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pas, le même tapage que les philosophes firent à cette époque, leurs successeurs et ayant - cause le feroient encore aujourd'hui, si quelque nouvel Aristophane représentoit sur nos théâtres, ces nouvelles nuées, qui ont apporté parmi nous tant d'orages et de tempêtes.

Parmi ces pièces indécentes, lâchées philantro piquement contre les prêtres, il en est deux surtout, qui, pour jamais, devroient disparoître de la scène: c'est celle de Fénélon et de Charles IX, enfans pervers et mensongers, nés aux jours de nos désastres et de nos convulsions, et tour paîtris dans la boue et le sang où nous étions alors plongés. La première, parce qu'elle déshonore la mémoire de l'illustre archevêque, en le peignant tel qu'il n'a jamais été, tel qu'il eût rougi d'être, c'est-àdire, comme le plus vil complice d'une intrigue amoureuse, un prédicant d'humanité et un cafard de bienfaisance; et parce que le but de l'auteur est de donner le change aux spectateurs, en leur persuadant, par cet hypocrite manège, que Fénélon fut seul, dans le clergé, sensible, humain et indulgent; et que, par conséquent, tous les prêtres qui ne se moulent pas sur ce portrait imaginaire, ne sont que des fanatiques et des intolé

rans.

La seconde, parce qu'en y peignant, contre la vérité de l'histoire, un cardinal comme assassin elle n'a que provoqué d'affreuses représailles. Et qui peut calculer jusqu'à quel point cette imposture théâtrale exalta toutes les passions et échauffa toures les têtes? Qui peut douter qu'elle n'ait préparé ces scènes de carnage, ces Saint-Barthélemy. nouvelles, plus déplorables, plus désastreuses encore que l'ancienne? Qui peut douter que tous les bandits ne se soient ralliés au son de la cloche

que fait sonner le dramaturge, comme autrefois les conjurés du 24 août se rallièrent au son de celle de l'horloge du Palais? Qui peut douter que les septembriseurs n'aient appris, dans la scène fabuleuse des poignards, à aiguiser leurs poignards mêmes? Et que dire donc de ces hommes qui n'ont pas craint de charger un tableau déjà si affreux par lui-même, qui se complaisent à être encore plus horribles que l'histoire, et à calomnier ainsi les morts pour mieux faire égorger les vivans?

Philosophes, nous vous proposons un marché d'autant plus généreux et plus honnête à votre égard, que vous y avez tout à gagner: ne parl plus des crimes de nos pères, si vous ne voulez plus que nous parlions des crimes de leurs enfans. Vous voulez qu'on oublie, et nous aussi : vous voulez qu'on pardonne; et nous encore plus, puisque le pardon est pour nous un précepte, er que pour vous il n'est pas même un conseil: mais soyez au moins prudens, si vous ne voulez pas être justes; n'affectez pas sans cesse de relever les malheurs dont la religion a été le prétexte, et que ses maximes condamnent expressément, si vous ne voulez pas que nous fassions justice de ceux dont la philosophie a été la cause, et que ses principes ont avoués formellement ; et songez que vos livres bien expliqués ont plus fait couler de sang pendant cinq années de révolution, que l'évangile mal entendu n'en a fait répandre pendant cinq siècles d'ignorance et de barbarie.

Les dramaturges anti-prêtres nous disent-ils que les prêtres ne sont pas la religion, et qu'ainsi on peut jouer les uns, sans compromettre l'honneur de l'autre c'est avec ce sophisme machiavélique qu'on a détruit la religion. Nous disent-ils qu'ils ne prétendent jouer que les mauvais prêtres ?

