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XI

Trois panégyriques de M. Clemenceau.

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court. M. Pierre Benoit. Notes sur Paul Margueritte, Louis Codet et Guillaume Apollinaire. Le cubisme littéraire. Quelques poètes cubistes.

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15 janvier 1919.

Nous sommes en pleine période de distributions de prix pour adultes.

Mais à tout seigneur tout honneur. Place d'abord au laurier civique. Par un miracle singulier, le plus amer et le plus cinglant des polémistes actuels, j'ai nommé M. Clemenceau, vient de ressusciter, en sa faveur, un genre littéraire assez délaissé l'éloge. C'est un genre forcément un peu limité puisqu'il exige qu'on glisse sur les défectuosités du modèle pour n'en célébrer que les beautés. Néanmoins, la sincérité, l'éloquence peuvent compenser ces restrictions.

Dans les trois panégyriques que coup sur coup MM. Georges Lecomte, Camille Ducray et Gus

tave Geffroy ont consacrés à M. Clemenceau, ce ne sont ni cette sincérité, ni cette éloquence qui manquent. Littérairement car il ne nous appartient de les juger qu'à ce point de vue on ne fera pas mieux. Toutefois, j'accorderais volontiers la palme au livre de M. Gustave Geffroy, non seulement pour la sûreté et l'abondance de la documentation, mais encore parce qu'il est signé d'un ami de toutes les heures, des bonnes comme des mauvaises, et dont la ferveur date de bien avant l'actualité et le succès. Tout ce que je reprocherais à l'ouvrage de M. Geffroy comme d'ailleurs aux deux autres ce serait de n'avoir pas fait plus de place à la campagne de trois années que mena M. Clemenceau dans l'Homme enchaîné. Pour la verve et l'âpreté, le polémiste atteignit dans ces pages le summum de sa forme. Et malgré les blessures que leur rappel eût pu raviver, ces morceaux mémorables méritaient mieux qu'une mention hâtive.

Mais qu'est-ce que le cavalier seul, qu'est-ce que le « walk-over » 'de M. Clemenceau auprès des compétitions acharnées que soulevèrent les autres prix? Tout ce qui s'agite d'ambitions, d'intrigues et de contre-brigues autour d'un prix littéraire, quel sujet de roman ou tout au moins de longue nouvelle! Quelle mine à remarques divertissantes et à psychologies curieuses! Il faudra qu'un jour l'auteur si informé et si mordant des Scènes de la Vie littéraire, M. André Billy, nous donne ce roman-là. Le succès en est assuré d'avance.

Pour nous, ces secrets de coulisses ne ressortissent pas de notre rubrique. Même les sachant, nous n'avons qu'à enregistrer et à apprécier les résultats. Comme si de rien n'était, reprenons donc le palmarès. Et quitte à reparler un autre jour des autres prix, arrivons tout de suite au prix Goncourt.

C'est aujourd'hui, parmi les grands prix littéraires, un des plus faiblement dotés. Le grand prix Lasserre, le grand prix de l'Académie française valent au lauréat le double. Le prix Goncourt n'en reste pas moins le plus envié, le plus guetté, et quelquefois le plus décisif pour la carrière d'un écrivain. On s'en occupe, on en discute, on s'y prépare des mois à l'avance. En dehors des lettrés, le grand public même s'y intéresse. Le matin de l'épreuve vous trouverez des midinettes, des saute-ruisseau à la recherche de tuyaux. Tel le Derby, dont le montant est moitié moindre que celui du Grand-Prix, mais qui passionne dix fois plus le monde des courses. En un mot, le prix Goncourt serait comme le Blue Ribbon de la littérature, le ruban bleu qui vous classe un entraîneur, je veux dire un éditeur et qui vous consacre un crack j'entends un auteur.

Popularité et prestige dont les causes ne sont pas si mystérieuses. On y retrouve d'abord ce goût sportif de la lutte qui se rencontre chez les spectateurs de tous les concours, qu'il s'agisse du Conservatoire ou d'une simple course en sacs. Et puis, le prix Goncourt, par la brusque renommée

et les forts tirages qu'il a conférés à certains de ses lauréats, ne fait pas que stimuler les candidatures. Il flatte aussi chez nous notre amour du conte de fée, des aventures optimistes, où du jour au lendemain, un coup de veine, un coup de baguette vous porte un homme de la misère à la fortune, de l'obscurité à la gloire. Enfin, tandis qu'à l'Académie française, les responsabilités du scrutin se dispersent entre quarante juges, dont tous les noms ne sont pas toujours présents à l'esprit, les dix arbitres du prix Goncourt, tant par leur notoriété individuelle que par leur chiffre restreint, prêtent à une surveillance plus étroite. On sait leurs œuvres, leurs tendances artistiques, leurs opinions. On peut sur ces données présager leur vote respectif ou, faute de mieux, en discuter. Bref, l'épreuve se dispute en partie double, les juges étant jugés par le public en même temps qu'ils jugent les candidats. Et tout cela crée alentour une fièvre d'appétits, d'espoirs, de rivalités, d'appréciations, de pronostics, de potins, qui fermente des mois durant, pour atteindre, le jour du match, aux plus hautes tempéra

tures.

C'est ainsi que chaque année, vers la fin de novembre, sauf en des périodes particulièrement maigres, se détache un grand favori, qui, sur le papier, c'est-à-dire d'après ses mérites littéraires, paraît imbattable. Mais, fréquemment, d'autres considérations que le mérite même interviennent dans le scrutin. Bien des pronostiqueurs, tablant

donc sur ces interventions, font choix d'un autre candidat, outsider de la dernière heure, pour battre le favori. Et il advient effectivement parfois que ce soit l'outsider qui gagne, comme nous en avons eu l'exemple pour les deux prix récents. En 1917, M. Georges Duhamel, avec la Vie des Martyrs, semblait avoir le prix en poche. Ce fut cependant M. Malherbe qui l'obtint. En 1918, on croyait les chances de M. Pierre Benoit hors de conteste. On posa contre lui la candidature de M. Duhamel et M. Pierre Benoit fut battu telle est la glorieuse incertitude du turf littéraire !

Cette année, du reste, malgré la classe brillante des deux favoris qui se partageaient les honneurs de la cote, il y avait inscrits dans l'épreuve, plusieurs concurrents de marque : M. Alexandre Arnoux avec Abisag, sorte de légende mi-pieuse, mi-fantastique où un art très personnel et très raffiné bride encore mal une fantaisie un peu fougueuse; M. Jean Giraudoux avec Simon le Pathétique, sorte de confession à la fois sentimentale et intellectuelle, livre gonflé de sève et de force, où s'affirment de nouveau les qualités de style et de pensée déjà si remarquées dans l'École des indifférénts; enfin, avec le Travail invincible, M. Pierre Hamp, un des écrivains les plus vigoureux de maintenant, sur lequel nous reviendrons un jour.

Pourtant, en fait, la lutte n'exista qu'entre M. Georges Duhamel et M. Pierre Benoit. Et, puisque l'occasion se présente, qu'il nous soit

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