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enclin aux opinions de sa sœur; puis encore Lucien Briant, hésitant, inquiet, timide, tous deux chargés de figurer le trouble de la bourgeoisie contemporaine entre les extrêmes qui l'assaillent.

Le conflit de ces personnages et le relief de leurs silhouettes, le choc de ces idées et les formules lapidaires ou piquantes, dont M. Capus a le secret pour les exprimer, voilà toute la pièce. L'ensemble compose en somme un assez dur réquisitoire contre la bourgeoisie.

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Le cas de ces sévérités n'est du reste pas exceptionnel chéz M. Capus. Nous en retrouverions maint exemple dans son théâtre si pittoresque, pénétrant, si varié dans Brignol et sa fille, entre autres, dans Rosine, dans Mariage bourgeois, dans l'Aventurier, voire, sur un ton plus fantaisiste, dans les Deux Écoles.

De sorte que la carrière de M. Capus présenterait trois phases.

Dans la première, celle où il donne Qui perd gagne, son chef-d'œuvre et un chef-d'oeuvre, M. Capus ne prend pas parti; une manière d'amoralisme le domine.

Dans la seconde, celle où se déroule son répertoire dramatique, l'égoïsme bourgeois et l'arrogance du capital ont souvent en lui un rude

censeur.

Dans la troisième, la présente, frappé par la gravité des événements, ému par la perspective des excès et des bouleversements où peuvent

conduire certaines doctrines, il revient à la tradition, s'en institue un des plus brillants champions; et je ne gagerais pas que, de temps à autre, il ne reçoive, avec des compliments, la carte de M. Briant le père.

Par une évolution naturelle et n'obéissant qu'à ses sentiments de l'heure, il se trouve donc avoir satisfait tous les publics qui forment le pays. N'estce pas le cycle accompli par la plupart de nos grands auteurs et la marque même du talent classique?

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Du côté académique, nous avons eu une quinzaine assez mouvementée.

L'Académie Goncourt, d'abord, s'est complétée par une élection qui n'alla pas sans commentaire. Le public et la presse ont paru choqués qu'on eût accordé le pas à M. Henry Céard sur M. Georges Courteline. Rien de plus justifiable pourtant que ce choix. L'Académie Goncourt représente un groupement amical et une école littéraire. Il semble dès lors normal qu'elle se recrute de préférence parmi les tenants de ce groupe et de cette école. M. Henry Céard avait été des Soirées de Médan, puis du Grenier Goncourt. Double raison pour qu'il eût sa place marquée dans l'académie. Tout ce qui peut étonner, c'est qu'on ne la lui ait pas offerte plus tôt. D'autant que M. Céard a à son actif des œuvres de haute qualité comme les Résignés ou Terrains à vendre au bord de la mer.

C'est de plus un fin lettré, un véritable littérateur, et l'espèce s'en fait rare. Son entrée à l'Académie Goncourt est donc, au demeurant, aussi légitime que l'eût été celle de Petrus Borel, par exemple, dans une académie romantique.

Quant à M. Courteline, son échec ne l'atteint pas plus que ne l'eût grandi son succès. Il n'y perdra ni un lecteur ni une once de célébrité. Croire le contraire sèrait donner dans l'erreur commune sur les honneurs académiques. Les Académies ne sont pas des Prytanées ou des Invalides exclusivement réservés aux gloires populaires. Il faut encore que, sous les lauriers, la personne qui se présente sache agréer, réponde à certains signalements, accuse certaines affinités.

Si une consécration vient néanmoins parfois des Académies, elle irait plutôt à ceux qui ne font pas métier d'écrire. Elle ajoute alors à ces renommées d'ordres divers comme un vernis littéraire qui les distingue aussitôt de leurs pareilles et les hausse en grade.

C'est peut-être pourquoi tant de députés et de sénateurs visent à un siège sous la Coupole. Élus de la nation, sous-secrétaires ministériels, ministres, présidents du Conseil même, hier encore ce n'étaient que des hommes politiques. Ils pénètrent à l'Institut. Les voilà du coup promus hommes d'État.

L'élection de M. Barthou fut particulièrement brillante. Assurément l'Académie voulut honorer en lui le personnage consulaire, l'orateur impor

tant, l'écrivain dont les lecteurs de la Revue de Paris savent les sagaces études sur Lamartine, l'historien de Mirabeau, l'ami des beaux livres, mais je croirais volontiers qu'elle n'oublia pas non plus, dans ses suffrages, le surintendant à la bienveillance duquel la littérature et elle-même devaient tant.

L'admission de Mgr Baudrillart, quoique moins aisée, marque un autre succès pour les bonnes lettres. Vous n'ignorez pas que les grands ouvrages historiques de ce prélat, érudit autant que libéral, font autorité, et vous avez certainement lu son éloquente biographie de Mgr d'Hulst. La droite a pu, à juste titre, s'enorgueillir de ce scrutin. Mais la gauche s'en féliciterait, qu'il n'y aurait pas à s'étonner. Sans considérer Mgr Baudrillart comme une recrue, je doute qu'elle y voie un adversaire.

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Enfin, entre MM. Henry Bordeaux et Abel Hermant, soit intransigeance des désirs contraires, soit inappétence l'Académie n'a pas réussi à se prononcer. Au quatrième tour, les partisans de M. Hermant ont donné des signes de lassitude tandis que ceux de M. Bordeaux déclinaient les aléas d'un cinquième. C'est un match à recommencer. Mais qui s'en plaindra? Ces parties nulles amusent toujours la galerie, et elles présentent en outre l'avantage de contenter tout le monde en ne satisfaisant personne.

IV

Le cas de M. Georges Ohnet. sibilité d'Octave Mirbeau. lisation de M. Denis Thévenin.

La Pipe de Cidre; la senL'usure du conte. Civi- Reprise de Turcaret.

Elections de MM. Jules Cambon, de Curel, Boylesve à

l'Académie française.

Le Grand Prix de littérature :

Mme Gérard d'Houville.

15 juin 1948.

Le mois dernier, la mort de Georges Ohnet a fait couler des flots d'encre non sur l'œuvre même du défunt, mais sur l'article célèbre que lui avait jadis asséné Jules Lemaître. Tant est grande la douceur de nos mœurs littéraires! A trente ans de distance, un éreintement y fait encore époque.

Les avis sur ledit article se sont partagés : les uns le jugeant parfaitement équitable, les autres d'une excessive sévérité.

Malgré mon admiration pour Jules Lemaître, que j'ai assez exprimée ici, je me rangerais volon

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