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mes, la réforme rurale. Le paysan fut d'abord affranchi de la corvée; puis, de tenancier qu'il était, on le changea en propriétaire. Pour cela l'État expropria, moyennant indemnité, environ les deux tiers des biens nobles, et les distribua à 400 000 familles qui durent lui payer pendant quinze ans une annuité.

Il créa ensuite un système complet de conseils communaux et de districts, calqué sur le système français, comme étaient calqués aussi sur les codes Napoléon, le code civil, le code pénal, le code de procédure; il institua le jury en matière criminelle, établit les registres de l'état-civil, déclara obligatoire l'instruction primaire, créa des comices agricoles et des haras, modifia la loi du recrutement. Enfin il put conclure, à des conditions très favorables, l'emprunt nécessaire au payement de l'indemnité promise aux communautés religieuses dépossédées. Tout cela fut accompli en sept mois. La Chambre, élue en décembre, réunie quelques jours après, ratifia tous les actes du prince et, pendant près d'une année, émit docilement à peu près tous les votes qu'on lui demanda. Mais les réformes, lésant bien des intérêts particuliers, le régime de la dictature, les jalousies des grands de Roumanie à l'endroit de l'un d'entre eux devenu prince, avaient fait à Couza de nombreux ennemis. L'accroissement des impôts, des scandales financiers où se trouvèrent mèlés des gens de l'entourage du prince, accrurent le nombre des. mécontents. Il y eut des émeutes réprimées de façon rigoureuse. Le prince Charles de Hohenzollern. — Dans la nuit du 22 au 23 février 1866, à Bucarest, le prince, surpris dans sa chambre à coucher par un groupe de conjurés militaires que menait le député-journaliste Rosetti, fut obligé d'abdiquer. On créa un gouvernement provisoire et l'on se mit à la recherche d'un souverain. Les Roumains tombèrent d'accord pour n'offrir la couronne qu'à un prince étranger. Ils proclamèrent d'abord le comte de Flandre, frère du roi des Belges; celui-ci refusa sur l'invitation personnelle de Napoléon III. La Russie intriguait en Moldavie contre l'union; il fallait donc trouver un candidat que Napoléon fûùt disposé à soutenir et par qui l'union provisoire pût ètre ainsi maintenue.

On choisit le prince Charles de Hohenzollern, parent de

Napoléon et neveu du roi de Prusse, lieutenant au 2o dragons de la garde prussienne. La conférence européenne réunie à Paris repoussa, contre l'avis de la France, cette candidature, déclarant ne vouloir accepter qu'un Roumain. Le roi de Prusse, blessé à l'idée qu'un Hohenzollern pùt être vassal du sultan, engageait son neveu à attendre. Mais Bismarck lui conseilla « de prendre une résolution audacieuse et de partir directement pour la Roumanie ». Il fallait mettre les puissances « en face d'un fait accompli». Le même avis fut transmis par Napoléon. Le 22 mai, le prince était à Bucarest. La Turquie prépara une intervention armée; mais les puissances, tout en désapprouvant la conduite du prince, s'opposèrent au projet turc. En fin de compte le sultan, conseillé par la France, reconnut le prince. Charles, qui vint à Constantinople (octobre 1866) recevoir l'investiture. L'union des deux principautés était définitivement consacrée et la dignité princière devenait héréditaire.

La Constitution de 1866. Les Chambres avaient préparé et voté une nouvelle constitution, imitée de la constitution belge. Elle comportait l'organisation d'une garde nationale, la liberté de réunion et de la presse. Deux Chambres détenaient le pouvoir législatif : le Sénat, élu par deux collèges de censitaires; la Chambre des députés, élue par quatre collèges qui comprenaient tous les contribuables. Les ministres, choisis par le roi, étaient responsables devant les Chambres. Pour l'administration, on adopta le système français centralisé et la division en préfectures et sous-préfectures.

L'application du régime parlementaire n'alla pas sans de nombreuses crises ministérielles. Trois partis se disputaient ardemment le pouvoir parti blanc ou conservateur, composé des grands propriétaires, hostile aux réformes et partisan de l'alliance russe; parti rouge ou libéral, formé des bourgeois et partisan de l'alliance allemande et autrichienne; ce parti eut naturellement l'appui du prince. Il eut pour chef Jean Bratiano, « le Bismarck roumain », mais ne tarda pas à se diviser, et un groupe important se forma sous la direction de Rosetti qui réclamait le suffrage universel. Il y avait enfin une jeune droite, ennemie déclarée de Bratiano. A partir de décembre 1867, Bratiano, ayant

fait procéder à de nouvelles élections, disposa d'une majorité fidèle et de plus fut soutenu par le prince qui appréciait son énergie.

De graves difficultés provinrent en 1868 de la question juive en Moldavie, la presse juive internationale ayant ameuté l'opinion en Europe à propos d'incidents de peu de gravité à Bacau; puis de la formation de bandes d'insurgés bulgares à Giurgevo. Les puissances soupçonnèrent la Roumanie de préparer quelque attaque contre la Turquie occupée par les affaires de Crète et de Grèce le vote d'une loi militaire (13 juin) qui, par un système analogue à celui de la Prusse, devait donner 150 000 hommes en temps de guerre, des commandes d'armes à Berlin, l'envoi d'une mission en Russie en vue d'un rapprochement, parurent légitimer ces soupçons : la Turquie, l'Autriche, la France, l'Angleterre prirent une attitude hostile, et le ministère Bratiano démissionna à la fin de l'année 1868. Ce fut le début d'une nouvelle série de crises ministérielles il y en eut deux en 1869, quatre en 1870, de dissolutions répétées, au milieu desquelles la situation du prince ne s'affermissait pas, en sorte que les événements de 1870, en raison des sympathies de la Roumanie pour la France, faillirent amener la chute du prince Charles.

