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leurs regrets, vient d'être placé dans une petite succursale au milieu des bois, où le meûnier fait sa seule société.

<< Celui, N. T. C. F., qui, comme votre pasteur, vous annonça pendant près de trente trois ans, la parole du Seigneur; celui qui vous chérissoit comme la portion précieuse du troupeau de Jésus-Christ confiée à sa sollicitude, vous annonce aujourd'hui que vous n'êtes plus son troupeau, et qu'un autre va devenir votre pasteur.

Si nous sommes peut-être à la veille d'être dépouillés de notre titre, il n'en est pas moins vrai pour cela, N. T. C. F., qu'appelés par la miséricorde de Dieu, et par notre institution canonique, depuis le 25 avril 1770 jusqu'à ce jour, au gouvernement spirituel de cette paroisse, notre conscience nous rend l'honorable témoignage que nous n'avons jamais ambitionné le pesant fardeau dont il plut à la Providence de nous charger; que nous l'avons porté sur-tout dans ces tems orageux de calamité et de persécution qui viennent de s'écouler, abreuvé de toutes sortes d'amertumes; et que nous le quittons avec une humble et entière soumission aux ordres de Dieu.

Ce que nous regrettons le plus, c'est que la foiblesse de nos talens, et la difficulté des circonstances, ne nous aient pas permis de faire pour vous de grandes choses; mais du moins notre cœur est sans reproche.

Nous ne pourrions vous chérir plus affectueusement que nous ne l'avons fait: vous savez comment, depuis le premier jour de notre installation au milieu de vous, comment, dans les momens les plus critiques de la révolution, nous avons toujours été avec vous. Qualiter vobiscum per omne

tempus fuerim. Nous n'avons rien négligé, vous le savez, de tout ce que nous avons cru devoir et pouvoir contribuer à votre salut : nous vous avons annoncé et fait annoncer l'évangile en public, et nous vous avons porté les consolations dans vos maisons. Quoniam annuntiarem vobis publicè, et per

domos.

La bonne édification, et non la vaine gloire, nous impose aujourd'hui l'obligation de vous interpeller hardiment si nous n'avons pas cherché à nous rendre utile à tous, n'importe la différence d'opinions Quomodo nihil substraxerim utilium.

L'honneur de notre ministère nous permet aussi de protester du désintéressement de nos travaux. Dans l'ancien régime, vous le savez, il nous fut plusieurs fois offert des bénéfices très avantageux, soit dans la ville d'Evreux, soit à la campagne; et nous les avons constamment refusés, parce que nous n'avons jamais cru qu'aucun intérêt temporel pút ni dût déterminer un pasteur à abandonner un troupeau au gouvernement duquel la divine providence l'avoit appelé: et dès que vous nous en avez requis, malgré le danger des persécutions auxquelles nous nous exposions, avec quel zèle, vous le savez, ne nous sommes-nous pas empressés de seconder vos pieuses intentions, en reprenant au milieu de vous les fonctions de notre ministère, que la violence ou la contrainte seules purent alors nous faire abandonner?

Vous dire maintenant, N. T. C. F., que si la force des évènemens nous obligeoit à vous quitter pour toujours, ou à n'être plus à même de vous être utile; vous dire que je le verrois sans regret, je mentirois à ma conscience, et je trahirois les droits immortels que vous avez acquis à ma re. connoissance. Non, il n'entrera jamais dans une

ame comme la mienne, d'oublier un troupeau qui, à tant de titres, m'est si cher! Quelle que soit ma destination future, je vous porterai toujours dans mon cœur ; et souffrez, N. T. C. F., que je vous adresse aujourd'hui, peut-être pour la dernière fois, ces belles paroles de saint Paul: « Je vous recommande à Dieu pour votre con"solation et pour la mienne; je vous renvoie aux "promesses qu'il nous a faites de sa faveur et de » ses graces: il a tout pouvoir, le grand maître » que je vous ai annoncé; il peut construire et » édifier son église. Son héritage est ouvert à tous » ceux qui voudront le mériter: il est assez riche pour les enrichir tous. »

Aussi j'espère, N. T. C. F., que la cruelle divisien d'opinions qui, trop long-tems a affligé l'église de France, va faire place à un heureux accord, auquel souriront le ciel et la terre. Dieu nous est témoin que, dans aucun tems, nous n'avons apporté d'obstacles à cette réunion, nécessaire au salur de vos ames.

