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paix qui, d'accord avec l'Association internationale1, avait convié tous les peuples à marcher sous le drapeau de la République. Ce fut donc à la fois pour regagner les bonnes grâces du parti catholique et pour intimider le parti révolutionnaire que, à la fin d'octobre, Napoléon III fournit au pape le corps de troupes dont les chassepots, peu de jours après, « firent merveille » à Mentana (3 novembre). Grâce à lui le Saint-Père put encore demeurer quelque temps souverain de Rome.

Après ce nouveau service rendu au pape, Napoléon III eût bien voulu reprendre sa liberté d'action. Le parti clérical ne le lui permit pas. Dès le 29 novembre le gouvernement fut interpellé au Sénat et invité à prendre de nouveaux engagements envers le Saint-Siège. Soutenu par le vieux gallican Bonjean et par l'archevêque de Paris Darboy, il n'eut pas trop de peine, cette fois, à esquiver la difficulté. Mais il n'en fut pas de même au Corps législatif, où les affaires d'Italie furent discutées le 5 décembre avec beaucoup plus d'éclat. L'opposi tion démocratique reprocha au gouvernement d'être retourné au secours du pape. Mais elle n'avait pas pour elle la majorité de la Chambre, qui, foncièrement conservatrice et catholique, marchait en cette occasion derrière Thiers et Berryer, ennemis déclarés de l'Empire, et ces orateurs sommaient au contraire Napoléon III de ne pas quitter Rome. L'ancien ministre de Louis-Philippe fit une fois de plus le procès de la révolution italienne; il représenta la chute du pouvoir temporel du pape comme le plus grand malheur que la France pût redouter, et cela en termes si émus, si passionnés, que la plus grande partie de l'assemblée fut subjuguée. Rouher ne trouva d'autre moyen de reconquérir la majorité que de renchérir sur la doctrine que Thiers venait d'exposer et il prit au nom de son souverain le plus imprudent des engagements: « Nous le déclarons au nom du gouvernement français, l'Italie ne s'emparera pas de Rome. Jamais, jamais la France ne supportera cette violence faite à son honneur et à la catholicité. » Et deux cents voix répétaient frénétiquement avec lui : « Non, jamais, jamais!

1. Dont le Congrès annuel se tenait dans le même temps à Lausanne.

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Dès lors et jusqu'à la fin de son règne, Napoléon III allait demeurer prisonnier de l'Église. Enhardi par sa faiblesse, le clergé lui parlait de plus en plus haut et plus que jamais prétendait régenter l'État. En 1868, les évêques multipliaient leurs attaques contre l'Université et dénonçaient les membres de ce grand corps, élèves et maîtres, comme des propagateurs de doctrines perverses et immorales. Ils reprochaient violemment à Duruy d'avoir institué des cours secondaires pour les jeunes filles, qui ne devaient être élevées, au dire de Dupanloup, que « sur les genoux de l'Église Ils réclamaient, sous le nom de liberté de l'enseignement supérieur, le droit d'imposer silence à leurs adversaires; c'est ce que démontra Sainte-Beuve dans son dernier discours au Sénat (mai 1868). Enfin le pape ayant convoqué le concile général qui devait s'ouvrir à Rome au mois de décembre de l'année suivante', ils faisaient assez connaître déjà qu'ils ne s'y rendraient, en grande majorité, que pour proclamer l'infaillibilité pontificale et ériger en dogmes. les principes du Syllabus.

».

