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commandant des gardes nationales de la Seine et des troupes de Paris, disposait de toutes les forces militaires de la capitale. Le 29 janvier au matin, il faisait battre le rappel et remplissait de soldats les rues de Paris. Le bureau de l'Assemblée, inquiet, manda Changarnier qui, deux heures plus tard, fit répondre qu'il était retenu auprès du Président de la République et que les troupes étaient réunies pour combattre une insurrection. L'incident ne fut jamais expliqué. O. Barrot prétendit qu'il s'agissait d'une émeute de la garde mobile. Il est probable que c'étaient les préparatifs d'un coup d'État. Le soir, à l'Élysée, Louis-Napoléon tint une réunion secrète avec Changarnier, Thiers, Molé, de Broglie. Changarnier voulait en finir avec l'Assemblée par un coup de force; Thiers déclara l'idée absurde : « Laissez crier l'Assemblée, Barrot est aussi criard qu'elle; il est fait pour ça; c'est son métier et il le fait bien ». Et il conseilla de réserver l'opération, héroïque mais pénible, d'un coup d'État, jusqu'à ce que le mal fùt assez invétéré et dangereux pour justifier le remède ». Louis-Napoléon, silencieux suivant son usage, approuva l'ajournement du coup de force. Et Changarnier, en s'en allant, dit à Thiers: « Avez-vous vu la mine qu'a fait le Président? Après tout, c'est un j....... f... »

Le conflit entre la Constituante et le Président éclata sur une question de politique italienne. La majorité républicaine voulait soutenir le royaume de Sardaigne menacé par les Autrichiens; Louis-Napoléon, pour plaire à la droite catholique, voulait rétablir le Pape et détruire la République romaine. L'Assemblée intervint par un ordre du jour (30 mars) : « Si pour mieux garantir l'intégrité du territoire piémontais et pour mieux sauvegarder les intérêts et l'honneur de la France, le pouvoir exécutif croit devoir prêter à ses négociations l'appui d'une occupation partielle et temporaire en Italie, il trouvera dans l'Assemblée le plus entier concours. » Le Président, sur le conseil de Thiers, accepta l'intervention en Italie, mais la détourna contre la République romaine. Il fit voter à l'Assemblée un crédit extraordinaire pour une expédition de trois mois; Barrot promit qu'il s'agissait seulement de « maintenir l'influence française et défendre la civilisation ». Mais le corps d'armée envoyé

sous Oudinot à Civita-Vecchia, marcha sur Rome et fut repoussé. La majorité républicaine vota aussitôt la résolution: « L'Assemblée invite le gouvernement à prendre sans délai les mesures nécessaires pour que l'expédition d'Italie ne soit pas plus longtemps détournée du but qui lui était assigné. » Au lieu d'obéir, le Président écrivit (8 mai) à Oudinot: « Nos soldats ont été reçus en ennemis, votre honneur militaire est engagé.

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L'Assemblée refusa pourtant la mise en accusation des ministres et mème une déclaration de défiance (par 329 voix sur 620); mais le ministre de l'Intérieur ayant annoncé ce vote officiellement aux départements, l'Assemblée vota un ordre du jour qui le força à se retirer. La Constituante aurait pu prolonger sa durée en attendant d'avoir voté les lois organiques complémentaires de la Constitution; mais elle s'était laissé entraîner par la droite à accepter un amendement qui équivalait à la proposition Rateau; elle se sépara le 26 mai.

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Élection et réunion de la Législative. — L'Assemblée législative de 750 membres, élue le 13 mai 1849, à la majorité relative et au scrutin de liste par département, et réunie le 28 mai, représentait une proportion des partis toute différente de la Constituante. - L'ancienne majorité républicaine, le parti de Cavaignac, était tombée à 70 membres. L'extrême gauche,

qui prenait le nom traditionnel de la Montagne, s'était organisée pour les élections sous la direction de comités électoraux, la Solidarité républicaine, les Amis de la Constitution, qui avaient fait appel au sentiment démocratique dans la lutte contre les ennemis de la République. Le manifeste des 55 représentants de la Montagne (rédigé par Félix Pyat) contenait même quelques promesses de réforme sociale réforme du service militaire (pour abolir l'inégalité), abolition des impôts sur les objets de première nécessité, impôt progressif sur le revenu net, exploitation par l'État des chemins de fer, mines, canaux, assu

rances, crédit d'État. La Montagne eut 180 représentants, élus surtout par l'Est, le Midi et Paris. Contre les 250 républicains, la coalition monarchiste et catholique de la rue de Poitiers avait fait élire environ 500 représentants du « parti de l'Ordre », orléanistes, légitimistes, partisans de la fusion; les bonapartistes n'étaient qu'en petit nombre.

Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif étaient d'accord contre le parti républicain; ils allaient travailler à l'écraser en détruisant ses moyens de propagande et d'action, les journaux républicains, les sociétés politiques, les écoles laïques et le suffrage universel.

Le 13 juin et la défaite de la Montagne. — A la nouvelle des combats devant Rome, le parti de la Montagne prit l'offensive. Les comités organisés pour les élections rédigèrent des protestations contre le gouvernement qui venait de violer l'article 5 de la Constitution: « La République française respecte les nationalités étrangères... et n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple Ledru-Rollin demanda

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à l'Assemblée de mettre en accusation le Président de la République et ses ministres; aux explications d'O. Barrot, puis aux cris de la droite, il répondit par cette déclaration qu'il répéta : « La Constitution a été violée, nous la défendrons même les armes à la main (11 juin). L'Assemblée rejeta la proposition. Le lendemain, Ledru-Rollin et quelques représentants organisés en commissions lançaient une proclamation qui dénonçait la conspiration monarchique contre la République, et convoquaient les gardes nationaux à la mairie du 5° arrondissement pour se rendre en masse, sans armes, à l'Assemblée.

