile, l'indépendance absolue et la beauté du pays, l'élève de marine fit comme les compagnons d'Ulysse et oublia sa brumeuse patrie.

En renonçant à la terre natale, Caffin renonçait aussi aux habitudes de l'Européen, et devint bientôt aussi complétement Abyssin que possible. Il désapprit jusqu'à sa langue, et il ne parle plus au. jourd'hui qu'un inintelligible jargon dans lequel s'amalgament, au mépris de trois ou quatre grammaires, l'anglais, l'indoustan, l'arabe et le tigréen; en un mot, il n'a gardé de John Bull que la

TOME XXIX.

2° SEMESTRE 1860.

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manie innocente de raconter sans cesse comme quoi il reçut le baptême du feu dans je ne sais plus queile bataille navale.

Attaché à la fortune de Sébagadis, le chef aimé dont les populations tigréennes révèrent encore la mémoire, Caffin guerroya longtemps pour le compte de ce prince, et Dieu sait combien, à l'entendre, sa carabine aurait expédié de guerriers abyssins. En se donnant la peine de songer un peu aux suites d'une telle destruction, on arriverait vite à ce résultat que le Habersch doit être depuis longtemps complétement dépeuplé. Il en est à peu près de même des éléphants et des lions tués par lui.

Sébagadis lui donna en fief quelques villages dont Antichaon est le plus important; le schoum écossais put jouer au baron du moyen âge et mener à la bataille le ban et l'arrière-ban de ses domaines, composé de quelques centaines de coquins en guenilles, et de deux ou trois fois autant de femmes qui jouent dans les combats le même rôle que le choeur dans les tragédies antiques, insultant les fuyards, célébrant chaque coup de lance, consacrant une strophe à la mémoire de chaque brave mort d'une blessure reçue par devant.

Malheureusement, la gloire de Sébagadis passa comme toutes les choses de ce monde. Ses enfants furent dépouillés de leur héritage par Oublié, petit chef des Sémens, qui, à défaut des qualités de l'homme de guerre, possède au plus haut degré l'astuce et la mauvaise foi qui font les hommes d'Etat. Caffin, enveloppé dans le désastre des princes qu'il servait, fut réduit à la plus affreuse misère. A grand'peine parvint-il à échapper au supplice.

Mais tous les siens ne furent point aussi heureux. Marié à quatorze femmes, successivement, bien entendu, - et père de toute une tribu d'enfants, le schoum anglais eut la douleur de voir un de ses fils tomber au pouvoir d'Oublié, qui le fit mourir en prison.

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Dans l'espoir de recommencer sa fortune, notre homme imagina de retourner eu Angleterre. Afin de ne point se présenter les mains vides, maxime qu'en Abyssinie tout solliciteur ne doit jamais perdre de vue, Caffin se mit à ramasser des cornes de toute espèce: cornes de bœufs gallas de dimensions gigantesques, cornes d'antilopes de vingt variétés, cornes de rhinocéros, et même de moutons et de chèvres, rien ne fut oublié dans cette collection qu'il comptait offrir, sait-on à qui? à la reine Victoria ellemême !

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