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renouvellement de la convention de 1841 relative aux Détroits, neutralisaient la mer Noire où la Russie et la Turquie ne devraient avoir ni flottes de guerre, ni arsenaux; proclamaient la liberté de la navigation du Danube dont les embouchures seraient aménagées sous la surveillance de délégués des sept puissances. La frontière russe en Bessarabie était modifiée de façon à ce que le delta du Danube appartint en entier à la Moldavie. En Asie, la frontière russo-turque était rétablie telle qu'elle était avant la guerre. Les privilèges et les libertés des Principautés danubiennes maintenues sous la suzeraineté de la Porte, étaient garantis par toutes les puissances; tout protectorat russe ou turc était aboli; leur administration serait indépendante et nationale. Les mêmes garanties étaient assurées à la Serbie.

Les résultats.

Telles furent les dispositions principales du traité de Paris. Pour la première fois au XIXe siècle le sultan signait un traité qui ne consacrait aucun démembrement de son empire, aucun affaiblissement de sa puissance. La Turquie obtenait ce qui lui avait été refusé à Vienne, en 1815, sa place dans le concert des puissances et son entrée dans le droit public européen. Il lui était même fait une situation privilégiée, puisque l'intervention bienveillante, la médiation des autres États était assurée, en vue d'éviter la guerre, chaque fois que naîtrait un conflit où elle se trouverait impliquée. Bien plus, on la proclamait intangible à l'avenir et l'on faisait du principe de l'intégrité de l'empire ottoman, comme du principe de son indépendance intérieure, deux dogmes du droit international et de la diplomatie. Enfin la France et l'Angleterre en détruisant la puissance militaire de la Russie sur la mer Noire, l'Europe en se portant garante que cette puissance ne serait pas reconstituée, assuraient la sécurité de la Turquie : c'est elle qui retirait le plus clair bénéfice de la guerre.

L'Autriche, en apparence au moins, et l'Angleterre étaient après la Turquie les gros bénéficiaires : l'une voyait la Russie exclue des Principautés, écartée du Danube; l'autre avait anéanti une force navale qui aurait pu quelque jour intervenir dans la Méditerranée et y contrecarrer la politique anglaise.

Mais la première avait exaspéré et la Russie par son ingratitude, et les Alliés par sa politique hypocrite. C'est elle qui au congrès avait réclamé avec acharnement la cession de la Bessarabie à la Moldavie. « Il ne sait pas, M. le plénipotentiaire d'Autriche, disait le comte Orloff, il ne sait pas combien de larmes et de sang cette rectification de frontière coûtera à son pays. » La Russie devait tenir sa vengeance trois ans plus tard, en Italie. Quant à l'Angleterre, en exigeant qu'aucun arsenal ne fùt créé, qu'aucune flotte ne fût construite par la Russie sur la mer Noire, elle avait outrepassé la mesure. Momentanément abattue, la Russie pouvait subir ces conditions mais à la première occasion favorable elle déchirerait un traité humiliant et dont le maintien n'importait en somme qu'à l'Angleterre seule.

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Le gain de la France était purement moral c'était, en Europe, son prestige recouvré; en Orient, sa prépondérance rétablie; d'avantages matériels elle n'en avait point cherché : « elle était assez riche pour payer sa gloire ». Mais Napoléon avait atteint un résultat qui échappa d'abord à beaucoup; il avait disloqué la coalition des États absolutistes, Russie, Prusse, Autriche par là se trouvait facilitée et préparée la réalisation de son idée favorite, l'émancipation de l'Italie. Le fait apparut clairement lorsqu'à la fin du congrès, à la suite d'une entente entre l'empereur et Cavour, le comte Walewski, à propos de l'occupation du Pirée par les troupes françaises, en vint à parler des États italiens occupés par des troupes étrangères, signala l'irrégularité et les dangers de la situation dans les États de l'Église et le royaume des Deux-Siciles, et conclut à la nécessité d'adresser aux souverains des « avertissements ». Les plénipotentiaires autrichiens se trouvèrent sculs à protester. S'il ne fut pris aucune résolution ferme, il n'en resta pas moins, comme devait le dire Cavour, que « la question italienne était désormais entrée dans l'ordre des questions européennes ». Ce ne fut pas le moindre résultat de la guerre d'Orient.

Sur la proposition de la France le congrès adopta dans sa dernière séance une déclaration en quatre articles, inspirée des règles qu'avaient suivies les Alliés pendant la guerre. « La course est et demeure abolic. Le pavillon couvre la marchan

HISTOIRE GÉNÉRALE. XI.

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dise ennemie à l'exception de la contrebande de guerre. La marchandise neutre, à l'exception de la marchandise de guerre, n'est pas saisissable sous pavillon ennemi. Les blocus, pour être obligatoires, doivent être effectifs. » Il y avait près d'un siècle que la France luttait pour l'adoption de ces principes.

IV.

La Turquie et les Chrétiens des Balkans.

