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le nouveau Royaume d'Italie, on la trouve dans des autres événements que l'histoire ne pourra effacer et qui se sont vérifiés dans les dernières années. Le victorieux Empereur d'Allemagne descendait à Milan, non, comme dans les temps jadis, par la conquête, mais pour honorer le Roi d'Italie. Peu de temps après, l'Empereur d'Autriche-Hongrie se rendait à Venise pour y serrer la main à notre Roi. La visite rendue à Venise, cette Reine des lagunes, que l'Autriche avait quittée avec tant de regrets dix ans auparavant, était sans doute une consacration définitive de l'Unité et de l'Indépendance de l'Italie, et un hommage solennel rendu au nouvel élément par la société internationale. Enfin le neuf janvier mil huit cent soixante dix-huit, sous le Ministère Depretis-Crispi, en s'approchant de la tombe du Roi Galantuomo et peu de jours après en assistant à la réunion du Conclave pour l'élection du successeur de Pie neuf, tous les États ont reconnu par des preuves solennelles la force des événements, la nécessité irrésistible de la loi historique, qui conduit les bienveillants, entraîne les paresseux, anéantit les résistants. Comme conséquence de tous ces triomphes partiaux obtenus par la Diplomatie italienne, l'Italie était invitée en juillet de mil huit cent soixante dix-huit à siéger comme une grande Puissance dans le Congrès de Berlin. On dit que l'Italie a été humiliée dans ce congrès, on dit qu'il y avait l'occasion de mettre sur le tapis la question de l'Italia irredenta. En vérité, ce ne fut pas une velléité d'un parti d'espérer que l'Italie eût pu obtenir une rectification de frontières, tandis que la Monarchie autrichienne s'agrandissait dans la Bosnie et l'Erzégovine; il faut dire plutôt que l'agitation éclatée en Italie à la fin du Congrès fut une exigence de tout le peuple, qui avait pensé

qu'à Berlin l'Italie aurait pu prendre une position menaçante pareille à celle prise par le Piémont dans le Congrès de Paris (1856). Le Gouvernement, au contraire, en mesurant les forces politiques du Pays en rapport avec la situation de l'Europe pensa qu'il n'était pas prudent que dans le Congrès de Berlin on formulât officiellement un droit imprescriptible que la Nation possède à l'union des Provinces irredente. Pour la Diplomatie européenne, les aspirations italiennes envers les provinces encore assujeties à la domination étrangère, et les aspirations de Trieste de s'ajoindre à sa patrie ne sont pas un mystère; le Gouvernement se conduisit sagement à ne pas soulever de questions que le Congrès de Berlin n'était pas préparé à résoudre. L'Europe civile a certainement profité de l'expansion plus grande acquise par le Principe de Nationalité d'une manière loyale et desintéressée à la représenter dans ce Congrès. Si d'un côté son attitude conciliante fut utile au plus haut degré pour la conservation de la paix européenne sauvée de la menace d'une guerre générale, dont l'explosion aurait été détestée par la coscience publique, d'un autre côté les événements ont démontré que l'Italie par l'éloquence du silence s'est rendue le centre de gravité, le point d'attraction des sympathies de ces peuples malheureux de la Péninsule balcanique, qui d'ailleurs en obtenant leur propre indépendance dans un temps plus ou moins éloigné deviendront nos alliés naturels contre les froides alliances de la vieille Europe, qui alors sera obligée de céder ce qu'en mil huit cent soixante dix-huit elle nous pouvait ou seulement refuser ou accorder au prix de forts sacrifices et au milieu de l'attitude peu bienfveille de l'opinion publique. C'est une force qu' il faut illuminer

