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publiques. Quelle leçon pour de jeunes personnes! Et s'il y en avoit parmi les auditeurs, comme il n'y a nul lieu d'en douter, combien leur pudeur dut en souffrir, et combien les mères de famille durent en être attristées! Ce discours n'est point, sans doute, l'ouvrage d'un pédant ; mais il est. tout au moins l'ouvrage d'un homme bien léger: car nous aimons à croire que l'auteur, entraîné. par sa sensibilité qui ne paroît pas trop émoussée, n'a pas, senti toutes les conséquences d'une pareille morale prêchée publiquement. Qu'il nous permette de lui demander s'il souffriroit qu'on l'enseignât dans les pensions, dans les collèges dont il a l'inspection; si c'est ainsi qu'il prêche la sagesse à ses propres enfans, et s'il met dans leur catéchisme qu'ils pourront, quand il leur plaira, former une union illégitime, et avoir un enfant naturel, sans qu'il soit une tache pour leur vie! Sans doute leur vie! Sans doute, comme le dit. très-bien l'orateur, ce n'est pas là une tache dans la vie d'un philosophe : nous savons effectivement que personne n'est moins délicat sur cet article qu'un philosophe; et qu'en conséquence il importe infiniment à tous les pères et mères, jaloux de l'honneur de leurs filles, de chasser bien vîte de leur maison tout philosophe qui tenteroit de s'y introduire. C'est ainsi que le philosophe Jean-Jacques introduit auprès de sa Julie un philosophe précepteur qui la séduit, et qui n'en reste pas moins un très-honnête homme; de même que Julie enceinte n'en reste pas moins une très-honnête demoiselle. C'est ainsi qu'en nous parlant de son vicaire savoyard, qui a fait un enfant à une fille, il l'appelle, avec autant d'impudeur que d'audace, un chaste prêtre, digne de toute sa vénération. C'est ainsi que luimême faisoit des enfans à sa Thérèse ; et que, bien, loin de regarder comme une tache un concubinage

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de vingt-cinq ans, il s'en applaudit dans ses Confessions, monument éternel de ses bassesses et de ses turpitudes: c'est ainsi qu'aux beaux jours des Chaumette et des Hébert, qui étoient aussi des philosophes, comme chacun sait, on payoir une pension à chaque prostituée, qui la recevoit comme la plus douce récompense de son attachement.

Mais si ce n'est pas une tache dans la vie d'un philosophe que d'avoir des enfans naturels, c'en est une aux yeux des ames honnêtes; ou bien l'honnêteté publique n'est plus qu'un nou : c'en est une aux yeux des amis des bonnes mœurs, ou bien la sainteté du mariage n'est plus qu'un misérable préjugé c'en étoit une pour nos pères, qui n'avoient pas, à la vérité, l'honneur d'être philosophes, mais qui étoient vertueux : c'en est une pour tous les pays civilisés, où la philosophie n'a point encore corrompu tous les sentimens et dénaturé toutes les idées : c'en seroit une pour des magistrats qui, sous les yeux d'un gouvernement réparateur et protecteur des mœurs publiques, avanceroient des principes si destructeurs des mœurs publiques; et c'en seroit encore une pour la nation qui souffriroit qu'ils fussent emphatiquement proclamés, et impunément imprimés.

L'orateur plaisante sans doute, quand il paroît surpris de ce qu'on ose croire qu'un sage ne doit pas être un homme. Eh! qui en doute? qui a jamais dit le contraire ? qui ne s'en convainc pas chaque jour? qui ne sait pas que nos sages ont toutes les foiblesses de l'humanité, et même tous les vices; et que non-seulement ils sont des hommes, mais pis que des hommes, puisqu'ils se ravalent au rang des brutes, par leurs honteux systêmes, et ne croient pas même qu'en vivant comme elles leur vie en soit tachée? Qui ne sait pas que, sans force.

contre les tentations, ils n'ont de courage que contre les préjugés que s'ils mettent leur gloire à ne pas penser comme les autres, ils ne croient nullement déroger en succombant comme les autres; et qu'enfin, ne se contenir sur rien, et se mettre à l'aise sur tout, c'est tout le secret du sage: mais au moins, ce n'étoit pas à un sage à le dire; et quoique ce secret n'en soit plus un pour personne, il falloit au moins qu'il laissât à d'autres le soin de le divulguer.

