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excitent l'enthousiasme; le terrible hiver qui suit, l'indignation. Le correspondant du Times révèle l'insuffisance administrative qui tue plus de soldats anglais que les balles russes. La puissance de ce journal arrive à son apogée, son tirage à 54 000 exemplaires par jour, le numéro coûtant 60 centimes! Le ministère Palmerston et les résultats de la guerre (1855-1856). Le cabinet Aberdeen manquait de cohésion comme de popularité. Palmerston, mécontent de l'inertie de ses collègues et des idées réformistes de Russell, l'avait déjà ébranlé par des menaces de démission. En février 1855, une motion de blâme le renversa, et le seul ministre bien vu du public prit nécessairement le pouvoir. Une apostrophe éloquente de Bright produisit pourtant un grand effet : « Entendez-vous l'ange de la mort qui passe, et le battement de ses ailes? Il prend ses victimes dans le château, dans la maison, dans la chaumière. Au nom de toutes les classes je vous adresse un solennel appel. Le noble lord était ministre avant ma naissance. Il a presque atteint la limite accordée à l'existence humaine. Je l'en supplie, que sa voix arrête les torrents de sang.» On sait que la guerre de Crimée réussit finalement, mais l'armée anglaise n'y avait pas figuré au premier rang, et l'opinion générale trouva la paix de Paris prématurée. Les clauses imposées à la Russie ne paraissaient valoir ni l'argent dépensé ni le sang versé.

La première génération littéraire de l'ère victorienne. Les historiens anglais ont coutume de s'arrêter ici pour embrasser d'un coup d'œil les écrivains qui ont rempli d'œuvres remarquables les vingt premières années du long règne. Quelques mots sur ces écrivains, au point de vue politique et social. Les romanciers et les historiens surtout attirent l'attention.

La tendance générale des romanciers, sans oublier les romancières, est démocratique en même temps que morale. Ils ne placent plus leurs personnages, sauf exception, dans un lointain féodal; ils les font vivre de leur temps, ou parmi la génération précédente. Ils ne se confinent pas dans un milieu. élégant, ils montrent plutôt la vie des classes moyennes ou des

classes humbles; quand ils décrivent l'aristocratie, c'est pour flétrir ses ridicules ou ses vices. Tels Thackeray et Dickens. Les existences souffrantes des classes laborieuses, ouvrières ou bourgeoises, inspirent aussi Mrss Gaskell, Charlotte Brontë. On retrouve la même note chez Bulwer Lytton, Disraëli, des écrivains de haute société ou de haute ambition.

Les historiens aussi sont pratiques et moraux; ils ont une doctrine et un but. Macaulay est un whig, il est le whig, le réformiste de 1832, et juste de 1832, pas plus, pas moins. Il espère conduire le lecteur jusqu'à cette grande date. Vingt ans de plus de vie active lui auraient permis d'y atteindre. Son récit s'arrête à l'année 1700, mais ses admirables essais jalonnent le XVIIIe siècle. Historien orateur, avocat passionné, Macaulay est en butte, depuis sa mort, à une réaction légitime; mais nous ne devons pas oublier, en le contrôlant, que son information est immense. Carlyle lui ressemble plus qu'on ne croit par sa conception historique. Tous deux ont un héros pour le whig c'était Guillaume d'Orange, pour le puritain c'est Cromwell. Grote serait plutôt un radical utilitaire personne n'avait encore aussi bien analysé les partis de la république athénienne; chez lui comme chez Macaulay on reconnaît l'Anglais qui a vécu de la vie parlementaire.

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Même mélange d'une riche originalité de conception avec un esprit pratique tout national se retrouverait chez un philosophe sociologiste tel que Stuart Mill, et chez plusieurs philosophes, critiques, poètes. Nous avons déjà cité les poètes chartistes. Mrs Browning réclame en faveur des enfants pauvres et des droits méconnus de la femme. Seul, le plus grand poète d'alors fait exception par la nature aristocratique de son génie et de ses sujets. Tennyson, que sa gloire littéraire a élevé à la pairie, chante quelquefois les existences humbles et leurs austères sacrifices, mais il est avant tout le mélodieux évocateur de la chevalerie. Quant aux écrivains de cette génération qui ont seulement du talent, la seule énumération en serait ici trop longue.

Dissolution chinoise et suppression indoue. Le patriotisme palmerstonien se donna carrière aux dépens du vice-roi

de Canton, Yeh, qui avait arrêté un navire chinois faussement couvert du pavillon britannique. De graves discussions s'engagèrent à ce sujet dans les deux Chambres. Le vieux lord Lyndhurst répondit négativement à cette simple question de Yeh : «Suffit-il à un navire chinois de hisser le pavillon anglais pour devenir un navire anglais ? » Mais l'ancien chancelier et lord Derby ne réussirent pas à grouper une majorité tory dans la haute assemblée. Aux Communes, ce furent les libéraux avancés, les pacifiques de l'école de Manchester, qui dirigèrent l'attaque au nom de leurs principes. Les conservateurs de la nuance de Disraëli, coalisés avec eux, mirent le cabinet en minorité. Palmerston prononça la dissolution, et adressa au pays un manifeste contre « l'insolence des barbares ». Mieux que ses adversaires il connaissait le terrain. Les électeurs, non seulement lui donnèrent raison, mais exclurent du Parlement les chefs pacifiques.

Les terribles événements de la révolte indoue, rapportés avec des détails qui renchérissaient encore sur la réalité, soulevèrent en Angleterre, non seulement des colères légitimes, mais des accès de férocité. Quant au résultat, la suppression de la « John Company », il n'est pas dù, comme on l'a dit, à un caprice du Premier, mais à un mouvement général de l'opinion.