Le hatti-humayoun de 1856. Le hatti-humayoun du 18 février 1856, s'il eût pu être appliqué loyalement et intégralement, aurait changé sans doute les destinées de l'empire ottoman. C'était sur le papier une véritable révolution, un 89 impérial. Proclamant l'égalité de tous les cultes et de toutes. les nationalités, l'égalité de tous ses sujets devant l'impôt et le service militaire, l'admissibilité des chrétiens à tous les emplois (art. 8), le sultan bouleversait l'organisation traditionnelle de son empire, où tout reposait depuis des siècles sur le principe de la sujétion du Chrétien au Turc, de l'oppression du raïa par le musulman. Le hatti-humayoun spécifiait en outre qu'il serait créé des tribunaux mixtes et que les chrétiens auraient une représentation dans le conseil d'État. Il promettait une prompte codification des lois civiles et criminelles, une réforme de la police et du système pénitentiaire, la réorganisation des administrations provinciales, l'amélioration des voies de communication, la création d'établissements de crédit pour le commerce, la refonte du système monétaire, voire même l'établissement d'un budget annuel des recettes et des dépenses. Tous ces beaux projets devaient rester lettre morte par suite de l'opposition des intéressés, chrétiens aussi bien que musulmans. Les musulmans estimaient qu'il y avait danger à armer les raïas; ils admettaient moins encore que ces raïas pussent dans les régiments commander aux fidèles du Prophète. A l'obligation du service personnel les chrétiens préféraient l'ancien système du kharadj, véritable taxe d'exonération : l'impôt en argent leur allait mieux que l'impôt du sang. On admit d'abord le remplacement, et l'on en revint ensuite à la taxe

sous un nom nouveau (bedel-i-askeriyeh). D'autre part la proclamation de l'égalité entre tous les sujets du sultan devait entraîner la suppression, tout au moins la revision des privilèges accordés aux communautés religieuses de là une vive opposition des patriarches et des évêques, qui savaient bien que ces privilèges leur donnaient seuls quelque sécurité, et que le régime de l'égalité serait immédiatement pour eux le régime de l'arbitraire. Si bien que la réforme générale promise en 1856 n'eut d'autre résultat que la création de quelques fonctionnaires nouveaux et de deux ministères, celui de la Justice et celui de l'Instruction publique. Vainement en 1859 la Russie réclama une enquête sur la situation faite aux Chrétiens, et les divers gouvernements européens exprimèrent officiellement le regret que le sultan ne procédàt pas à une application graduelle et soutenue des réformes ». L'enquête commencée en 1860 par le grand-vizir n'aboutit pas.

massacre

Les affaires du Liban. Le massacre des consuls de France et d'Angleterre à Djedda (15 juillet 1858) immédiatement suivi du bombardement de la ville par notre flotte avait prouvé que le fanatisme musulman demeurait le même. Les affaires de Syrie (mai à juillet 1860) prouvèrent que la Porte se ferait toujours complice de ce fanatisme. Les Druses dans le Liban et l'Anti-Liban se jetèrent sur les Maronites et se livrèrent à d'effroyables massacres. A Damas (9 au 14 juillet), l'héroïsme d'Abd-el-Kader, qui avec ses Algériens se jeta dans la mêlée et fit de son palais un asile, empêcha seul l'égorgement total de la population chrétienne. Les autorités turques, le maréchal Ahmed pacha, gouverneur de Damas, et le gouverneur de Syrie Kurchid pacha n'avaient rien fait pour empêcher ces atrocités, auxquelles sur certains points, spécialement à Damas, les troupes ottomanes avaient même. participé. Le gouvernement français n'oublia pas que la protection des Maronites lui appartenait. Tandis qu'il préparait l'envoi à Beyrouth d'un corps expéditionnaire, il exigea justice à Constantinople dans les termes les plus énergiques. La Porte prit peur et sévit. Fuad pacha envoyé en Syrie fit fusiller Ahmed pacha et exécuter 185 musulmans complices ou auteurs des

massacres. Une commission internationale réunie à Beyrouth, en 1861, essaya de réorganiser l'administration de la montagne; une convention signée à Constantinople le 9 juin établit un gouverneur unique, pris parmi les chrétiens, relevant directement du sultan, nommant les fonctionnaires et les juges, percevant l'impôt, assurant l'ordre au moyen de milices locales, les troupes turques étant exclues.

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Abdul-Asiz. Fuad et les finances. Le 25 juin 1861, Abdul-Medjid mourait. Son successeur Abdul-Asiz était l'espoir du parti Vieux Turc et des ennemis de toute transformation. Il parut devoir tromper ces espérances. Son premier acte fut d'adresser au grand-vizir un hatti-cherif où il annonçait sa volonté de poursuivre l'œuvre des réformes; puis il supprima. le harem et déclara qu'il n'aurait qu'une femme. En fait, le pouvoir fut presque constamment exercé par deux des hommes. de la Jeune Turquie, Fuad pacha jusqu'à 1866, puis Ali pacha, l'un et l'autre anciens plénipotentiaires au congrès de Paris, le second célèbre dans tout l'Empire, parce que fait presque unique - il n'avait jamais voulu accepter un pot-de-vin. L'un et l'autre se vouèrent à la double tâche d'essayer de rétablir les finances et de réaliser au moins en partie les promesses de 1856.

Fuad s'occupa plus particulièrement des finances, que les malversations des fonctionnaires, les dépenses exagérées du sultan, particulièrement celles du harem, les insurrections, les guerres, le trouble causé par les essais de réforme, avaient mises dans le plus lamentable état. Mahmoud II en recourant le premier, en 1830, aux émissions de papier-monnaie (caimé), avait aggravé le mal comme tous les gouvernements ignorants de la science financière, le gouvernement turc avait abusé de ce moyen si commode en apparence de se procurer de l'argent. Pour parer au déficit, qui monta à 80 millions en 1860, on avait multiplié les émissions; puis on avait établi le cours forcé, croyant ainsi remédier au discrédit du papier, qui tomba à deux septièmes de sa valeur nominale. Par malheur le sultan avait promptement oublié ses bonnes résolutions premières : il eut bientôt un harem de 900 femmes avec 3000 serviteurs, et chaque jour on y servait 500 tables à douze plats. On essaya vaine

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