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furent cependant ni examinés ni résolus, à cause de la nécessité de ne pas retarder le mariage de Louis XIV avec l'infante Marie-Thérèse, union qui devait cimenter celle des deux nations.

La Commission internationale avait donc à juger ces litiges, et cette dernière phase de ses travaux n'a pas été la moins ardue.

Deux contestations principales ont réclamé plus particulièrement son attention d'abord celle de la commune française de la Tour-de-Carol avec la municipalité de Guils, et, en second lieu, celle de la commune d'Angoustrine avec l'enclave espagnole de Llivia.

Il suffira de rappeler que, pour la première, la discussion a dû chercher son point de départ dans une charte impériale de Charlemagne de 812, qui concédait à tout Espagnol fuyant la domination arabe et venant s'établir en Septimanie et dans la Marche Hispanique la qualité d'homme libre et la possession allodiale des terres qu'il aurait cultivées depuis trente ans; que le domaine de Cédret, dont une portion était contestée, avait cette origine, et que, par une succession de titres authentiques, heureusement retrouvés, on a pu suivre sa transmission à travers les siècles jusqu'en 1789, avec le caractère allodial que lui avaient octroyé Charlemagne et ses successeurs; que les limites de ce domaine étaient indiquées dans une charte de donation de 906; qu'elles pouvaient être rapprochées des aveux faits à la couronne de France, et qu'on pouvait en déduire ainsi celles auxquelles prétendait la Tour-de-Carol. Le désir que les plénipotentiaires avaient de s'entendre était malheureusement contrarié par l'intervention passionnée des parties, et peu s'en est fallu que, touchant au but, la négociation ne fût rompue. Mais le caractère amical et confiant des relations que les plénipotentiaires ont su maintenir entre eux a réussi à conjurer ce danger; un accord équitable est intervenu et promet de mettre un terme aux sentiments d'animosité réciproque qui ont souvent altéré les rapports de voisinage entre Guils et la Tour-de-Carol.

Des obstacles analogues ont embarrassé la marche de la Commission dans le règlement du différend entre Angoustrine et Llivia. Elle a pu recueillir des titres assez nombreux et de diverses natures: aveux et dénombrements, lettres pénales, actes de vente, papiers terriers, livres de dime, transactions, sentences correspondant à la période écoulée entre l'année 1395 et 1754. De l'ensemble de ces actes on pouvait conclure que les terrains litigieux appartenaient à Angoustrine; mais on faisait valoir en sens contraire des lettres de maintenue de 1540 accordées à la communauté de Llivia par Charles-Quint, roi de Castille, d'Aragon, etc., etc., et par sa mère, la reine Jeanne. L'interprétation donnée à cet acte par les Plénipotentiaires d'Espagne aurait eu pour effet d'attribuer à Llivia tous les terrains contestés. Cette version contredisant le sens de tous les autres titres, soit qu'ils précèdent, soit qu'ils suivent l'année 1540, n'a pu se faire admettre, et la Commission s'est prononcée en faveur d'Angoustrine.

D'autres litiges moins importants, mais qui n'en ont pas moins exigé des investigations et des discussions, ont été résolus avec le même esprit d'équité. C'est ainsi que Llivia a eu gain de cause contre Caldégas par l'application de l'acte précité de 1540, et que Puycerda a été condamné dans sa prétention contre le village français de Palau par l'interprétation d'un acte original d'inféodation de 1030, donné en faveur du village limitrophe d'Osséja par le comte Wifred.

C'est conformément aux solutions convenues que le traité du 26 mai 1866 (1) a fixé la frontière entre la Cerdagne française et la Cerdagne espagnole, sur les versants méridionaux des Pyrénées, depuis l'Andorre jusqu'au pic d'Eyne, où elle prend la ligne de faîte de la chaîne principale pour la suivre jusqu'à la Cova-Foradada, sur le littoral de la Méditerranée, un peu au sud du cap de Cervera, qui est en France. Ce tracé par les crêtes a cependant dévié en deux points, en laissant en France la portion du territoire de Coustouges située sur le versant méridional et en Espagne le petit territoire de l'Ermitage de Salinas, qui se trouve en entier sur le versant opposé. Le même traité réglemente tous les usages maintenus dans cette partie de la frontière et se rapportant aux pâturages, aux chemins libres et aux canaux.

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La Commission a signé le même jour un acte additionnel réunissant les dispositions

(1) V. ce Traité, t. IX. p. 532.

applicables sur toute la frontière, et relatives à la conservation de l'abornement, aux troupeaux et pâturages, aux propriétés coupées par la frontière et à la jouissance des eaux d'un usage commun aux habitants des deux pays.

La Commission est ensuite parvenue à formuler les principes généraux qui ont servi de base à la législation internationale en matière d'eaux, laissant à une Commission mixte d'ingénieurs le soin d'appliquer ces principes aux réglements particuliers à élaborer le long de la frontière entre les deux Cerdagnes, où tous les cours d'eau passent de France en Espagne et servent quelquefois de limite internationale.