Nouvelles lois sur l'armée, la presse et les réunions publiques. Le gouvernement impérial, que de pareils alliés discréditaient sans le servir, achevait de s'effondrer sous la poussée des oppositions de tout genre au milieu desquelles il se débattait, et ne savait plus s'orienter. Ses intentions étaient incriminées même quand il avait raison, et parfois sa politique n'était pas moins contrariée par ses amis que par ses ennemis. Il eut beaucoup de peine à faire voter le projet de loi militaire grace auquel il espérait mettre la France en état de lutter contre la Prusse à armes égales (loi du 1er février 1868). Les républicains, en haine du militarisme, le combattirent de toutes leurs forces. Les libéraux du tiers parti et même les mamelucks ne l'acceptèrent qu'à contre-cœur, à cause des sacrifices qu'il imposait à la bourgeoisie; la masse du peuple ne l'accueillit qu'avec répugnance, parce qu'elle n'y vit qu'un surcroît de charges pour elle. Voilà pourquoi le gouvernement intimidé recula devant l'application immédiate de la loi nouvelle, et com

4. Sans y convier, comme l'avaient fait ses prédécesseurs, les ambassadeurs des grandes puissances catholiques.

ment la garde nationale mobile, qui devait doubler l'effectif de notre armée, n'existait encore à peu près que sur le papier au moment de la déclaration de guerre à la Prusse en 1870.

L'empereur se dérobait depuis un an à l'obligation de tenir sa promesse relativement à la liberté de la presse et au droit de réunion. Mais le public en réclamait si impérieusement l'exécution que Napoléon III et ses ministres jugèrent sage de ne pas lui refuser plus longtemps cette satisfaction. La loi sur la presse, promulguée le 11 mai, affranchit les journaux en ce sens qu'elle mit fin au régime de l'autorisation préalable, des avertissements, des suspensions et suppressions administratives. Il est vrai qu'au lieu de les déférer au jury en cas de poursuites, elle les soumettait aux tribunaux correctionnels, dont l'indépendance politique était fort contestée; et qu'elle laissait subsister, avec les entraves fiscales les plus gênantes (timbre, cautionnement, etc.), les pénalités excessives d'autrefois, l'immunité des fonctionnaires et ces vagues définitions de délits qui, dans la pratique, pouvaient rendre l'usage de la liberté impossible ou du moins fort dangereux. D'autre part, la loi du 6 juin 1868 autorisa bien en principe les réunions publiques, mais sous des réserves telles que l'administration et la police restaient, en fait, maîtresses de les interdire ou de les dissoudre à volonté. Quant au droit d'association, depuis si longtemps confisqué, elle n'en dit pas un mot.

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Le parti républicain en 1868. Ces concessions incomplètes, faites de mauvaise grâce, venaient trop tard et dénotaient trop d'arrière-pensées de revanche et de réaction. L'opposition n'y vit que la restitution forcée et partielle d'un bien frauduleusement ravi à la France le 2 Décembre; non seulement. elle n'en témoigna aucun gré à l'Empire, mais elle n'employa les armes qu'il lui rendait qu'à le combattre avec plus d'acharnement et d'efficacité.

La loi nouvelle sur la presse donna bientôt naissance à une foule de journaux qui, sans souci des poursuites et des condamnations, et les recherchant même pour accroître leur popularité, prirent ouvertement pour programme la destruction de l'Empire et la restauration de la république. Jusque-là les

