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écrasaient les villes, et traitaient les habi1795. tans des campagnes comme un vil troupeau. Le pouvoir législatif détruit, le pouvoir exécutif paralysé, les grands devenaient insensiblement de véritables souverains dans leurs terres. De là les intrigues qu'ils employaient pour arrêter le cours d'une nouvelle révolution qui les privait d'une partie des avantages qu'ils devaient à la czarine Catherine II.

Dès l'année 1792, trois armées russes s'étaient cantonnées au cœur de la Pologne. Bientôt furent affichés, dans les rues de Varsovie, deux manifestes des cours de Berlin et de Pétersbourg; le premier daté du 27 janvier, et le second du 9 avril 1793. Les deux puissances annonçaient que, pour prémunir leurs états contre les principes du jacobinisme qui dominait en France, et qui commençaient à se répandre en Pologne, elles allaient s'assurer des provinces qui les avoisinaient. En conséquence, les Russes s'approprièrent l'Ukraine, la Podolie, la Volhynie presque toute entière, et la plus grande partie du duché de Courlande, tandis que le roi de Prusse occupait la grande Pologne, à laquelle il donnait le nom de Prusse méridionale.

Une partie des magnats polonais, parmi lesquels on distinguait les deux frères Kas

sakakowski, l'hetman Braniki, et le comte Félix Potoki, qui se flattait peut-être de AN III. monter sur le trône de Pologne, ratifièrent cette usurpation scandaleuse, qui réduisait la Pologne au tiers de son territoire et de sa population. Le reste même pouvait être regardé comme dépendant de la Russie, puisque les troupes russes n'en sortaient pas, et que le ministre de Pétersbourg à Varsovie dirigeait arbitrairement les opérations du gou

vernement.

Les Russes, répandus dans les provinces, exerçaient un brigandage dont l'histoire offre peu d'exemples. Varsovie ne fut pas exempte de leurs excès. Le général russe, Igielstrom, et le ministre russe Sievens, réunissaient, non-seulement pour tolérer les exactions que se permettaient les soldats, mais pour appesantir, sur les habitans des villes et des campagnes, le joug de la plus insupportable tyrannie. Les défenseurs de la Pologne avaient été contraints de se disperser; leurs héritages étaient confisqués, leurs familles réduites à la servitude. L'inquisition la plus rigoureuse était exercée au nom du gouvernement de Russie; et sous prétexte de rechercher les insurgés, il n'était aucun Polonais qui pût se flatter de n'être pas enlevé pendant la nuit, et conduit en Sibérie. Les Polonais, poussés au désespoir

par l'excès de l'oppression, prirent la réso 1795. lution de délivrer leur patrie des malheurs qui les opprimaient. Quelques-uns d'eux se rassemblèrent, et envoyèrent proposer à

Kosciusco de venir se mettre à leur tête.

ce

Thadée Kosciusco avait fait quelque séjour à Paris, durant les premières années de la révolution. Il put y puiser les élémens de la constitution qu'il se proposait de donner à sa patrie. Ses premiers essais, dont j'ai parlé dans le septième livre de cette histoire, n'ayant pas été couronnés du succès, guerrier s'était retiré à Leipsic avec Hugues Kolontay, Pierre Zajonczek, et Ignace Potoki, cousin de Félix Potoki, dont la femme était alors favorite de Catherine II. Ces quatre Polonais n'avaient pas balancé à se rendre aux desirs de leurs compatriotes, mais ils sentaient que, pour donner à la nouvelle insurrection la force dont elle avait besoin pour renverser les obstacles, il fallait perfectionner la constitution de 1790 et de 1791, et investir les habitans des campagnes de tous les droits politiques, réservés jusqu'alors aux nobles et aux habitans des villes.

Kosciusco et Zajonczek se hâtèrent de se présenter sur les frontières de Pologne. Le dernier pénétra dans Varsovie; il eut des conférences avec les principaux conjurés qui résidaient dans cette capitale, et sur-tout

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avec les officiers de la garnison polonaise, qui détestaient la hauteur insultante des AN III. Russes. Tout était disposé pour commencer l'insurrection, lorsque les généraux russes auxquels la présence de Kosciusco sur les frontières donnait de l'ombrage, prirent des mesures qui forcèrent les conjurés à différer leur expédition.

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Pour tromper la surveillance des généraux russes, Kosciusco passa en Italie; Zajonczek à Dresde où Ignace Potoki et Kolontay avaient fixé provisoirement leur résidence. Mais tout-à-coup Zajonczek reparut dans Varsovie. Le roi lui-même le dénonça au général russe Igielstrom, qui, n'osant pas le faire arrêter dans la crainte d'exciter un soulévement général contre la garnison russe, lui ordonna de quitter sur-le-champ le territoire polonais.

Le projet d'insurrection commençait à transpirer. Zajonczek, convaincu qu'il fallait agir sur-le-champ, ou renoncer à toute entreprise, embrassa le premier parti. Kosciusco, rappelé d'Italie, se trouvait, vers les premiers jours de 1794, dans Cracovie, où les Polonais avaient rassemblé environ douze cents cavaliers et trois mille fantassins. Kosciusco fut proclamé général de cette petite armá et, le 24 mars, fut publié l'acte d'insurrection conçu en ces termes :

1795.

CHAPITRE IV.

Kosciusco déclaré chef des insurgés. Acte

« N

d'insurrection.

ous tous, comme frères, comme concitoyens, joignons ensemble nos forces, et persuadés que l'heureux succès de notre entreprise dépend de la plus parfaite union nous renonçons à toutes les distinctions qui, jusqu'à présent, ont séparé les habitans de la même terre et les enfans de la même patrie. Nous promettons réciproquement de n'épargner aucun des sacrifices que l'amour sacré de la liberté peut commander à des hommes que le désespoir conduit à la conquérir. »

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En conséquence de ce préambule, les dénominations de seigneurs, de comtes, de princes, étaient supprimées. Il fut convenu que toutes les charges civiles, militaires et ecclésiastiques, seraient données à la capacité reconnue, sans égard à la naissance, ni à la différence de religion, à, l'égard des emplois militaires ou civils. On renvoyait, au moment de la paix, la formation des assemblées de canton qui devaient élire les représentans à une diète chargée de donner une nouvelle constitution à la Pologne.

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