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Les résultats; l'influence française de 1848 à 1870. - Si l'on considère dans son ensemble l'histoire des États balkaniques de 1848 à 1870, les faits à retenir paraissent être les suivants.

D'abord, dans l'État principal, la Turquie, il a été fait un effort pour transformer le caractère traditionnel religieux et sectaire de son gouvernement. Les résistances des conservateurs turcs, les méfiances légitimes des chrétiens, ont rendu vain cet effort. On a achevé d'énerver les institutions anciennes sans parvenir à leur en substituer de nouvelles, logiques, saines, vigoureuses. Le résultat a été l'anarchie administrative et un extraordinaire désordre financier.

Les États secondaires ont tendu vers une double fin. Ceux qui étaient vassaux, Serbie et Principautés danubiennes, ont cherché à rendre de plus en plus ténu le lien de vassalité, à transformer l'autonomie en indépendance. Sur ce point ils ont

trouvé dans la diplomatie française un concours absolu et très efficace. Grâce à elle ils ont acquis le droit de régler en toute liberté, sans contrôle, leur régime intérieur. L'investiture donnée par la Porte à leurs princes n'est plus qu'une vaine cérémonie, un symbole sans valeur de la suzeraineté du sultan.

Tous ont ensuite cherché à compléter leur unité. Seules la Moldavie et la Valachie ont obtenu gain de cause elles ont formé la Roumanie. L'assassinat du prince Michel empêcha l'union, sous une forme quelconque, de la Bosnie à la Serbie. Les puissances, particulièrement l'Angleterre et l'Autriche, ont empêché l'union de la Crète à la Grèce. Ici la politique française fut plus hésitante. Théoriquement, elle était favorable au développement des nationalités. En Crimée, nos armées combattirent non point pour la Turquie, mais contre la Russie. Pour barrer la route de la Méditerranée à la Russie, Napoléon, à la place de la Turquie tombant à la décrépitude, aurait voulu placer des États neufs et forts et les grouper en une confédération'. La

constitution de la Roumanie n'entraînant aucun démembrement de la Turquie, on pouvait, sans courir le risque d'une guerre européenne, soutenir énergiquement et faire triompher la cause des unionistes roumains l'empereur n'y manqua pas. Mais il en allait autrement ailleurs. La France se fùt heurtée à l'Angleterre et à l'Autriche, hostiles à toute modification dans les Balkans: l'Angleterre, par opposition systématique et traditionnelle à la politique française; l'Autriche, parce qu'elle est elle-même une Turquie de l'Europe centrale, que certaines provinces des États balkaniques en formation sont soumises à son joug, et que le jour où l'empire ottoman serait démembré, Serbes et Roumains indépendants se tourneraient vers leurs frères des bords de la Save et des montagnes transylvaines. La France fut contrainte de se tenir à des encouragements platoniques, à des marques de bon vouloir, d'autant mieux qu'aux heures où la Serbie eût pu tenter l'attaque, de 1867 à 1868, la puissance impériale déclinait et le souci de prochaines complications en Occident absorbait l'empereur tout entier. Il n'en reste pas moins

1. Voir sur ce point une brochure de M. V. Urechia, L'alliance des Roumains et des Hongrois en 1859. Bucarest, 1894.

que, de 1848 à 1870, la France a eu une politique dans les Balkans, une politique généreuse et intelligente, qu'elle l'a suivie fidèlement et que, pendant longtemps, elle a été là, suivant le mot du roi Charles de Roumanie, « le pivot de la situation ' ».

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BIBLIOGRAPHIE

Il a été publié un Essai d'une notice bibliographique sur la question d'Orient de 1821 à 1897, par G. Bengesco, Paris, 1897. Ce recueil est assez complet pour les publications françaises; le classement est fait d'après la date de publication des volumes. On trouvera d'autres renseignements bibliographiques dans Rambaud, Histoire de Russie; De la Jonquières, Histoire de l'empire ottoman; Leger, Histoire de l'Autriche-Hongrie, à la fin des volumes. Dans Debidour: Histoire diplomatique de l'Europe, t. II, aux chapitres II, IV, IX. Seignobos, Histoire politique de l'Europe contemporaine, aux chapitres XX, XXI, XXVI, XXVII. Pour les peuples chrétiens des Balkans, voir ci-dessus, t. IX, p. 735 et suiv.

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Les documents inédits, aux archives des divers ministères de la Guerre et des Affaires étrangères, ont servi en France et en Russie pour la préparation de trois ouvrages relatifs à la guerre de Crimée : Niel, Le siège de Sebastopol, Paris, 1858. Rousset, Histoire de la guerre de Crimée, Paris, 1877. Todleben, La défense de Sébastopol (traduit en français), Pétersbourg, 1866.

Les documents officiels et le récit des faits se trouvent dans les Annuaires : Annuaire de Lesur, Annuaire des Deux Mondes, Annual Register, Geschichtskalender à partir de 1860. Pour la Roumanie il existe un recueil spécial de Petrescu et Stourdza: Actes et documents relatifs à l'histoire de la régénération de la Roumanie, 7 vol., 1889-1892.

Trois ouvrages publiés cette année (1898) apportent de nombreux documents nouveaux : Émile Ollivier, Napoléon III, articles à la Revue des Deux Mondes, 1er et 15 mars 1898 (papiers du Maréchal Vaillant). Campagnes de Crimée, d'Italie, etc., 1849-1862, lettres adressées au Maréchal de Castellane. - J. Bapst, Le maréchal Canrobert, souvenirs d'un siècle.

1. Notes sur la vie du roi Charles de Roumanie, par un témoin oculaire, page 5 de l'édition française.

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