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vaient enflammé leurs ames; et les élevant 1795. au-dessus des intrigues de l'intérieur, ne leur avaient laissé un unique desir, celui de forcer les ennemis extérieurs à une paix glorieuse pour la république et pour eux-mêmes.

CHAPITRE I I.

Longue disette en France, et sur - tout à

J'AI

Paris.

AI parlé, en différens endroits de cet ouvrage, de la disette qui se faisait sentir dans une partie des provinces de France, depuis les premières années de la révolution, et des causes qui s'étaient réunies pour produire un fléau dont la violence, pesant surtout sur la population de Paris, favorisa merveilleusement les manoeuvres de ceux qui voulaient transférer dans cette capitale la première assemblée nationale. Les subsistances devinrent moins rares durant l'année 1792; mais bientôt l'immense consommation d'une armée de douze cent mille hommes les ravages des fertiles départemens de l'ouest par la guerre de la Vendée et l'émission inconsidérée d'une masse incalculable d'assignats, et les manoeuvres de la démagogique

puissance qui soulevait Paris, augmentèrent la pénurie.

La municipalité fit placarder, presque à la porte de chaque maison un arrêté trop mémorable, qui proposait un carême patriotique, afin, disait-on, que l'espèce des bœufs et des moutons eût le tems de se renouveler. Chaque bouche fut réduite à une livre de viande par décade, tandis qu'on ne recevait que quelques onces de pain par jour. Dans le même tems, les mêmes magistrats sollicitaient la convention de fixer un maximum du prix des comestibles dans toute l'étendue de la répu blique ; de prononcer la destruction des marchés publics, la suppression de tous intermédiaires entre le cultivateur et le consommateur, et le recensement général de chaque récolte après la moisson. La convention décréta ce maximum et l'étendit à toutes les marchandises.

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L'effet de cette mesure, sur les denrées, fut que les agriculteurs qui vendaient leur bled en assignats décrédités, ne retirant pas les frais de leur exploitation, n'ensemencèrent plus autant de terre que les années précédentes : le bled devint réellement rare. Les détachemens de l'armée révolutionnaire, semblables à des loups affamés, parcouraient les campagnes, se précipitaient sur les métairies, armés de fourches et de bayon

AN III

nettes, dévoraient le beurre, les œufs, les 1795. volailles, les moutons ; déliaient les boeufs dans les étables, en présence des propriétaires et vendaient leurs larcins à d'infâmes spéculateurs. Quelquefois ils mettaient le feu aux granges, après avoir vendu aux accapareurs une partie des bleds qu'elles contenaient. Ils rejetaient, ensuite, sur les manœuvres secrètes des royalistes, cet atroce résultat de leur insatiable avarice.

Ce fut alors que se formèrent, dans toutes les sections de Paris, de longues files de femmes et de filles qui passaient la nuit à la porte des corps -de-gardes, et bravant l'inclémence de l'air, attendaient patiemment, chacune leur tour, pour conquérir, au péril de leur vie, trois œufs et un quarteron de beurre distribués à neuf heures du matin. Ces rassemblemens furent, depuis, appelés queues, par les Parisiens, accoutumés à chercher du ridicule dans les choses les plus tristes. Ils durèrent plus de deux ans, et s'étendirent à tous les objets d'une consommation journalière.

Vous rencontriez ces queues à toutes les portes des bouchers et des boulangers; dès deux heures du matin, des milliers d'individus des deux sexes, éveillés éveillés par la faim,

se pressaient, s'agitaient la crainte de revenir les mains vides assombrissait tous les

visages. La ruse devenait une qualité commune à tous les derniers de la file savaient AN III.

se faufiler aux premiers rangs. Les femmes, poussées par le plus impérieux des besoins, luttaient avec les hommes; leur caractère s'aigrit par la résistance du plus fort; toutes devinrent plus irrascibles

toutes contrac

tant l'habitude de jurer: on ne distinguait plus leurs voix enrouées de celles des charretiers. Aux débats scandaleux succédaient des instans de silence on entendait alors les cris des enfans à la mamelle, et ceux d'autres enfans plus âgés, qui demandaient à leurs mères un morceau de pain qu'elles ne pouvaient leur procurer. La force armée des sections, sous les ordres des comités révolutionnaires, augmentaient le désordre : on voyait des gendarmes courir au galop dans des rues étroites; ils multipliaient les accidens, sous prétexte de les prévenir, et favorisaient par une astucieuse tactique le plus honteux trafic. Ils forçaient les expectans de se ranger deux à deux à la file; mais tandis qu'ils attendaient leur tour, en grelottant de froid, et maudissant les exécrables inventeurs de la famine, des porte-faix, formant de leurs larges épaules un rampart impénétrable devant les boutiques, enlevaient des quartiers de bœuf destinés aux privilégiés; et quand le partage du lion

était fait, la plupart des femmes, rangées 1795. deux à deux, n'avaient pas avancé d'un pas, et se retiraient sans nourriture.

On se jetait sur du poisson qui se vendait à l'enchère aux marchandes ambulantes. Ce poisson était corrompu; la disparition du beurre en avait suspendu le débit; la famine lui rendant de la valeur, cette nourriture causa de grandes maladies.

Les paysans circulaient dans les rues avec des paniers de volailles : la rigueur avec laquelle on enlevait les grains dans les campagnes, ne permettait plus de les élever. Cette abondance factice d'une denrée qui ne fut jamais le partage des pauvres, dura peu; elle fit place uniquement aux herbages et aux légumes secs amoncelés dans des magasins militaires. On regardait comme un événement heureux la découverte d'un litron de lentilles, que plus d'un ménage se vit réduit à manger sans aucun assaisson

nement.

Chacun vendait ses meubles pour se procurer de la farine, des haricots, du riz, du beurre ou quelques œufs; les maisons des fermiers furent transformées en magasins de tapissiers. Une mesure de farine à la main, un paysan enlevait tout ce qui lui était présenté les bagues, : les croix d'or, les

timbales

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