Il ne vint que quelques centaines de gardes nationaux et des ouvriers; le 13 juin, à onze heures du matin, ils partirent du Château-d'Eau en criant: « Vive la Constitution! Vive l'Italie! » et arrivèrent jusqu'à la rue de la Paix. Changarnier avait massé des troupes qui chargèrent les manifestants et les dispersèrent.

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1. « Nous voulons reconnaitre à tous le droit à la propriété par le droit au travail. Qu'est-ce que le droit au travail? C'est le droit au crédit. Qu'est-ce que le droit au crédit? C'est le droit au capital, c'est-a-dire aux instruments de travail... Il faut que l'Etat prête au lieu d'emprunter, qu'il prête sur immeubles comme sur meubles. »

Les organisateurs de la manifestation furent cernés dans le Conservatoire des Arts et Métiers; les soldats allaient les fusiller, quand l'ordre vint de les faire prisonniers. Ledru-Rollin s'échappa et se réfugia à Londres.

L'Assemblée profita de l'occasion pour désorganiser le parti de la Montagne. Elle mit 33 représentants en accusation. Le gouvernement, par décret, avait supprimé les journaux du parti. L'Assemblée vota une loi contre la presse qui rétablissait un cautionnement de 24 000 francs et donnait pouvoir à l'administration d'interdire la vente sur la voie publique. Elle vota une loi qui interdisait les réunions publiques politiques pendant un an. Elle vota l'état de siège à Paris par une loi qui donnait aux conseils de guerre le jugement de tous les crimes et délits <«< contre la sûreté de la République, la Constitution, la paix et l'ordre ». Grévy dit « C'est la dictature militaire ». Dufaure répondit : « C'est la dictature parlementaire ».

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Après avoir

Formation d'un parti bonapartiste. écrasé leur ennemi commun, le Président et la majorité commencèrent à se diviser. Les anciens parlementaires qui dominaient l'Assemblée méprisaient Louis-Napoléon; ils lui reprochaient son passé de conspirateur, ses amis aventuriers, ses dettes, sa vie privée. Lui ne se contentait plus d'être l'instrument de la majorité, il cherchait à se former un parti personnel. Il devint moins docile à Thiers, s'entoura d'hommes nouveaux, s'attacha beaucoup d'officiers. Il voulut avoir une politique étrangère personnelle. Après le retour du Pape à Rome, il écrivit une lettre publique à son ami Ney pour se plaindre de la réaction et dire que la restauration du Pape devrait être accompagnée d'une amnistie et d'une réforme laïque du gouvernement. La majorité catholique, en votant les crédits pour l'expédition de Rome, lui reprocha cette ingérence dans les affaires. du Saint-Père.

Le ministère 0. Barrot, composé d'orléanistes, refusa de prendre parti contre l'Assemblée. Le conflit resta d'abord latent. Mais tout d'un coup Louis-Napoléon, agissant, suivant sa coutume, sans avoir prévenu, publia le message du 31 octobre. C'était une déclaration de rupture avec le régime parlementaire

et un manifeste de gouvernement personnel. « La France inquiète, parce qu'elle ne voit pas de direction, cherche la main, la volonté de l'élu du 10 décembre. Or cette volonté ne peut être sentie que s'il y a communauté entière de vues, d'idées, de convictions entre le Président et ses ministres et si l'Assemblée s'associe elle-même à la pensée nationale dont l'élection du pouvoir exécutif a été l'expression. En conséquence le Président renvoya ses ministres et les remplaça par des partisans personnels, encore presque inconnus, Rouher à la Justice, Fould aux Finances, Parieu à l'Instruction publique.

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Le préfet de police Carlier créait la Société du 10 décembre, qui se donnait pour but de protéger la religion, le travail, la famille, la propriété, et de combattre le socialisme, l'immoralité, le désordre, les mauvaises publications, l'endurcissement des factieux ». Elle se recruta de bonapartistes militants qui allaient, armés de bâtons, attaquer les réunions démocratiques.

Loi sur l'enseignement et loi du 31 mai (1850). L'Assemblée et le Président se remirent d'accord pour lutter contre les républicains. La Constitution promettait l'instruction gratuite; il fallait donc faire une loi organique de l'enseignement; le Conseil d'État la préparait lentement. Le ministre Parieu présenta une loi provisoire et, dans la discussion, appela les instituteurs officiers généraux de la République démocratique et sociale », les accusant de « vulgariser au fond des campagnes les principes de subversion ».

L'Assemblée vota (16 mars 1850) une loi générale sur l'enseignement préparée par Falloux, qui mettait l'instituteur sous la surveillance du curé et l'obligeait à enseigner le catéchisme. Il n'était plus question d'instruction gratuite. L'enseignement secondaire, qui depuis Napoléon Ier était resté le monopole de l'Université d'État laïque, devenait libre; les particuliers avaient le droit d'ouvrir des écoles privées, secondaires ou primaires. En fait, les congrégations profitèrent presque seules de la liberté d'enseignement en fondant des collèges et des écoles primaires, Les municipalités eurent le droit de choisir des congréganistes pour leurs écoles, et les congrégations de femmes eurent le pri

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