feuilles d'opposition ne s'étaient en général attaquées aux choses et aux hommes de l'Empire qu'avec une certaine déférence apparente et des ménagements infinis dans la forme. Il n'en fut plus de même quand Henri Rochefort, déchirant tous les voiles et déshabillant toutes les idoles, criant en pleine rue ce que la veille encore on se bornait à chuchoter à huis clos, se fut donné pour tâche de rendre l'empereur, ses proches, ses ministres, non seulement odieux, mais ridicules, et y eut réussi par la verve irrespectueuse jusqu'à l'outrage de sa Lanterne. Ce petit pamphlet hebdomadaire eut un succès prodigieux. Vainement la justice essaya de le supprimer. L'auteur, pour éviter la prison, s'enfuit en Belgique, où sa violence de plume ne fit que croître, et la Lanterne, introduite en contrebande, continua de circuler en France avec l'attrait du fruit défendu. Dans le même temps, des milliers de réunions publiques avaient lieu dans les grandes villes, principalement à Paris, où les socialistes et les républicains avancés, s'assemblant librement sous couleur de traiter simplement des questions économiques, mettaient chaque jour en question, avec la religion et la propriété, les institutions impériales. Ces réunions, fort tumultueuses et fréquemment troublées par des rixes violentes, étaient presque toujours dissoutes par les commissaires de police, ce qui ne les empêchait pas de se reproduire et les rendait chaque jour plus agitées. La classe ouvrière et la jeunesse des écoles vivaient dans une exaltation qui grandissait à la lecture des feuilles nouvelles ou d'ouvrages historiques passionnants, comme le Paris en décembre d' d'Eugène Ténot. On attendait, on demandait la revanche du coup d'Etat. On commença bientôt à la provoquer par des manifestations. en plein air. Le 2 novembre 1868, la tombe de Baudin', qu'on avait découverte au cimetière Montmartre, fut l'objet d'un pèlerinage républicain qui donna lieu à de véritables appels à l'insurrection. Une souscription fut organisée par plusieurs journaux pour élever à ce représentant un monument digne de lui, et le gouvernement eut la maladresse d'en poursuivre les

1. Membre de l'Assemblée législative, qui avait péri le 3 décembre 1851 sur une barricade, victime de son dévouement à la loi.

auteurs, dont le procès eut dans tout le pays le retentissement le plus fâcheux pour l'Empire. Les débats de cette cause eurent surtout pour effet de mettre en lumière la personnalité de Léon Gambetta, qui, la veille encore inconnu du grand public, se révéla tout à coup à la France nouvelle, par son éloquence vengeresse, comme le plus puissant de ses orateurs.

Élections générales de 1869. - L'empereur devait d'autant moins se faire illusion sur la gravité de sa situation que, sans parler de ce qu'il pouvait lire dans les journaux, il recevait depuis longtemps du préfet de police Pietri les rapports les plus alarmants sur l'évolution de l'esprit public'. Aussi constatait-il avec tristesse, à l'ouverture des Chambres (le 18 janvier 1869), que des esprits aventureux et subversifs cherchaient à troubler la tranquillité publique. Il ajoutait, il est vrai, avec une confiance affectée, que la nation restait insensible à cette agitation factice, parce qu'elle comptait sur la fermeté du gouvernement pour maintenir l'ordre. C'étaient là des mots et rien de plus. L'opposition continuait à gagner du terrain au Corps législatif. Elle obligeait par exemple le gouvernement à résigner l'autorité discrétionnaire qu'il exerçait depuis si longtemps sur les finances de la ville de Paris. Hors du PalaisBourbon, ses progrès étaient chaque jour plus manifestes. Les élections générales, qui étaient proches, s'annonçaient si mal pour le gouvernement que certains députés, qui lui devaient leurs sièges, déclinaient son patronage, et que les candidats officiels, dissimulant leur titre, prenaient maintenant celui de conservateurs libéraux.

Le renouvellement du Corps législatif eut lieu le 23 et le 24 mai 1869 et, comme on pouvait s'y attendre, ne fut guère profitable à l'Empire. Les efforts désespérés de l'administration furent neutralisés dans un grand nombre de circonscrip

1. Dès le mois de septembre 1867 et depuis, à plusieurs reprises, ce fonction. naire lui avait signalé l'hostilité systématique de la classe dirigeante, c'est-àdire de la bourgeoisie, et exprimé la crainte que les masses populaires ne se laissassent bientôt entrainer dans l'opposition. (Voir ses rapports dans les Papiers secrets et correspondance de la famille impériale.)

2. La loi de 1869 établit en effet qu'à l'avenir le budget extraordinaire de la ville de Paris, voté d'abord par le Conseil municipal, serait soumis ensuite au Corps législatif et qu'il en serait de même du règlement définitif de ce budget.

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