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PRESERVATION
REPLACEMENT
REVIEW 3/9/81
SD no funds

AP20 R34 183613

36759

513

DERNIÈRE PARTIE (1).

XVII.

Les premières journées qu'Hélène passa à Paris, dans un pe hôtel de la rue du Bac dont Simonne lui avait donné l'adresse, rent comme un cauchemar plein de transes et de folles terreu Elle s'imaginait que M. de La Roche-Élie était capable de la fa rechercher par la police, et n'osait sortir. L'hôtel, aux chamb d'une propreté douteuse, semblait mal habité; elle s'y sentait butte à une curiosité malveillante, et, pour elle, habituée dep l'enfance à une vie confortable, ce séjour, dans une maison me blée de quatrième ordre, ce voisinage d'hôtes bruyans et équiv ques, étaient un supplice de tous les instans. Elle ne mangeait ne se couchait qu'avec répugnance, et, quand elle s'endormait d' sommeil craintif, elle était réveillée en sursaut par de soudain paniques qui la tenaient pendant des heures tremblante et les ye fixés sur la porte, dont elle croyait voir la serrure céder sous u pression du dehors. Ajoutez à cela l'incertitude du lendemain et peur de se trouver, un matin, sans argent, dans cette grande vi où elle se savait isolée comme au fond d'un désert. Au milieu ces heures d'angoisse, la première éclaircie qui la rasséréna un p fut un billet de Philippe, plein de protestations d'amour et de p

(1) Voyez la Revue du 15 mars, du 1er et du 15 avril.

roles d'espoir. Il avait vu Simonne et il avait appris, par elle, dans quelles conditions la jeune femme avait dû quitter l'hôtel de La Roche-Élie. En quelques mots très tendres, il exprimait à Hélène combien il regrettait d'avoir si cruellement troublé son repos. Pour ce qui était de lui, les choses s'étaient arrangées beaucoup mieux qu'il ne s'y attendait: personne ne se doutait qu'il fût le héros de l'aventure dont la ville s'entretenait déjà tout bas, et son élection paraissait certaine. Dans quelques semaines, il serait à Paris, aux pieds de celle qu'il aimait plus passionnément que jamais...

Comme une joie n'arrive jamais seule, peu de temps après l'envoi de ce billet, Hélène reçut, par l'entremise de M. Tiffeneau, la notification des résolutions prises à son sujet par M. de La Roche-Élie. - La réflexion et les conseils de quelques amis avaient calmé les premières exaspérations de Sosthène. Il avait compris qu'il ne pouvait traîner son nom de magistrat devant les tribunaux, et qu'il était de son intérêt d'étouffer au plus vite cette scandaleuse histoire dont on parlait déjà trop. Il avait renoncé à demander une séparation. judiciaire, et, afin d'éviter tout prétexte à discussion, il consentait amiablement à restituer à la coupable sa fortune personnelle, à la condition qu'elle ne reparût plus à Tours et qu'elle cessât de porter le nom de La Roche-Élie. Par le même courrier, M. Tiffeneau avisait Hélène que la somme de cent quarante mille francs, montant en capital et intérêts de sa dot et de la succession de sa mère, était déposée à Paris dans une maison de banque dont il lui envoyait l'adresse, avec toutes les pièces nécessaires au retrait des fonds.

C'était plus que la jeune femme n'avait osé espérer. Avec son ignorance des nécessités de la vie et son absolue insouciance de l'avenir, cette somme lui semblait une fortune inépuisable. Son indépendance lui paraissait assurée, elle était libre, et Philippe allait arriver. Elle voulut tout d'abord se préparer, dans un quartier éloigné du centre un nid confortable où elle aurait la joie de le recevoir. Sur ces entrefaites, Simonne, instruite du tour avantageux que prenaient les affaires de sa maîtresse, s'était empressée de la rejoindre à Paris. Avec son concours, Hélène procéda à sa nouvelle installation. Elle loua dans le quartier Monceau un petit appartement donnant sur des jardins; elle le meubla coquettement, dépensant sans compter et se laissant aller étourdiment à son goût des choses élégantes et coûteuses. Le hasard voulut qu'elle habitât dans le voisinage d'une de ses anciennes amies des Aigues, miss Walford. La jeune miss avait épousé un fonctionnaire du gouvernement anglais aux Indes, mais elle s'était bien gardée de suivre M. Higginson à Calcutta, et elle s'était établie à Paris, en attendant le retour prochain de son seigneur et maître. La connaissance

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fut rapidement renouée, et la jolie Anglaise introduisit Hélène dans son cercle intime : une société d'oisifs et de mondains, composée surtout d'élémens appartenant à la colonie américaine et russe, qui campe sur les hauteurs des Champs-Élysées. Cette société riche, aimable, un peu excentrique, avait un caractère tout particulier : — on n'y rencontrait guère que des femmes sans maris, et les maris qui la fréquentaient n'y amenaient jamais leurs femmes. - On s'y amusait beaucoup du reste, on y était fort tolérant et on ne s'y inquiétait pas trop du passé des gens, pourvu qu'ils eussent un nom sonore, l'usage du monde, et les apparences de la fortune. Hélène se trouva insensiblement mêlée aux plaisirs de ses nouvelles relations promenades au bois, soirées au Cirque ou à l'Opéra, lunchs, concerts, elle goûta un peu de tout, cherchant ainsi à tromper son impatience et à remplir les jours qui la séparaient encore de l'époque où Philippe arriverait à Paris. — Une après-midi, à la sortie d'une vente de charité qui réunissait la société aristocratique parisienne et la fleur du panier de la société étrangère, elle se retrouva face à face avec Delphine de Boiscoudray.

