Page images
PDF
EPUB

timbales d'argent et tous les bijoux des habitans des faubourgs. Sa femme achetait AN III. les nipes des bourgeoises, elle mangeait sur des assiettes d'argent. Les meubles de damas, les tables d'acajou, les glaces resplendissantes se rencontraient à côté des chevaux, des charrues, du fumier. Un paysan et une paysanne allaient se placer au balcon des spectacles, et là, se pavahant avec un gros rire, ils méditaient de faire venir toute la comédie dans leur grange.

D'autres queues se formaient pour l'huile, le savon, la chandelle, le bois, le charbon. La municipalité de Paris, pour achever d'égarer un peuple crédule, avait placardé une affiche, dans laquelle tout marchand, boulanger, boucher et épicier, qui renoncerait à son commerce, serait réputé suspect et incarcéré. Tout disparut alors; le fromage, la chandelle, le savon, les fruits secs, le poivre, le sucre, le café étaient entassés dans les caves, les greniers, les maisons à louer. Les boutiques, fermant à la nuit tombante, ne se rouvraient que fort tard le lendemain. C'était à qui ne vendrait pas ; les individus se défiaient les uns des autres en faisant des échanges. Les commissaires des comités révolutionnaires, enrichis par des confiscations arbitraires, faisaient transporter, en cachette, leurs marchandises dans les maisons Tome VI.

B

des particuliers, auxquels on ne les livrait 1795. qu'avec de l'argent.

Les privations des choses de première nécessité furent endurées patiemment par les habitans de Paris ; non-seulement ils ne se soulevèrent point, ils étouffaient jusqu'à leurs murmures; ils respectèrent les magasins dans lesquels le comité de salut public de la convention avait amoncelé les denrées et les marchandises. La terreur, l'effroyable terreur avait opéré cette apathie universelle que la postérité aura de la peine à concevoir.

Après le 9 thermidor, la loi du maximum fut rapportée, mais ses effets désastreux devaient subsister long-tems. La famine ne disparut que lorsque les assignats tombèrent absolument, en ventose l'an 4.

Dans cet intervalle, la convention nationale termina ses séances; ses dernières opérations furent environnées d'un dédale presque inextricable. Les pétitionnaires des subsistances, qui n'avaient pas élevé leur voix révolutionnaire jusqu'au neuf thermidor assiégeaient journellement la barre, et y débitaient les maximes les plus extravagantes; c'est que les montagnards les envoyaient pour exciter des mouvemens populaires. Je parlerai bientôt de trois insurrections qui, dans l'espace de quelques mois, se manifestèrent dans Paris, et dont le but paraissait contradic

toire. Le royalisme voulut les tourner à son
avantage; mais il est constant qu'elles fu- AN III.
rent dirigées principalement par les mêmes
ils voulaient
hommes. Dans la première,
sauver la vie à des membres des anciens
comités du gouvernement, dont ils avaient
partagé les crimes et dont ils craignaient de
partager la punition. Dans la seconde
voulaient retablir la constitution anarchique
de 1793. L'objet de la troisième était de con-
server le sceptre du pouvoir.

[ocr errors]

ils

J'avais terminé mon récit aux événemens de vendémiaire, dans la première édition de mon Histoire de la Révolution ; je me proposais de laisser à d'autres observateurs lę soin de l'achever; je n'ignorais cependant ni les rapports étroits qui subsistaient entre les dernières opérations conventionnelles et la marche des affaires depuis l'établissement du régime constitutionnel, ni la gravité des convenances, qui semblaient devoir les renfermer dans le même cadre; mais j'étais arrêté par des considérations importantes.

D'un côté, malgré tous les moyens que je mettais en œuvre pour découvrir la vérité des faits qu'il ne m'était pas possible d'apprécier par mes yeux, je recevais des relations si diverses des causes et des circonstances du mouvement général qui agitait plusieurs départemens du Midi, que je craignais de

B 2

[ocr errors]

porter de faux jugemens dans un ensemble 1795. d'événemens dépendans les uns des autres, et dont les ramifications, aussi immenses que compliquées, couvraient la France entière. De l'autre, il répugnait à mes principes de parler éternellement du sang français versé par la main des Français. Je craignais qu'un monument, que je voulus élever à la gloire de la France, n'imprimât sur le nom français une tache d'infamie.

Au lieu de réveiller des haines, d'agiter des factions par des peintures funestes, par des tableaux alarmans, j'aurais voulu effacer, des pages de l'histoire, la triste monotonie du malheur et du crime; tarir cet océan de sang, anéantir cette masse de sottises, d'infamies, de calamités, de forfaits que je n'ai présentés, qu'en frémissant, sous les yeux de mes lecteurs. Le tems, qui guérit les blessures les plus envenimées me paraissait l'unique médecin auquel était réservée la guérison des plaies de ma patrie. Ce furent les motifs de mon silence.

,

Je n'appris qu'avec surprise qu'on l'attribuait à de vaines considérations de prudence oumême de pusillanimité. Parvenu aux bornes de ma carrière, que pourrais-je redouter des hommes ? J'emporterai dans la tombe l'estime des gens de bien; et si la méchanceté ou l'ineptie s'attachait à ma mémoire, mon

Histoire de la Révolution restera pour les confondre ; il est probable que je serai vengé AN III. par les races futures.

J'ai donc continué mon ouvrage par la seule raison que je l'avais commencé ; je le continuerai jusqu'au rétablissement de la paix en France. Si les cœurs sensibles et généreux tremblent de s'arrêter sur des tableaux si souvent répétés de meurtres et de brigandages, leurs regards fatigués se reposeront sur d'autres images, lorsqu'ils verront briller cette ardeur militaire qui fut toujours l'apanage de notre nation. Pour ce qui me concerne, en particulier, les tyrans peuvent disposer de mon corps; mais mon cœur est à la république et ma plume à la vérité..

CHAPITRE III.

Suite de la révolution de Pologne.

ON

Na suivi précédemment les efforts qu'avaient faits les Polonais, depuis la diète de 1788, pour consolider chez eux un gouvernement régulier sur les ruines du code absurde qu'ils tenaient de la cour de Pétersbourg, et qu'on'osait décorer du titre de constitution républicaine. Les magnats, gardiens de ce dépôt anarchique, abaissaient la noblesse,

« PreviousContinue »