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aussi agressifs et irrespectueux envers l'Empire qu'envers l'Église (et ce n'est pas peu dire). Enfin les étudiants français se faisaient remarquer par leur exaltation dans les congrès internationaux qui commençaient à se multiplier et où l'idée républicaine était glorifiée autant que la libre pensée.

Décret et lettre du 19 janvier 1867. — Napoléon III sentait bien peu à peu grandir autour de lui la désaffection et même le mépris. Affaibli par la maladie, inquiet, irrésolu, ballotté entre plusieurs partis contraires, il penchait une fois de plus vers celui des réformes. Le chef du tiers parti, dont il partageait à certains moments les illusions romanesques, se disait sûr de le sauver s'il voulait se confier à lui. C'est alors que l'empereur écrivit le décret et la lettre du 19 janvier, où Émile Ollivier crut voir le prélude de son prochain triomphe.

Ces deux documents ne renfermaient pourtant pas, tant s'en faut, toutes les concessions qu'il avait souhaitées. On voyait bien que Rouher avait retenu la main de l'empereur pour l'empêcher de donner trop. Le décret portait que dorénavant tout député ou tout sénateur pourrait interpeller le gouvernement sur sa politique. Mais, par contre, le droit d'adresse était supprimé; et d'autre part le droit d'interpellation était soumis à une procédure préalable qui, dans un grand nombre de cas, devait le réduire à néant. Il fallait en effet que toute demande d'interpellation fût signée de cinq membres au moins et adoptée par quatre bureaux (sur neuf au Corps législatif, et par deux sur cinq au Sénat) pour pouvoir donner lieu à un débat public. La discussion, du reste, ne devait pas être suivie d'un ordre du jour motivé et ne pouvait avoir pour effet que le rejet pur et simple ou le renvoi au ministre compétent. D'autre part, l'empereur annonçant que chacun des ministres pourrait être chargé par lui de représenter le gouvernement dans les débats du Luxembourg ou du Palais-Bourbon, on pouvait croire, à première vue, qu'il se ralliait par là, dans une certaine mesure, au principe de la responsabilité ministérielle. Mais il n'en était rien. La lettre au ministre d'État, qui accompagnait le décret, expliquait fort bien que, comme précédemment, les ministres ne dépendraient que du souverain, qu'ils ne pourraient pas plus

que par le passé être membres du Corps législatif, qu'il n'y aurait aucune solidarité entre eux, et qu'en vertu de la délégation spéciale du chef de l'État, ils seraient simplement ses porteparoles devant les Chambres.

La même lettre annonçait deux projets de lois, l'un qui affranchirait les journaux du bon plaisir administratif, mais qui les soumettrait à la juridiction des tribunaux correctionnels et non pas à celle des cours d'assises; l'autre qui rétablirait le droit de réunion publique, mais de telle sorte que les réunions ayant un caractère politique ou religieux pussent toujours être interdites par l'administration, et que les autres pussent être dissoutes à volonté par la police.

Hésitations de Napoléon III; lutte de Rouher et d'Émile Ollivier. - Les sacrifices que faisait Napoléon III n'étaient pas en rapport avec les espérances et les désirs de l'opinion publique, qui, dès cette époque, dépassaient de beaucoup un pareil programme. En tout cas, pour que l'Empire pût en bénéficier, il eût fallu que l'empereur appliquât avec largeur d'esprit les principes nouveaux qu'il paraissait avoir adoptés et se hatât d'appeler aux affaires des hommes nouveaux. C'est ce que son incurable versatilité l'empêcha de faire.

Rouher, que tout le monde s'attendait à voir renvoyé, parut au contraire consolidé au pouvoir, puisque, sans cesser d'ètre ministre d'État, il fut nommé par surcroît ministre des Finances. Peu après, avec son ordinaire assurance, il se vantait devant le Corps législatif de s'être associé depuis longtemps aux pensées libérales de l'empereur et revendiquait l'honneur d'avoir contribué de toutes ses forces aux nouvelles réformes (qu'il avait retardées de son mieux et qu'il se proposait de faire avorter). La majorité de l'assemblée, qui le préférait de beaucoup à Ollivier et qui le comprenait à demi-mot, applaudissait avec enthousiasme à cette feinte palinodie. Il se formait, sous les auspices du ministre d'État, un groupe nombreux de députés (le « cercle de la rue de l'Arcade ») avec un programme nettement réactionnaire ou conservateur. Le Sénat, comme effrayé de la puissance nouvelle que venait d'acquérir la Chambre élue, sollicitait l'honneur de faire contrepoids en participant à l'exer

cice du pouvoir législatif. Le gouvernement lui donnait satisfaction en lui faisant voter le sénatus-consulte du 12 mars, qui lui donnait le droit non plus seulement d'apprécier les lois sous le rapport de leur constitutionnalité, mais de les examiner au fond et de les renvoyer au Palais-Bourbon. Puis Rouher et ses amis obtenaient de l'empereur que Walewski fût contraint de résigner la présidence du Corps législatif. Les projets de lois sur la presse et sur les réunions publiques, systématiquement négligés, ne venaient pas en discussion et paraissaient renvoyés aux calendes grecques. Bref, Émile Ollivier était magistralement joué, et de toutes parts on riait de lui. Tout d'abord il s'était efforcé de dissimuler son dépit. Au bout de quelques mois il perdit patience, et dans un discours violent prit personnellement à partie le vice-empereur, qu'il représentait comme le mauvais génie de l'Empire et de la France. Il ne réussit qu'à rendre plus éclatante la faveur de Rouher, à qui l'empereur adressa le lendemain la lettre la plus amicale, en lui envoyant la plaque en diamants de grand-croix de la Légion d'honneur, pour le dédommager des injustes attaques dont il était l'objet » (12 juillet).