Delphine se montra tout d'abord bonne personne; elle tendit la main à son ancienne protégée, se félicita de l'heureux hasard qui les réunissait, et lui offrit de la ramener dans sa voiture. Dès qu'elles furent en tête-à-tête dans le coupé, les questions commencèrent. Avec sa voix prétentieusement enfantine, la comtesse, qui touchait maintenant à la quarantaine, lui demanda de l'air le plus innocent du monde :

- Qu'est-ce qu'on m'a donc raconté, chère petite?.. Est-il vrai que vous soyez brouillée avec votre mari?

C'est vrai, répondit brièvement Hélène en rougissant.

Oh! ne prenez pas cette mine confuse... M. de La Roche-Élie n'est pas aimable, et je comprends que vous n'ayez pu l'aimer... Seulement, laissez-moi vous le dire avec la franchise d'une véritable amie, vous avez eu tort de pousser les choses à cette extrémité... Une femme bien née, ma chérie, doit toujours sauver les apparences et éviter un éclat... Mon Dieu, je ne suis pas rigoriste et j'excuse les faiblesses du cœur... Nous autres, quand amour nous tient, adieu prudence!.. J'admets qu'on ait un amant, mais...

Dupée par les airs de fausse bonne femme de la comtesse, Hélène ne vit pas le traquenard qu'on lui tendait, et avec son impétuosité ordinaire, elle s'écria étourdiment en interrompant Delphine :

- M. de Préfaille n'est pas mon amant!.. Mme de Boiscoudray lui lança un regard dur

མསམ།ཕ་ ཅཔས

Rassurez-vous, madame, personne ne l'a vu chez moi, et les soupçons de M. de La Roche-Élie se sont portés ailleurs...

N'importe, ma chère, c'était une grande imprudence... Philippe a sa fortune à refaire; il ne peut la rétablir que par un beau mariage, et si vous avez quelque affection pour lui, il faut le lui prouver en ne l'aimant pas en égoïste!

La physionomie et les façons de la comtesse étaient devenues. glaciales. Elle avait été ressaisie par une sorte de jalousie rétrospective, et d'ailleurs elle avait des projets sur Philippe, qu'elle voulait marier richement. Aussi, lorsqu'elle quitta Hélène, elle lui était devenue manifestement hostile. Loin de l'engager à la venir voir, elle lui fit malignement comprendre qu'il lui était difficile, aux yeux du monde, d'approuver sa conduite et qu'elle regrettait de ne pouvoir reprendre les relations d'autrefois...

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La jeune femme rentra chez elle troublée et mortifiée. Mais une lettre de Philippe qu'elle trouva sur sa table dissipa vite ce nuage d'inquiétude. L'élection avait eu lieu; M. de Préfaille était nommé à une grande majorité et il comptait arriver à Paris le surlendemain. Elle ne songea plus qu'à la joie de le revoir et elle remplit de fleurs son petit appartement pour fêter la venue de l'ami si longtemps attendu.

Il apparut enfin, souriant, rajeuni et embelli encore par son récent triomphe, et elle se jeta dans ses bras, sans remords, sans arrière-pensée, sans aucune de ces hypocrites résistances et de ces marchandages en détail dont les femmes les plus aimantes croient souvent devoir assaisonner le don de leur personne. N'était-elle pas à lui déjà par la pensée depuis bien des années?.. Ne lui appartenait-elle pas corps et âme? Sa destinée était liée à la sienne; elle lui aurait volontiers crié comme Ruth à Noémi : « Ton Dieu sera mon Dieu et je serai ensevelie où tu le seras... » Les premières semaines qui suivirent leur réunion furent un temps de délices, une paradisiaque envolée vers le ciel de la passion sans nuages. Mais quand Philippe eut savouré la prime fleur de cette rare tendresse, quand il eut pleinement satisfait sa curiosité et qu'il eut vidé à grands traits cette coupe pleine de la liqueur sapide et capiteuse d'un amour jeune, enthousiaste et quasi virginal, il commença à se montrer plus calme et parla des devoirs que lui imposaient ses nouvelles fonctions.

Il pressentait qu'Hélène, avec tout l'exclusivisme des femmes aimantes et violemment passionnées, voudrait l'avoir tout à elle, comme elle se donnait toute à lui, et il craignait d'entraver sa car

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