Malgré cet acte additionnel au traité du 26 mai 1866, on a dû, comme pour les deux premiers de 1856 et 1862, en régler l'exécution dans un acte complémentaire auquel on a donné le titre d'acte final, pour indiquer que la négociation atteint par lui son dernier terme. Cet acte contient, avec le procès-verbal d'abornement, des modifications touchant les pâturages de Guils et de la Tour-de-Carol, modifications conformes aux intérêts plus clairement formulés des parties. Il renferme en outre une nouvelle énumération de chemins libres, le maintien de certains usages existants ou convenus, les prescriptions à suivre pour la saisie des bestiaux, enfin les règlements d'eau élaborés par la Commission mixte d'ingénieurs instituée à cet effet.

La Commission s'est appliquée à ne négliger aucun détail de sa tâche, et sur toute l'étendue de notre frontière de l'Océan à la Méditerranée il ne reste plus un seul litige qui n'ait reçu sa solution.

C'est maintenant aux autorités locales et aux populations elles-mêmes à bien comprendre et à exécuter loyalement tous les arrangements convenus. Chacun connaît aujourd'hui son droit et le mode de le pratiquer, il n'y a plus ni motif ni prétexte à discussion; l'intérêt commun est de vivre en bons voisins, et d'entrer franchement dans la voie de paix et de concorde ouverte par les dispositions internationales qui forment comme un code frontalier des Pyrénées et qui ont pour but une conciliation des droits et une satisfaction équitable des besoins réciproques.

L'exécution des traités de 1856 et de 1862 a donné jusqu'à présent les bons résultats qu'on en attendait. Il y a lieu de croire que le traité de 1866 et ses annexes auront des conséquences non moins favorables, malgré le caractère particulièrement ardent des populations dont il a réglé les intérêts, et que les deux Gouvernements n'auront qu'à se féliciter sur tous les points de la persévérance avec laquelle ils se sont efforcés de faire disparaître de la frontière des Pyrénées les causes de mésintelligence qui éclataient trop souvent au préjudice de tous les intérêts comme des Cabinets. Ainsi se trouvent consolidés, par une réglementation équitable de tous les droits, les rapports amicaux que la politique traditionnelle des deux pays s'est toujours appliquée à maintenir. C'est un résultat auquel la Commission se félicite d'avoir été appelée à concourir dans les limites tracées par la nature même de sa tâche et par les instructions des deux Gouvernements.

Veuillez agréer, etc.

Général CALLIER.

Traité de paix et de commerce conclu à Tananarive, le 8 août 1868, entre la France et Madagascar. (Éch. des ratif. à Tananarive le 29 décembre 1868.)

S. M. l'Empereur des Français et S. M. la Reine de Madagascar, mutuellement animés du désir de favoriser le développement des relations commerciales entre leurs États respectifs, ont résolu de conclure un Traité de paix et de commerce et ont, en conséquence, nommé pour leurs plénipotentiaires :

S. M. l'Empereur des Français, le sieur BENOIT GARNIER, Consul de

France, chevalier de la Légion d'honneur, son Commissaire spécial à Madagascar;

Et S. M. la Reine de Madagascar, les sieurs RAINIMAHARAVO, chef de la secrétairerie d'État; seizième honneur; RAINANDRIANTSILAVO, quinzième honneur, officier du palais; RALAITSIROFO, chef juge; RAFARALAHIBEMALO, chef notable;

Lesquels, après s'être communiqué leurs pleins pouvoirs trouvés en bonne et due forme, sont convenus des articles suivants :

ART. Ier. Il y aura désormais et à perpétuité paix, bonne entente et amitié entre S. M. l'Empereur des Français et S. M. la Reine de Madagascar, et entre leurs héritiers, successeurs et sujets respectifs.

ART. 2. Les sujets de chacun des deux Pays pourront librement entrer, résider et circuler dans toutes les parties de l'autre Pays placées sous l'autorité d'un gouverneur, en se conformant à ses lois; ils y jouiront de tous les priviléges, avantages et immunités accordés aux sujets de la nation la plus favorisée.

ART. 3. Les sujets français, dans les États de S. M. la Reine de Madagascar, auront la faculté de pratiquer librement et d'enseigner leur religion, et de construire des établissements destinés à l'exercice de leur culte, ainsi que des écoles et des hôpitaux. Ces établissements religieux appartiendront à la Reine de Madagascar, mais ils ne pourront jamais être détournés de leur destination. Les Français jouiront, dans la profession, la pratique et l'enseignement de leur religion, de la protection de la Reine et de ses fonctionnaires, comme les sujets de la nation la plus favorisée. Nul malgache ne pourra être inquiété au sujet de la religion qu'il professera, pourvu qu'il se conforme aux lois du pays.

ART. 4. Les Français, à Madagascar, jouiront d'une complète protection pour leurs personnes et leurs propriétés. Ils pourront, comme les sujets de la nation la plus favorisée, et en se conformant aux lois et règlements du pays, s'établir partout où ils le jugeront convenable, prendre à bail, acquérir toute espèce de biens meubles et immeubles, et se livrer à toutes les opérations commerciales et industrielles qui ne sont pas interdites par la législation intérieure. Ils pourront prendre à leur service tout Malgache qui ne sera ni esclave ni soldat, et qui sera libre de tout engagement antérieur. Cependant, si la Reine requiert ces travailleurs pour son service personnel, ils pourront se retirer, après avoir préalablement prévenu ceux qui les auront engagés.

