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être réalisée, comme on désire. La Politique intérieure est suffisamment mobile, pour qu'on puisse trop se fier dans la théorie qui prétend consacrer la perpétuité des traités. C'est une thé orie, qui est aussi absurde pour les traités que pour les Constitutions. C'est une théorie incompatible avec la nature des choses, avec les changements qui surviennent au sein de l'humanité et des différents peuples, c'est une théorie en contradiction avec l'idée même du droit. Les traités cessent d'être obligatoires, lorsqu'ils sont devenus incompatibles avec le développement des droits généraux de l'humanité, avec le droit international reconnu, et avec le développement nécessaire de la constitution ou du droit privé d'un État. Alors l'exécution des traités étant devenue impossible, l' application des dispositions de ces traités constituerait un obstacle permanent au développement de la constitution et des droits d'un peuple et du progrès de l'humanité, et alors ces traités cesseraient d'être obligatoires. Aujourd'hui on a reconnu que les peuples sont des êtres qui vivent. Par conséquent, le Droit Constitutionnel et le Droit International, qui sont les expressions de la vie morale et politique des peuples, doivent subir les transformations nécessaires. pour permettre à ces peuples de vivre et de se développer.

XV.

D'autres écrivains en voyant les conséquences de ce système, mais obstinés à le pratiquer en termes généraux, proposent que les dispositions de la loi des garanties qui se rapportent à la situation internationale de la Papauté soient changées en un Traité international. Mais quelles sont ces dispositions? Certainement celles qui composent le caractère de souverain dans la personne du Pontife; on aurait dans ce cas toutes les difficultés déjà indiquées. Dans la supposition même d'un traité international, aucun État n'interviendrait dans les affaires intérieurs d'un autre pour examiner les raisons pour lesquelles quelqu'une des Puissances contractantes nierait à un évêque l'exequatur, néanmoins on tiendrait un Congrès permanent pour examiner les rapports quotidiens de chaque Gouvernement avec le Saint-Siége, mais on interviendrait simplement dans le cas où la vanité du Suprême Pontife croirait être offensée dans quelqu'une de ses prérogatives souveraines. Cet expédient est une production de l'école mème néo-gibeline, il contient tous les défants du système précédent : c'est un système proposé par Monsieur Jacini, publiciste très connu dans la littérature publique.

Voici le raisonnement de l'illustre sénateur Jacini: << La dernière solution imaginable serait qu'on ôtât de la Loi des garanties les dispositions qui concernent simplement la position extra-nationale de la Papauté et qu'on en fit un tant à part, et, quant à l' apanage annuel, on le changerait en un capital correspondant,

composé de biens-fonds inaliénables, sur lesquels le Gouvernement italien s'engagerait à ne prélever en perpétuité aucun impôt, ou constitué sous une autre forme indépendante de l'administration des finances. italiennes; et on consacrerait la partie, ainsi détachée de la Loi des garanties, par le moyen d'un engagement diplomatique formel.... Par conséquent pour sortir de cette route aveugle, il nous parait qu'il n'y ait d'autre moyen que la dernière combinaison indiquée, c'est à dire la stipulation d'un traité entre l'Italie et les autres grandes Puissances, par lequel d'un côté la situation du Saint-Siége serait bientôt avantagée à respect du présent, sans qu' on prétendit du Pontife aucune rétractation, de l'autre côté le Royaume d'Italie déterminerait diplomatiquement une question très importante, qui le regarde, sans aucun sacrifice (1). »

Mais il faut se mettre dans une autre route, si nous voulons arriver à la conclusion du grave problème; les expédients ne valent rien, quand le Publiciste se trouve devant une question de principes. A quelle base devrons-nous nous appuyer pour résoudre le problème si difficile? Au lieu de chercher une réponse dans les innombrables transactions historiques, qui trop souvent sont nées dans des circonstances destinées à ne plus se représenter, qui ont été inspirées par des motifs d'intérêt prétendu ou tout au plus d'utilité momentanée, et dont beaucoup, eu égard à leur but, furent des méprises, nous nous adressons à la science (2).

(1) Jacini: I Conservatori e l'evoluzione naturale dei partiti politici, p. 120-1z2.