L'orateur fait honneur à Descartes d'avoir aussi été un homme : il est vrai qu'il l'a trop été un moment pour sa gloire; mais s'il fut homme par la foiblesse, il se garda bien de l'être par l'ostentation, et sa philosophie n'alla pas jusques-là. Il étoit homme, mais il étoit honnête homme, et, en cette qualité, assez pédant pour ne pas faire trophée d'une action qui, sous aucun rapport, ne pouvoit honorer sa vie : il étoit même si loin d'en tirer vanité, ce qui auroit été pour lui une véritable tache, que, suivant les mémoires de sa vie, il laissa toujours douter s'il n'étoit pas marié. L'orateur a donc fait ici, non seulement une contreverité, comme moraliste, mais encore un contresens, comme panégyriste; et si l'ombre de Descartes avoit pu sortir de son tombeau, elle se fût sans doute élevée contre le louangeur

moins indiscret, qui ose le louer d'une foiblesse qu'il cherchoit à cacher pendant sa vie.

Ainsi les pédans qui ont craint de nous parler de ce trait, n'ont fait que nous montrer le respect qu'ils avoient pour la mémoire de cet homme illustre. Ce pouvoient être des pédans, mais c'étoient des ames honnêtes, qui sentoient tout le prix des mœurs et de la vertu. Ils n'ont pas donné à la sagesse une austérité sauvage, qui la rendroit haïssable: c'est,

au contraire, la facilité qu'ont les philosophes de divulguer, d'honorer même les foiblesses de l'humanité, qui est sauvage, et qui rend non la sagesse, mais la philosophie haissable; c'est l'honneur qu'ils voudroient accorder aux unions criminelles, qui est sauvage; c'est le principe que l'on peut faire, en tout bien et tout honneur, des enfans à une demoiselle, ne fût-ce que pour prouver qu'on n'a pas l'ame desséchée et la sensibilité émoussée, qui est sauvage, et qui, bientôt en attaquant la civilisation par les fondemens, nous rameneroit en droite ligne à l'état sauvage.

Ce n'est donc pas un trait de la vie de Descartes, n'en déplaise à son panégyriste, qui peut nous intéresser davantage; car il faudroit dire pour cela que la vertu des Scipion et des Bayard n'eut rien d'intéressant, et qu'il ne faut savoir aucun gré à Newton, qui, pendant quatre-vingts ans de sa vie, vécut dans la plus grande austérité de mœurs, sans que personne s'avisât cependant de le prendre pour un sauvage. Mais il y a dans la vie du philosophe tourangeau, des traits intéressans, et dont son panégyriste s'est bien gardé de parler c'est qu'il étoit religieux; c'est qu'il ne parla jamais qu'avec le plus profond respect de la religion révélée ; c'est que, dans ses méditations métaphysiques, il donna deux explications différentes de la transubstantiation; c'est que dans son séjour en Suède, il ne manqua jamais une fois d'assister à la messe qui se disoit dans la chapelle de l'ambassadeur français; c'est que dans son voyage d'Italie, il fit, pour s'acquitter d'un vou, un pélerinage à Notre-Dame-de-Lorette, et qu'il plaça son ex-voto tout à côté de celui qu'y mit Michel Montaigne, quand il vint pour le même objet ; c'est enfin que, dans sa dernière maladie, il com

munia de la main d'un religieux, après s'être confessé de son péché mortel, et avoir demandé humblement pardon à Dieu de ce que sa science n'avoit pas assez émoussé sa sensibilité : et ce qui, dans tout ceci, intéressera davantage, c'est que cet homme qui donna des preuves si décisives de sa docilité et de sa foi, étoit l'esprit le plus géométrique qui fut jamais; l'ennemi le plus irréconciliable des préjugés; le même qui ne vouloit croire que ce qui est démontré, et ne regardoit comme vrai que ce qui est évident; celui enfin dont les philosophes ont dit qu'il avoit jeté les fondemens de nos connoissances, et recréé, en quelque sorte, l'entendement humain.

En faisant ces réflexions, je n'ai eu certainement aucune intention hostile contre l'auteur, qui peut d'ailleurs avoir des vues très-fines en administration, si elles ne sont pas très-pures en morale; mais la confusion des principes est telle, et la décadence des mœurs qui la suit, se précipite parmi nous avec tant de rapidité, que j'ai cru me rendre utile à ma patrie, et concourir aux vues même du gouvernement, en vous dénonçant ces propositions. mal sonnantes, offensantes des oreilles sages, et d'autant plus dignes d'exciter les réclamations des gens de bien, qu'elles nous sont transmises par une autorité constituée.

Sur M. l'abbé de Cambacérès.

Nous avons déjà annoncé la mort de M. l'abbé de Cambacérès: nous nous faisons un plaisir d'enrichir nos Annales des détails qui viennent d'être publiés sur cet estimable prédicateur. Mais pouvons-nous signaler la perte que l'éloquence chré

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