Orsini et la crise de 1858. Les bombes lancées devant l'Opéra de Paris, le 14 janvier 1858, par Orsini, conspirateur italien très connu à Londres, très apprécié comme conférencier politique, tuèrent, non pas l'empereur des Français, mais le ministère britannique. Les adresses, maladroitement insérées au Moniteur, qui appelaient l'Angleterre un laboratoire d'assassinats, exaspérèrent l'opinion, et le bill présenté contre les conspirateurs fit l'effet d'une platitude. « Lord Palmerston, écrivait le prince Albert, est l'homme le moins populaire qui soit. Il est risible d'entendre parler de lui ses anciens adorateurs. Dans la Chambre des Communes c'est à peine si on l'a laissé ouvrir la bouche. » Le ministre se défendit avec une violence inutile: une majorité de dix-neuf voix le renversa. Les tories seuls étaient en mesure d'occuper le pouvoir pendant cette singulière éclipse de son prestige.

Intermède conservateur. Ce second ministère DerbyDisraëli laissa tomber le bill sur les conspirations et accomplit deux réformes importantes. Il supprima l'obligation, pour les députés, de posséder un domaine. Du même coup il supprimait un mensonge, car beaucoup de candidats se déclaraient faussement propriétaires, et tout le monde le savait. Ensuite il régla la question depuis longtemps débattue de l'admission des israélites au Parlement.

Le ministre des Affaires étrangères, lord Malmesbury, et la reine en personne, par une lettre adressée à Napoléon III, firent de vains efforts pour prévenir la guerre d'Italie. La cause italienne n'était pas encore populaire, associée comme on la voyait à la gloire militaire des Bonaparte. Impuissant de ce côté, le cabinet conservateur se rabattit sur cette question aussi inévitable qu'insoluble de la réforme électorale. Disraëli voulait confisquer à son profit, et au profit de son parti, le mouvement réformiste mais son projet trop étroit n'englobait pas les masses ouvrières. Le patriarche réformiste, lord John Russell, n'eut pas de peine à le faire succomber. Les élections générales de 1859, dans l'effarement des victoires françaises en Italie, ne donnèrent pas au cabinet conservateur la majorité dont il avait besoin, et un jeune whig de grande naissance, le marquis de Hartington, fit ses premières armes en le renversant.

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Le dernier ministère Palmerston (1859-1865). Pour reconstituer un gouvernement un nom s'imposait, celui du vieux diplomate patriote, malgré ses soixante-quinze ans; mais il lui fallait d'éminents collègues, un « ministère de tous les talents », presque de tous les partis. Le chef pouvait passer pour un conservateur quant aux questions intérieures. A ses côtés devaient se ranger un illustre whig et un illustre « Peelite » Gladstone aux finances, Russell au Foreign office. Celui-ci présentait bien un bill de réforme, sécrétion périodique de son tempérament; mais sa grande affaire était alors « l'Italie aux Italiens ». Elle lui fournit plus d'une sourde revanche des succès napoléoniens.

Les volontaires et le traité de commerce (1860). L'empereur, si bien vu de Palmerston, et pour lequel il était

tombé deux fois du pouvoir, ne lui inspirait plus que défiance depuis l'annexion de la Savoie et de Nice. Sa grande affaire était de parer à l'invasion française par des travaux de fortification et par l'organisation de corps de volontaires.

Son ministère a pourtant conclu avec Napoléon III le traité de Commerce, mais c'est beaucoup moins son œuvre que celle de Gladstone et de Cobden. Sans aucun titre officiel, Cobden, qui venait de refuser le ministère du Commerce, jouissait dans ses dernières années d'un immense crédit, et les Tuileries l'accueillirent comme le mandataire économique du peuple anglais. Ni celui-ci ni ses représentants parlementaires n'étaient unanimes à approuver le traité. Intérêts industriels lésés, vieux ennemis du libre-échange et de l'école de Manchester, moralistes chauvins effrayés des ravages que le vin de Bordeaux ferait dans les vertus anglaises, se coalisèrent vainement contre l'éloquence financière du chancelier de l'Échiquier, Gladstone.

Le dégrèvement du papier. Continuant son évolution dans le sens du libéralisme avancé, Gladstone proposa l'abolition d'un impôt imaginé jadis dans une vue moins fiscale encore que conservatrice. Lever des droits considérables sur le papier, cela revenait à rendre impossible le journal à bon marché. Or beaucoup de personnes, même fidèles aux principes whigs, estimaient utile de maintenir la presse à un prix assez élevé pour la préserver de la basse démagogie comme de la basse licence. De plus l'impôt, que les fabricants de papier faisaient payer avec usure au public, les gênait beaucoup moins qu'il ne les aidait à faire fortune, et les représentants de leurs intérêts au Parlement désiraient écarter la concurrence. Aussi, malgré l'avantage que voyaient des personnes également nombreuses à instruire par la lecture des grandes feuilles les acheteurs les plus modestes, la réforme de Glasdstone n'obtint-elle qu'une très faible majorité. Les lords, inspirés par le nonagénaire Lyndhurst, se crurent donc autorisés à la repousser. Sur une question sociale se greffait une question constitutionnelle la Chambre héréditaire a-t-elle le droit de rétablir un impôt supprimé par la Chambre élective? Les écrivains avancés parlèrent de chasser les lords et de jeter à la Tamise les débris de leur

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