et suivre et non pas violenter. D'ailleurs notre drapeau, qui entrait honorablement, digniteux et modeste, dans le Congrès de Berlin s'annonçait comme une promesse d'aide fraternelle à tous les gens qui travaillent ensemble avec dignité et constance aux patients et fatigueux progrès du Bien contre le courant des intrigues, elle s'annonçait comme un souhait d'émancipation à tous les peuples qui n'ont pas encore une patrie libre, elle s'annonçait comme un gage sûr de la manière avec laquelle l'Italie, au-dessus des partis intérieurs, sent son devoir envers elle-même et envers les autres. L'Italie, sortie de la Révolution, a la tache impérieuse de personifier l'idée de la Justice dans les rapports internationaux et de contribuer par son attitude pacifique à hâter le triomphe et à accréditer la bonté du Principe de Nationalité. Nous pouvons aujourd'hui jeter un regard de satisfaction sur les progrès réalisés, et proclamer comme résultat des luttes de notre siècle que le Principe mentionné ci-dessus, qui remplace le vieux principe, est solidement établi, et s'il ne triomphe pas partout, c' est que le succès de la vérité la plus certaine n'est pas l'œuvre d'un jour..... Le reste est confié au travail du temps. Le temps résoudra l'énigme de l'Humanité! Mais quand viendra ce jour désiré? Quand l'Humanité se recomposera. A-t-elle les moyens secrets du principe générateur? Nul ne peut le dire! On ne saurait calculer la résistance des passions. Des orages nouveaux se formeront; on croit pressentir des calamités qui l'emporteront sur les afflictions dont nous avons été accablés. Ce qui en suivra ne sera que l'effet de la transformation générale. On touchera sans doute à des stations pénibles; le monde ne saurait changer de face sans qu'il y ait des douleurs. Mais

ce ne seront point des révolutions à part; ce sera la grande révolution allant à son terme. Voilà ce que nous n'hésitons pas à annoncer dans une profonde conscience. Ceux qui se flattent de faire rester le genre humain dans les voies qui le détournent de son but, se trompent bien dangereusement (1).

VI.

Bien que le pouvoir temporel des Papes soit renversé, l'Institution de la Papauté existe encore sous une forme différente; elle n'est plus une institution politique; elle n'est plus un État, qui brise l'organisation du grand État italien; elle n'est même plus un élément de l'équilibre international; mais elle est vraiment une institution morale, ou au moins elle est destinée à devenir telle si nous regardons les choses dans leur point de vue naturel.

(1) "C'est une étrange et longue guerre que celle où la violence essaye d'opprimer la vérité. Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité et ne servent qu'à la relever davantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuvent rien pour arrêter la violence et ne font que l'irriter encore plus. Quand la force combat la force, la plus puissante détruit la moindre: quand on oppose les discours aux discours, ceux qui sont véritables et convaincants confondent et dissipent ceux qui n'ont que la vanité et le mensonge; mais la violence et la vérité ne peuvent rien l'une sur l'autre. Qu'on ne prétende pas de là néanmoins que les choses soient égales; car il y a cette extrême différence que la violence n'a qu'un cours borné par l'ordre de Dieu qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu'elle attaque au lieu que la vérité subsiste éternellement et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu' elle est éternelle et puissante comme Dieu même » Pascal.

n

Aujourd'hui cependant la Papauté est dans une situation anormale; car, si l'État de l'Église n'existe plus, la souveraineté personnelle du Pape existe encore.

Par conséquent tout comme elle existe aujourd'hui, la Papauté est en elle-même un argument de haute politique; elle est gouvernée par la très-ingénieuse Lor DES GARANTIES du 13 Mars 1871.

Cette Loi est partagée en deux titres, dont le premier a pour objet les Prérogatives du Suprême Pontife, l'autre détermine les Relations de l'État avec l'Église; et c'est précisement le contenu de cette Loi, qui a placé la Papauté dans une situation anormale vis-à-vis de l'Italie et des autres Puissances.

Avant tout nous reporterons ici une appréciation de M. Holtrendorff. L' incorporation de Rome, dit-il, dans le Royaume d'Italie a fait naître cette singulière anomalie, que la législation italienne, pour calmer les inquiétudes des puissances catholiques, a donné au Pape une position de souveraineté personnelle, non territoriale. Cette position est moins dangereuse pour l'Italie même, que pour d'autres puissances, que le pape se propose de combattre, comme du fond d'une retraite sûre.

Sans doute les Italiens ne méritent aucun reproche de ce chef, car la situation créée par eux a été un fait précipitamment acceptée par l'ensemble des États Européens. Mais que l'on réfléchisse simplement à ceci : le pape, qui, du consentement de la grande majorité des catholiques, dirige son Église avec l'autorité militaire illimitée d'un général d'armée comme un organisme juridique non seulement égal, mais supérieur à l'État, le pape, avec toutes ses prétentions à la puissance et aux moyens de contrainte intérieurs, confond les notions essentielles à la société humaine de paix et

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