Page images
PDF
EPUB

Code pénal, le législateur n'a donc point entendu un délit exclusivement moral, mais un fait passible d'une peine que les tribunaux correctionnels seuls peuvent prononcer.

Il ne faut donc pas légèrement flétrir une législation sur la foi de quelques-uns de ses termes; et en adoptant même l'idée hypothétique que nous avons rappelée, faudrait-il en tirer les conséquences qu'on en a déduites? Sans doute le législateur ne doit pas puiser le caractère du fait dans la mesure arbitraire et matérielle de la peine; mais ne peut-il pas commencer par mesurer cette peine sur la valeur intrinsèque des actions? Ne lui sera-t-il pas permis alors de la prendre pour base de ses divisions? Et comment, dans ce cas, pourriez-vous juger, à l'ouverture du Code et sur cette simple division, de l'esprit du Code entier?

Cependant la division des actions tracées par l'article 1, n'est pas à l'abri de toute critique.

Parmi les actions punissables, il n'existe qu'une seule division qui soit vraie, parce qu'elle est puisée dans leur nature. En effet, les unes prennent leur criminalité dans la moralité du fait, dans l'intention de l'agent on les appelle crimes ou délits. Les autres ne sont que des infractions matérielles à des prohibitions ou à des prescriptions de la loi; elles existent par le seul fait de la perpétration ou de l'omission, et indépendamment de l'intention de l'agent. Ce sont

les contraventions. Voilà la division la plus naturelle des actions punissables; elle est à l'abri de l'arbitraire et du caprice des législateurs; car les législateurs ne sauraient modifier le caractère des faits.

On la retrouve à peu près dans plusieurs Codes étrangers. Nous citerons le Code pénal d'Autriche, qui ne divise les offenses qu'en deux classes : les délits et les graves infractions de police (1). Nous citerons encore le projet de Code pénal de la Louisiane de M. Livingston, qui a adopté une division à peu près semblable; il sépare les offenses en deux catégories, les crimes et les infractions (2).

Le droit romain avait divisé les crimes en capitaux et non capitaux (3). De là, les divisions proposées par les anciens criminalistes, en atroces et légers, simples, et qualifiés, directs et indirects (4). De là la division du Code pénal en crimes et délits. Le premier inconvénient de cette classification, c'est d'être évidemment arbitraire. Car qui posera la borne où cesse le délit, où commence le crime? Quelle est la circonstance qui ôtera subitement ou restituera à un fait le caractère

(1) Code pénal général d'Autriche, traduit par M. Victor Foucher, art. 2 et suiv.

(2) By the first division, all offences are either crimes or misdemeanors, art. 76. Code of crimes and punishments.

(3) 52, instit. de publ. jud., liv. 2, ff. eod. tit.

(4) Muyart de Vouglans, tit. 1, par. 12.

TOM. I.·.

3

de crime? Les faits qualifiés crimes ou délits étant de la même nature, reposant également sur une infraction morale, il ne s'agit que du plus au moins, que d'un degré dans le péril de l'action ou son immoralité. Nous eussions préféré la dénomination de délits graves ou légers; au moins le genre est le même; la spécification seule les distingue.

S'il fallait une preuve du caractère identique qui lie ensemble les crimes et les délits, nous la trouverions dans ce fait, que le législateur n'a pu les classer dans deux livres distincts, comme il l'a fait à l'égard des contraventions. Le Code pénal de 1791 avait tenté cette division: elle était impossible. Un fait parfaitement identique, s'il est considéré sans acception de personnes, peut changer de classe selon, par exemple, qu'il a été commis par un fonctionnaire public ou par un simple particulier, ou selon qu'il a été commis contre des magistrats ou d'autres personnes; comment disséminer dans différens titres des faits de même nature quoique d'une intensité différente? Pourquoi le même chapitre n'embrasserait-il pas le faux commis dans un testament et celui commis dans un passe-port? Ce qu'il importe, c'est que les infractions soient punies en raison de leur gravité, mais il est utile qu'on puisse embrasser du même coup d'œil tous les délits de la même nature. Le Code pénal n'a donc fait que céder à la force des choses en réunissant des faits dont les rapports étaient visibles et qui tendaient à se confon

dre. Son tort a été d'essayer d'élever entre les mêmes faits une barrière factice qui n'a d'autre fondement qu'une arbitraire volonté.

L'art. 1er du Code pénal a une assez grande impor tance dans l'application, par cela même qu'il détermine le caractère du fait d'après la nature de la peine infligée. Il en résulte cette heureuse cons quence, que les faits poursuivis prennent leur véritable caractère dans la condamnation dont ils sont l'objet ; ainsi le fait que le ministère public poursuit comme crime où comme délit, et qui est reconnu aux débats n'avoir d'autre caractère que celui d'un délit ou d'une contravention, est considéré comme n'ayant jamais eu que ce dernier caractère : ce principe a reçu une féconde application dans les matières de récidive, de prescription ou d'excuse à raison de l'âge (1).

Un autre corollaire du même principe, c'est qu'aucune action ne peut être poursuivie si elle n'a pas les caractères d'un crime, d'un délit ou d'une contravention. Nous aurons plus d'une occasion d'appliquer cette règle élémentaire, qui va d'ailleurs recevoir son développement dans le chapitre suivant.

(1) Voyez nos chapitres 7 et 10.

CHAPITRE II.

Suite des dispositions préliminaires. Application des Lois pénales. Effet rétroactif. Art. 4 du Code pénal.

Nous continuons l'examen des dispositions préliminaires du Code. Après avoir remonté aux principes des lois pénales, nous sommes amenés à nous occu→ per des règles de leur application.

);

Il est de principe, que la loi n'est exécutoire que du jour où la promulgation en est réputée connue cette règle qui, dans la législation actuelle, ne reçoit qu'une insuffisante application (2) est en elle-même hors de toute atteinte. Or, sa conséquence nécessaire est que la loi ne peut avoir d'effet rétroactif : c'est la disposition textuelle de l'art. 2 du Code civil. « Si les lois pouvaient rétroagir, a dit M. Toullier (3), il n'y aurait plus ni sûreté ni liberté. La liberté civile con

(1) Art. 1 du Code civil.

(2) Ordonn. du 27 novembre 1816.

(3) Droit civil français, tom. 1", pag. 76.

« PreviousContinue »