c'est ainsi qu'ils sont parvenus à rendre les bons odieux

Laissons donc les prêtres ; et s'il nous faut quel ques victimes à immoler au ridicule, jouons ces charlatans de toute espèce qui nous assiègent de toutes parts; ces pédagogues arrogans qui se croient nés pour régenter le genre humain, plus pédans et plus ridicules que n'a jamais été aucun docteur en fourure; ces nébuleux physiologistes, plus absurdes et plus ridicules encore que les nominaux et les réalistes du quinzième siècle; ces burlesques idéologues qui, à force de réduire toutes nos idées en sensations, finiront bientôt par résoudre nos devoirs en idées; ces disséqueurs de l'homme, qui suivent sa pensée à la piste jusques dans les viscères, et qui prétendent que l'art du syllogisme dépend des notions qu'ils ont acquises sur la circulation du sang; ces charlatans diététiques, mille fois plus risibles que Thomas Diafoirus, qui veu lent nous donner la vertu par la santé, et la morale par infusion. Jouons ces géomètres enthousiastes, intimement convaincus que sans le calcul infinitésimal, il n'y a pas plus de morale que de poésie, pas plus d'éducation que de constitution; ces cerveaux creux, dignes des Petites-Maisons, qui, après avoir refait l'homme, veulent encore refaire les états, et pensent très-sérieusement qu'on n'atteindra jamais la perfectibilité sociale, si chacun ne fabrique et ne porte dans sa poche un pacte social; ces fous incorrigibles, qui, après avoir tout perdu parmi nous, par leurs rêves et leurs abstractions, ne cessent point de soutenir que c'en' est encore fait de nous, sans leurs abstractions et leurs rêves. Jonons enfin ces femmes sophistes, plus ridicules que les femmes savantes, qui nous débitent, en style tudesque, une morale sibarite ;

cés romancières dévergondées, qui ne connoissent pas plus la mesure du goût que celle de la passion; ces commères politiques, qui, ne sachant pas arranger leur ménage, veulent se mêler d'arranger les empires. Voilà de quoi fournir un répertoire inépuisable à tous nos théâtres; voilà ceux qu'il faut livrer à la risée publique, et non ces honorables victimes de leurs devoirs, et non ces hommes recommandables à tant de titres, qui ont poli nos mœurs, créé notre langue, enrichi notre littérature des plus beaux chefs-d'oeuvre, fondé parmi nous les plus magnifiques établissemens dont puisse s'honorer l'humanité; et qui, enfin, après avoir, les premiers, civilisé la France, avoient tant contribué, par leurs lumières, à l'élever à ce haut degré de splendeur dont les philosophes étoient parvenus à la faire descendre, et auquel elle remonte chaque jour, en dépit des philosophes.

Puisse donc l'exemple du conseil - général de Lyon, être suivi de toutes les administrations françaises! Puisse son vœu être entendu par un gouvernement réparateur, qui, toujours d'accord avec lui-même, ne peut plus souffrir un scandale dont il n'y a nul exemple chez toutes les nations anciennes et modernes ; et dont l'effet immédiat, pour nous servir des expressions de ces vertueux administrateurs, est de sapper la morale par ses plus sacrés fondemens!

LES journaux ont rendu compte, il y a quelque tems, de l'inauguration du buste de Descartes, faite à la Haye, en Touraine, dans la salle même où il est né; et de la fête que le préfet du département d'Indre-et-Loire a donnée à cette occasion. Cet hommage, rendu à la mémoire de ce grand

homme, ne peut qu'honorer le magistrat qui l'a conçu ; de même que le panégyrique qu'il y a prononcé, ne peut que nous donner une idee avantageuse de son talent: mais il est fâcheux qu'il s'y soit plus occupé de la pureté de son style, que de celle de ses principes ; et qu'un homme public comme lui, n'ait pas assez senti qu'il doit bien moins craindre de pécher contre les règles de la rhétorique, que contre celles de la saine morale. C'est le reproche cependant que tout bon citoyen est autorisé à lui faire: vous en jugerez par le trait suivant, qui mérite d'être connu; et que je cite avec d'autant plus de confiance, que je le copie d'après le journal même d'Indre-et-Loire, numéro 256, mercredi 26€ brumaire:

"La liberté que Descartes semble avoir tant chérie, ne lui permit sans doute pas de s'enchaîner dans les liens du mariage; non que la science eût desséché son ame, ou émoussé sa sensibilité au sein de sa retraite, une femme sut mériter son attachement, et lui en faire trouver la plus douce récompense. Il en eut une fille qu'il éleva, qu'il aima avec tendresse, que la mort lui enleva à l'âge. de cinq ans, et de la perte de laquelle il se montra inconsolable. Des pédans ont craint de nous parler de ce trait de sa vie : ils s'imaginoient qu'un enfant. naturel étoit une tache dans la vie d'un philosophe. Ils donnoient à la sagesse une austérité sauvage qui la rendoit haïssable: il sembloit qu'à leurs yeux un sage ne devoit pas être un homme. Descartes l'étoit; et ce moment de sa vie que l'on a voulu effacer de son histoire, ne peut que nous intéresser davantage.

Je ne sais si je me trompe: mais il me semble que c'est-là un bien étrange langage, pour un magistrat chargé dans un département de surveiller les mœurs

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