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population. Deux questions qui s'imposeront bientôt. Les élections de 1864 amenèrent des recrues libérales considérables, parmi lesquelles le philosophe Stuart Mill; et la fraction du parti dirigée par Bright grandit comme la fraction dirigée par Gladstone.

Le tout-puissant ministre aurait eu quelque peine avec cette nouvelle Chambre. Son heureuse étoile, lui épargnant cette épreuve, arrêta sa carrière en pleine popularité. Le robuste octogénaire, qui la veille encore faisait galoper son cheval, baissa rapidement, souffrit à peine et mourut.

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La reconstitution des partis et le progrès ouvrier. Le personnel parlementaire, renouvelé en grande partie, revenait au système traditionnel, mais compromis par la dislocation de 1846, de deux grands partis fortement organisés et disciplinés, l'un libéral, l'autre conservateur. L'ancien « Peelite » Gladstone était décidément le grand chef libéral avancé, sous lequel combattait le libre-échangiste Bright, à côté de nouveaux venus tels que Forster et Stansfeld. Le vieux Russell et le duc d'Argyll, deux illustres noms du vieux whiggisme, fortifiaient l'opinion libérale dans la haute Chambre. Le torysme, très fort chez les lords sous la direction du comte. de Derby, s'était puissamment recruté dans la Chambre des communes sous la direction de Disraëli: sir Stafford Northcote, Hugh Cairns, Gatharne Hardy, lord Robert Cecil, le futur marquis de Salisbury.

Et pourtant ce n'était plus la même Angleterre. Depuis vingt ou vingt-cinq ans les ouvriers grandissaient, en force aussi bien qu'en nombre. Le moment venait de leur faire officiellement une place dans le vieil édifice constitutionnel, et de biffer les lois de défiance et de contrainte qui pesaient encore sur eux. Ces deux termes du progrès de la classe manufacturière, pro

grès économique, progrès politique, la nature des choses les associait étroitement, chacun d'eux étant à la fois une cause et un effet de l'autre. Mœurs et législations marchaient en leur faveur depuis 1844. Mieux vêtus, mieux nourris par suite de l'augmentation des salaires, formant mème, chose toute nouvelle, une épargne ouvrière qui grossissait, les travailleurs allégeaient d'autant la besogne de la charité légale et des tribunaux en vingt ans, la liste des accusés et la liste des assistés avaient l'une et l'autre diminué de plus d'un tiers. D'un bon tiers également avait augmenté, depuis 1832, le nombre des modestes électeurs censitaires.

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Les « trade unions » (1832-1871). Nous avons vu' combien peu de sympathie témoignaient au peuple et aux pauvres les classes moyennes arrivées au pouvoir par la première Réforme parlementaire. Les bourgeois, manufacturiers ou autres, et leur gouvernement libéral déclaraient en 1833 que tout syndicat constituait un délit de conspiration illégale. Il s'agissait d'étouffer la Trades Union organisée par Owen en fédération maçonnique.

Depuis les réformes de Robert Peel, les ouvriers avaient paisiblement développé leur prospérité en s'entendant avec leurs patrons. Mais ils voulaient surtout s'entendre les uns avec les autres, dans le mème métier et dans la même ville, puis d'un métier à l'autre, d'une ville à l'autre, et ils y réussirent envers el contre tous les privilégiés. Déjà tout homme d'État intelligent reconnaissait le moment venu d'accorder le suffrage politique à de larges catégories de travailleurs.

Le ministère Russell-Gladstone et la Réforme. Avant d'aborder cette grosse question, le ministère libéral devait se reconstituer. Opération laborieuse autant qu'éphémère un Premier trop àgé, le comte Russell, Clarendon aux Affaires étrangères, Gladstone toujours aux Finances et à la direction des Communes, Forster, Goschen et Layard. Le discours de la couronne altira l'attention sur « les améliorations à apporter dans la législation électorale, afin de fortifier nos

1. Voir ci-dessus, t. X. p. 512.

libres institutions et de travailler à l'accroissement du bien-être

dans le pays. »

Mais le projet Gladstone n'était pas assez large, du côté précisément où il fallait du nouveau. L'abaissement du cens n'eût pas été suffisant pour faire voter un grand nombre d'ouvriers. Ces demi-mesures déplaisaient un peu à tout le monde, et l'on vit les partis se fragmenter d'une façon confuse et stérile. Les ennemis de la démocratie faisaient fète à l'apre éloquence de Lowe, qui, transfuge lui-même du libéralisme, groupait autour de lui d'autres transfuges, effrayés du progrès des masses. « Comme autrefois David dans la caverne d'Adullam, lui disait Bright, vous avez fait appel à tous les mécontents. » Les libéraux dissidents conservèrent le nom d'Adullamites. Finalement, bill et cabinet succombèrent sous l'amendement d'un député ministériel.