O céleste religion! forte des promesses de ton divin auteur, l'enfer déchaîné a pu, par ses fureurs, te faire prendre le deui! pour quelques instans; mais ton flambeau, malgré l'esprit de ténèbres, éclairera toujours la terre jusqu'à la consommation des siècles.

Ainsi le très-haut a suscité autrefois Cyrus pour relever les ruines du temple de Jérusalem: ainsi le dix huitième siècle a produit un homme extraordinaire qui en a illustré la fin par les victoires les plus éclatantes; et qui donnera son nom au dix-neuvième, en devenant le pacificateur de l'Europe et le restaurateur du culte.

Tu en as assez fait, immortel Bonaparte, pour vivre dans la postérité la plus reculée; mais tu

n'as pas assez long-tems gouverné la France pour son bonheur : toute ta vie suffira à peine pour mettre à exécution les vastes projets conçus par ton génie régénérateur. J'émers le vœu sincère et solemnel pour que ta vie dure autant que ta gloire.

Si quelques fidèles me disoient ici: le gouvernement vous oublie, et vous le bénissez; je leur répondruis: j'entrevois au milieu des mesures extraordinaires qui vous allarment, le bien général de la religion, qui doit l'emporter sur l'intérêt de quelques particuliers. Je suis persuadé que le gouvernement nous estime, lors même qu'il semble nous abandonner, parce qu'il sait qu'il n'a pas de meilleurs amis que nous : mais il veut la paix intérieure; et il pense que de nouveaux pasteurs jouiront de la confiancé générale. Doit-il nous en coûter à ce prix pour quitter nos places?

Les disciples du Sauveur desiroient ardemment qu'il restât toujours avec eux; son amour le portoit à ne pas plus se séparer d'eux, que je n'ai moimême le desir ni la volonté de me séparer de vous. Cependant nous lisons dans l'évangile qu'il dit à ses apôtres: il est expédient que je m'en aille. Qu'il me soit permis, N. T. C. F., de me servir des mêmes paroles: il est expédient que je ne sois plus votre pasteur. Celui que la providence a désigné pour me remplacer fera peut-être ici le bien que je n'ai pu y faire peut-être réunira-t-il tous les partis; et bientôt, j'aime à le croire, vous verrez se rassembler dans ce saint temple les ministres et les fidèles que la diversité des opinions en avoit éloignés.

Saint Chrysostôme ordonnoit à ses diocésains d'obéir, comme à lui-même, à celui qu'on mettroit à sa place. Je vous conjure donc, à son exemple, N. T. C. F., par les entrailles de notre Seigneur

Jésus-Christ, de ne considérer dans cet évènement que la volonté de Dieu : je vous conjure de reporter toute votre confiance sur le pasteur qui doit me succéder. Et si vous avez quelqu'amitié pour moi, faites éclater une sainte joie, sans craindre que j'en conçoive la moindre peine.

Mais en pensant, N. T. C. F., aux liens que cette mesure va rompre; à ces liens que la charité avoit formés et que la même charité a si fortement consolidés, nous ne pouvons vous le dissimuler, notre cœur est douloureusement affecté comme les vôtres; et, sous ce point de vue, il nous est impossible de vous dire pleinement ici : réjouissez-vous. Eh! quand nous vous le dirions, croiriez-vous à la sincérité d'un tel langage? ne seroit-il pas démenti par tout ce que vous avez vu et entendu de nous, depuis près de trente trois ans que la divine Providence nous a placés à votre tête ? Mais si, à l'exemple de notre divin maître, et malgré la distance infinie qui se trouve entre ce Sauveur adorable et nous, misérable pécheur; si nous envisageons le grand bien qui peut résulter, pour l'entier oubli du passé, de ce sacrifice que les circonstances paroissent commander, ah! nous ne craignons pas de vous le dire encore : réjouissez

vous.

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Oui, N. T. C. F., quand même le résultat de cette mesure n'opéreroit pas, sur-le-champ, tout le bien que nous pouvons desirer, n'y auroit-il pas lieu de l'espérer pour l'avenir? Et puisque, suivant la doctrine annoncée par saint Augustin le schisme est le plus grand de tous les maux qui puissent affliger les véritables enfans de l'église, pouvons-nous ne pas nous réjouir d'en voir disparoître jusqu'au prétexte?

Nous ne sommes pas plus saint que Jonas, que

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