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Les «< points noirs » en 1867. - Cependant le décret du 19 janvier, malgré le mauvais vouloir du gouvernement et des mamelucks, commençait à porter ses fruits, en ce sens que certaines demandes d'interpellation ne pouvaient être écartées et que les abus et les fautes de l'Empire étaient signalés avec plus d'éclat que par le passé. La politique extérieure de Napoléon III, prêtait particulièrement aux critiques de l'opposition. En mars 1867, Thiers retraçait au Palais-Bourbon, avec son habituelle lucidité, les phases de cette révolution allemande, si menaçante pour la France et que l'empereur n'avait su ni prévenir, ni diriger, ni mettre à profit. « Il n'y a plus une faute à commettre », s'écriait-il tristement en terminant. Rouher répliquait en vain qu'il n'y avait pas eu une seule faute commise. La majorité même, tout en applaudissant à cette

4. On appelait ainsi les bonapartistes intransigeants qui, comme Granier de Cassagnac, repoussaient toute réforme libérale et trouvaient toujours la constitution de 1852 sans défauts.

affirmation, n'y croyait pas et partageait au fond l'avis de Thiers, qui était celui de presque toute la France.

L'Exposition universelle qui eut lieu peu après (1er avril1er novembre 1867) et qui attira tant de souverains à Paris, ne put, malgré ses splendeurs, faire oublier à la France son prestige amoindri, son honneur compromis, sa sécurité menacée. Les fêtes qui l'accompagnèrent furent troublées soit par de nouveaux échecs de la politique impériale, comme l'avortement de la négociation relative à l'acquisition du Luxembourg; soit par des incidents de nature à compromettre nos relations, comme les manifestations hostiles et la tentative d'assassinat dont l'empereur de Russie, Alexandre II, fut l'objet pendant son séjour à Paris '; soit enfin par de mortifiantes nouvelles, comme celle de l'exécution de l'empereur Maximilien, notre protégé, qui, pris par les Mexicains après le départ des troupes françaises, fut condamné à mort et fusillé le 19 juin. La popularité de Napoléon III, déjà réduite à bien peu de chose, s'évanouit tout à fait à la suite de ce dernier événement. Aussi se laissa-t-il aller, dans un moment de découragement, à reconnaitre publiquement que nous avions subi des revers et à signaler les points noirs qui assombrissaient notre horizon (discours de Lille, 27 août 1867).

Seconde expédition de Rome et nouvelles exigences du parti ultramontain. Ses embarras étaient encore aggravés par une violente recrudescence d'opposition cléricale. Si les républicains et les libéraux se plaignaient toujours qu'il méconnut les principes de la Révolution, les ultramontains lui reprochaient au contraire avec aigreur de leur sacrifier les intérêts de l'Église. En vain, pour leur complaire, Napoléon III laissait, au mépris de la convention de septembre, des soldats et des officiers français passer au service du pape. Ils voulaient une seconde expédition de Rome et s'efforçaient d'entrainer l'empereur dans des compromissions nouvelles qui, en face du

1. La cause de la Pologne était encore très populaire en France. Le souvenir de l'insurrection de 1863 était dans toutes les mémoires. Des cris de: Vive la Pologne! furent poussés sur le passage du tsar, et un coup de pistolet fut tirė sur lui par un jeune Polonais, Bereszowski, que peu après le jury de la Seine ne déclara coupable qu'avec admission de circonstances atténuantes (juin 1867).

parti révolutionnaire, chaque jour grandissant, ne pouvaient que l'affaiblir et le discréditer davantage.

L'Univers, leur principal organe, autorisé depuis peu à reparaître, était plus arrogant que jamais. Certains évêques (Dupanloup, Pie, Plantier, etc.) harcelaient sans relâche le gouvernement et, quelle que fût sa condescendance, ne le trouvaient jamais assez bon catholique. Le ministre Duruy, qui travaillait avec zèle à démocratiser l'instruction publique 1, était particulièrement en butte aux attaques du parti ultramontain. On ne pouvait lui pardonner de vouloir multiplier les écoles, éclairer le suffrage universel, et surtout de revendiquer pour l'État le droit de prendre part à l'éducation des femmes. Son projet de loi sur l'enseignement primaire, discuté en 1867, était dénoncé comme attentatoire à la religion parce qu'il tendait à faire rentrer dans le droit commun les membres des congrégations enseignantes, privilégiés par la législation antérieure. Au Sénat, on reprochait au gouvernement de ne pas faire respecter la loi du dimanche et de laisser à peu près libre une philosophie qui avait la prétention de ne tenir aucun compte de la théologie. Des pétitions adressées à la haute assemblée demandaient que les bibliothèques populaires fussent expurgées, que les ouvrages de Voltaire, de Rousseau, de Michelet, de Renan, de Jean Reynaud, de George Sand et bien d'autres en fussent exclus. Sainte-Beuve s'attirait, pour avoir pris la défense de la libre pensée et de la science, les huées et les outrages du Sénat presque tout entier. L'École normale supérieure, pour l'avoir loué de son courage, était licenciée, par la volonté de l'impératrice (juillet 1867).

Bientôt l'attaque du petit État romain par les bandes garibaldiennes rendit plus impérieuses et plus pressantes les exigences des ultramontains français. Napoléon III, sommé de retourner au secours du pape, mit d'autant plus d'empressement à s'exécuter qu'avant de prendre le commandement de ses volontaires, Garibaldi était allé présider à Genève le Congrès de la

1. Il favorisait de toutes parts la fondation des bibliothèques populaires, les conférences publiques, organisait dans les lycées et collèges l'enseignement spécial et donnait à l'instruction primaire la plus vigoureuse impulsion.

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