Les baux, les contrats de vente et d'achat et les contrats d'engage

ments de travailleurs seront passés par actes authentiques devant le consul de France et les magistrats du pays.

Nul ne pourra pénétrer dans les établissements ou propriétés possédés ou occupés par des Français sans le consentement de l'occupant, à moins que ce ne soit avec l'intervention du consul.

En l'absence du consul ou de tout autre agent consulaire, et dans le cas où l'on aurait la preuve que des criminels poursuivis par la justice se trouvent cachés dans ces établissements, l'autorité locale pourra les y faire rechercher, en prévenant toutefois l'occupant avant d'y pénétrer. Les Français ne pénétreront pas non plus dans les maisons des Malgaches contre le gré de l'occupant.

ART. 5. Les H. P. C. se reconnaissent le droit réciproque d'avoir un agent politique résidant auprès de chacune d'elles et de nommer des consuls ou agents consulaires partout où les besoins du service l'exigeront. Cet agent politique et ces consuls ou agents consulaires jouiront des mêmes droits et prérogatives qui pourront être accordés aux agents de même rang de la puissance la plus favorisée; ils pourront arborer le pavillon de leur nation respective sur leur habitation.

ART. 6. Les autorités dépendant de S. M. la Reine de Madagascar n'interviendront pas dans les contestations entre Français, qui seront toujours et exclusivement du ressort du consul de France, ni dans les différends entre Français et autres sujets étrangers. Les autorités françaises n'interviendront pas non plus dans les contestations entre Malgaches, qui seront toujours jugées par l'autorité malgache. Les litiges entre Français et Malgaches seront jugés par le consul de France, assisté d'un juge malgache.

ART. 7. Les Français seront régis par la loi française pour la répression de tous les crimes et délits commis par eux à Madagascar. Les coupables seront recherchés et arrêtés par les autorités malgaches, à la diligence du consul de France, auquel ils devront être remis et qui se chargera de les faire punir conformément aux lois françaises. Les Français reconnus coupables d'un crime pourront être expulsés de Madagascar.

ART. 8. S. M. la Reine de Madagascar s'engage à livrer au consul de France, sur son invitation, et lorsqu'on l'aura atteint, tout sujet français traduit pour crime devant les cours de justice françaises et qui se serait réfugié à Madagascar.

ART. 9. L'autorité locale n'aura aucune action à exercer sur les navires de commerce français, qui ne relèvent que de l'autorité française et de

leurs capitaines. L'entrée leur sera donnée à leur arrivée. En l'absence de bâtiments de guerre français, les autorités malgaches devront, si elles en sont requises par un consul ou agent consulaire français, lui prêter main-forte pour faire respecter son autorité par ses nationaux et pour rétablir et maintenir la discipline parmi les équipages des navires de commerce français. Si des matelots ou autres individus désertent leurs bâtiments, l'autorité locale fera tous ses efforts pour découvrir et remettre le déserteur entre les mains du requérant.

ART. 10. Si un Malgache élude ou refuse le payement d'une dette envers un Français, les autorités locales donneront toute aide et facilité au créancier pour recouvrer ce qui lui est dû, et, de même, le consul de France donnera toute assistance aux Malgaches pour recouvrer les dettes. qu'ils auront à réclamer des Français.

ART. 11. Les biens des Français décédés à Madagascar ou des Malgaches décédés sur le territoire français seront remis aux héritiers ou, leur défaut, au consul ou agent consulaire de la nation à laquelle appartenait le décédé.

ART. 12. Les navires français ne seront pas soumis à d'autres ni à de plus forts droits de navigation que ceux auxquels sont ou seront respectivement assujettis les navires nationaux et ceux de la nation la plus favorisée.

S. M. la Reine de Madagascar s'engage à ne pas élever les droits de navigation actuellement existants.

Les navires français qui relâcheront dans les ports ou sur les côtes de Madagascar, et qui n'y effectueront aucun chargement ni déchargement de marchandises, seront affranchis de tout droit de navigation.

Les navires malgaches jouiront de la même faveur dans les ports de France.

Aucun sujet malgache, s'il n'est muni d'un passe-port de l'autorité locale, ne pourra s'embarquer sur un navire français.

ART. 13. Les bâtiments de guerre français auront les mêmes facilités que les navires de guerre de la nation la plus favorisée pour entrer, séjourner et se ravitailler dans les ports militaires, anses et rivières de Madagascar ; ils y seront soumis aux mêmes règles et jouiront des mêmes honneurs et priviléges. Les navires de guerre malgaches auront, dans les ports de France, les mêmes honneurs et priviléges.

ART. 14. S. M. la Reine de Madagascar s'engage à ne prohiber l'entrée ni la sortie d'aucun article de commerce, sauf l'importation des munitions

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