(2) "La controverse chrétienne a varié selon les temps. Au berceau de l'Église, les premiers apologistes, en contact direct et presque immédiat

Quittons donc la voie des expédients, arrêtons-nous dans une position élevée, où l'on respire l'air très-pur de la science. Là nous trouverons que la vraie, la su

avec le groupe primitif des chrétiens sortis du judaïsme, portèrent principalement leur argumentation sur l'absurdité et l'immoralité du polythéisme en décadence: c'était l'esprit monothéiste juif qui les inspirait. Saint-Justin est, parmi ceux dont les ouvrages subsistent, le plus ancien type de cette polémique offensive. Quand la nouvelle doctrine se fut répandue dans la société grecque, la philosophie grecque vint prendre sa part du travail de développement; les causes diverses et ennemies y introduisirent la métaphysique; Clément d' Alexandrie par ses Stromates, et Saint Irénée par son exposé des hérésies, composent les premiers documents de cette seconde époque. A mesure que la doctrine chrétienne s'étend dans le monde romain, d'autres éléments s'offrent à son action, d'autres faces de la vie provoquent son approche; le génie romain, organisateur, législateur et jurisconsulte, s'attache principalement, dans les pères latins, à partir de Tertullien et de Cyprien, aux questions morales et organiques, à retremper les mœurs et à constituer l'Église. On sentait que les temps étaient proches, que les Barbares allaient rompre les frontières de l'empire, et qu'il fallait recevoir la force brute avec une force morale renouvelée. Voilà la troisième époque. Au moyen-âge, l'étude prend un autre cours. L'Église n'a plus à fonder le dogme, il est achevé; toute-puissante non seulement dans les esprits, mais dans l'état, elle reserre la pensée humaine dans l'unité; nul ne reste impuni à contester ce qu'elle enseigne.

La controverse proprement dite cesse. Alors donc l'intelligence n'a plus à chercher la foi; la foi est pour tous le point de départ, la donnée admise, certaine, absolue; mais comme l'esprit ne peut s'endormir dans une lettre morte, la foi se met à chercher l'intelligence d'elle-même: fides quasens intellectum. Dans ce nouvel exercice, l'esprit, enchaîné d'un côté, se pousse d'un autre; moins il lui est permis de dépasser le cercle tracé, plus il s'évertue à creuser au milieu. C'est ainsi que Saint-Anselme, qui est à la tête de ce mouvement dans la renaissance du XII. siècle, tout en ne cherchant que l'intelligence de la foi, devient le précurseur de Descartes, et qu'Abélard, plus aventureux, en partant du mème principe, inaugure le rationalisme. Nouveau et plus radical changement après la réforme du XVI. siècle: mille causes ont élargi de fait la liberté de penser et de dire, et comme le but

prême et la meilleur législatrice de la société civile est la nature: c'est elle qui préside au développement lent, mais sûr; pénible, mais constant, de toutes nos facultés

principal de cette réforme est d'abattre l'autorité en lui arrachant l'interprétation de saints livres, il en résulte que ces livres mêmes, la canonicité, l'authenticité, le sens des textes sacrés, sont livrés à la dispute. De là toute la critique moderne. A ce vaste examen des circonstances de ces livres, l'histoire même qu'ils contiennent ne peut longtemps échapper. Réprimée en France dans Ricard Simon par l'influence de Bossuet, qui s'en épouvante, la critique s'en va prendre sa revanche en Hollande par le Dictionnaire de Bayle, puis revient en France, à l'abri d'une connivence générale, avec Voltaire; mais c'est en Allemagne qu'elle prend sa plus redoutable extension. Là l'érudition patiente, incroyablement hardie à force de naïveté, remue et retourne toutes les pierres de l'édifice, sans d'abord se douter qu' elle va le faire tomber sur sa tête. Bochart, Huct, Vossins et d'autres, frappés de certaines analogies entre les récits de la Bibles et les fables grecques, avaient repris une ancienne opinion qui ne voulait voir dans ces fables qu'un retentissement lointain et une tradition falsifiée de l'histoire biblique. Après les travaux de Heyne sur les mythologies, cette opinion trop absolue est remplacée par une idée plus vraie et plus féconde: c'est que, chez les divers peuples, les événemens dont le souvenir s' altère viennent bientôt à se poétiser à travers les générations, et s' ornant de symboles, d'allégories et d'interventions divines, fournissent partout un fonds analogue de mythes qui deviennent l' expression de la foi religieuse. Mais alors, si cette tendance à créer les mythes est naturelle et universelle, s'il est vrai que le peuple, bien loin de contrôler avec soin les miracles avant de les accepter, les cherche au contraire et en met partout, pourquoi ce regard de la critique ne se porterait-il pas aussi légitimement sur les histoires bibliques et évangéliques? De là cette nouvelle et vaste science des mythes, qui étudie la manière dont les faits reéls deviennent des légendes fabuleuses, ou dont une pensée, un sentiment, un désir de la foule se revèt peu à peu d'une légende, qui la personnifie, science réelle, quoiqu'elle ait pu et dû souvent lâtonner et extravaguer, comme il arrive à toute nouvelle science. Voici donc la controverse arrivée à une troisième phase, qui est celle où nous sommes, celle de l'éxegèse universelle, où l'histoire est sondée dans tous les recoins, où toute tradition est analysée, comparée, classée, où par

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