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Témoin du courage, de l'énergie, de l'hé1795. roïque dévoûment avec lesquels la jeunesse française, se précipitant sur les frontières, en Flandre, en Allemagne, en Italie, en Espagne, chassait devant elle les armées des puissances coalisées, qui s'étaient flattées d'envahir nos provinces, et d'en disperser les lambeaux sanglans et déchirés, je remerciais le ciel d'avoirplacé ma naissance dans un siècle où je goûtais le noble orgueil de vivre et de mourir libre. Mais, lorsque les cris déchirans de la misère et du désespoir frappaient mes oreilles, qu'une désolation générale, peinte sur tous les visages, pénétrait jusqu'à mon réduit solitaire; lorsque des tigres qui déchiraient la France, pour se vautrer dans la fange des boucheries humaines détruisaient les monumens des arts, obscurcissaient les principes religieux, et brisaient le faisceau de la sociabilité, je dé. sespérais de la fortune. La valeur fonde les républiques, mais c'est la vertu qui les maintient. Le crime conduit à l'ignominie, l'ignominie à la bassesse la bassesse à l'insouciance, l'insouciance au despotisme.

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J'ai vu disparaître les bourreaux de ma patrie, enveloppés dans les filets qu'ils avaient tendus eux-mêmes. J'ai vu l'aurore d'un jour serein succéder à une longue, à une effroyable nuit de tempête, et toutes

les ames s'ouvrir à l'espoir du bonheur. France, tu dois devenir le séjour heureux AN III. et brillant de la liberté et de la gloire! et lorsque, dans toutes les parties du monde les cent voix de la renommée suffisent à peine pour célébrer les exploits de tes généreux guerriers, quel génie malfaisant pourrait arrêter ton vol audacieux vers tes hautes destinées ?

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Depuis dix ans que la France voulut une constitution libre, on dirait que des siècles entiers se sont écoulés sous nos yeux. Les vains hochets de la vanité furent brisés par la massue de l'opinion publique et par la force des circonstances. Leurs fragmens dispersés pourraient-ils encore se réunir comme les têtes de l'hydre coupées par Hercule et préparer, au sein de la France, une source empoisonnée de discordes et de crimes ? Le passé s'éloigne de nous; il fut flétri par les erreurs de tous les partis; la prudence et la raison nous ordonnent également de l'oublier. Quel Français, en s'élançant dans l'avenir, ne contemple pas avec enthousiasme la grandeur de l'héritage qu'il laisse à sa postérité ?

J'ai tracé la peinture des excès de tout genre qui ont accompagné notre révolution; peut-être étaient-ils inséparables d'un mouvement aussi colossal. Lorsqu'Octave,

Antoine et Lépide, formèrent le triumvirat 1795. qui devait changer le gouvernement de Rome, ils convinrent mutuellement de distribuer à leurs soldats à la fin de la guerre, pour récompenser leurs services militaires, le territoire de dix-huit villes d'Italie, enlevé pour jamais à leurs anciens possesseurs. Haec mea sunt, veteres migrate coloni!

Auprès de cet immense bouleversement, ceux qui se sont opérés auprès de nous, peuvent à peine être apperçus. D'ailleurs ces droits, ces prééminences que la noblesse française s'attribuait avec tant de hauteur, elle prétendait les tenir d'une ancienne réyolution.

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Si on en croit les panégyristes de cette nombreuse classe de dominateurs leurs ancê tres, sortis des forêts de la Germanie au cinquième siècle avaient conquis les Gaules; la distinction de noble et de roturier était le résultat de la victoire. Ce qu'une révolution avait élevé, une autre révolution l'a détruit. Les conquérans ont été conquis à leur tour; la force a brisé les chaînes que la force avait forgées; et les suites de cet événement, considéré avec les yeux de la philosophie, sont moins une expoliation que le rétablissement d'un équilibre sollicité par la nature.

Au milieu des forfaits commis par les

désorganisateurs, la république s'affermissait

par une marche audacieuse et foudroyante. AN III. Les ennemis de la révolution, que la France contenait dans son sein, comprimés par la terreur, gardaient le silence, bornant leurs efforts à se faire oublier. Un seul esprit dirigeait le corps législatif, les administrations, les armées, c'était l'esprit du cardinal de Richelieu. Oderint dum metuant. Cette unité de vue et d'exécution opérait des prodiges qui étonnaient l'Europe. Un régime austère avait éloigné des armées ces orateurs de trétaux, qui faisaient le désespoir des Lafayette, des Dumourier, des Custine des Biron. Les idées militaires prenaient, dans les légions, la place des questions politiques, dont les bizarres discussions y entretenaient précédemment un germe perpétuel d'insurrection.

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Saint-Just établit, en 1793, dans l'armée du Rhin, une discipline que les commissaires de la convention introduisirent bientôt dans les autres armées. Le code de ce député aurait peut-être paru trop sévère au grand Frédéric. Les soldats français obéissaient, sans murmurer, à des lois inexorables; effet qui ne saurait être expliqué que par le concours des idées de patrie et de liberté qui fortifie le commandement, et de celles d'égalité qui tempèrent l'obéissance.

La présence des commissaires convention1795. nels, dans les armées, contribuait encore à maintenir l'unité d'action nécessaire à tout gouvernement, mais sur-tout au sein de la guerre la plus active et la plus meurtrière. Elle réduisait les généraux à la simple exécution des plans tracés dans le comité de la guerre. Toute la puissance morale qui leur aurait donné une grande influence, était dans les mains des commissaires conventionnels. Ces généraux, passant d'une armée à une autre, sous le plus léger prétexte, ne communiquaient à aucune un esprit particulier. Il ne restait que ce sentiment national qui attachait fortement les soldats à la défense de leur patrie. Ainsi la convention évitait les dangers sous lesquels succomba le sénat romain après le meurtre de Cesar.

Tous les portraits qu'on nous a faits de la convention nationale, portent l'évidente empreinte des passions de ceux qui tenaient les pinceaux; mais il est certain qu'elle fut composée des hommes qui convenaient le mieux pour faire réussir une révolution. Quand la renommée publiait les triomphes inouis des armées françaises, que devait penser l'univers d'un gouvernement qui semblait avoir enchaîné la victoire à son char? Des hommes aussi violens qu'énergiques, méprisant les douces et humaines conceptions de la philo

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