Le troisième ministère Derby-Disraëli et l'agitation. Une dernière fois le comte éloquent et l'ambitieux romancier remontaient ensemble au pouvoir, dans l'absolue nécessité de faire ce qu'ils avaient si passionnément reproché à Robert Peel, de rompre avec les traditions de leur parti.

Une partie du cabinet tory et son chef essayant encore de se dissimuler cette nécessité, le public résolut de la mettre en évidence. Une agitation réformiste commença, ouvrière cette fois plutôt que bourgeoise, organisée à Londres, puis dans tous les comtés par les secrétaires des trade unions. Le meeting de Trafalgar Square déclara contraire à l'esprit de la constitution une Chambre élue par une minorité des habitants du pays, flétrit le langage tenu par certains conservateurs ou pseudolibéraux à l'adresse des classes ouvrières, et réclama le suffrage pour tous les hommes adultes domiciliés. Le gouvernement s'opposant maladroitement à un autre meeting que l'on voulait tenir dans Hyde Park, les grilles furent renversées par la foule, et Londres prit quelques heures durant une physionomie d'émeute. Les ministres, au lieu de s'obstiner dans leur faute, respectèrent de bonne grâce les vieilles libertés bruyantes.

La seconde réforme électorale (1867). Disraëli, que l'âge et la fatigue de lord Derby laissaient maître du gou

vernement, comprenait le verdict populaire. Il amusa fort la Chambre et la nation par une méthode originale, laissant la discussion aller son train jusqu'à ce que l'ébullition des idées donnât un certain résultat alors il ferait la réforme selon ce résultat, le projet numéro un, ou le projet numéro deux, ou le projet numéro trois. Toute une provision qu'il tenait dans sa poche pour en tirer finalement le plus opportun. Or celui qu'il tira, qu'il imposa à ses amis, et que les libéraux durent accepter, dépassait en libéralisme tout ce qu'on avait jamais proposé, excepté le suffrage universel des radicaux et des chartistes. Aussi dessinait-on Disraëli en jockey, dépassant le jockey Gladstone, même le jockey Bright, et gagnant le prix de la course avec son cheval Reform-Bill. Ces images étaient justes. Les restrictions tombaient les unes après les autres. L'arrangement final, tout en respectant les bases essentielles des élections britanniques, créa une démocratie anglaise, surtout une démocratie ouvrière.

En effet, d'une part on conservait la différence entre la population rurale et la population urbaine, et avec l'inégalité de représentation: 125 députés de comtés représentaient 12 millions d'àmes, tandis que 158 députés représentaient 7 millions d'àmes. 230 députés des petites villes représentaient 3 millions d'âmes, tandis que 130 députés de grandes villes représentaient 11 millions d'âmes. Beaucoup d'habitants du pays, surtout la majorité des habitants de la campagne, restaient en dehors du privilège électoral. D'autre part, les restes des « bourgs pourris» disparaissaient au profit des comtés et des villes. agrandies.

Même à la campagne, l'abaissement du cens à 12 livres de loyer pour les occupants précaires du sol, à 5 livres pour les propriétaires ou les occupants à longs termes, augmentait d'un tiers le nombre des électeurs. Mais, surtout dans les villes, l'inscription de tout habitant payant la taxe des pauvres et de tout locataire d'une maison payant 10 livres par an triplait le nombre des électeurs.

Les Fénians et l'Église d'Irlande. La satisfaction. générale du peuple de la Grande-Bretagne (l'Écosse acquérait

encore plus d'électeurs que l'Angleterre) mettait au premier rang les questions irlandaises qui, vers 1867, reprenaient toute leur gravité. A vrai dire, elles n'avaient fait que sommeiller, pendant que s'organisait sourdement la populaire et menaçante association du Phénix. Plutôt anarchistes que catholiques, les Fénians puisaient une grande force dans la guerre de Sécession américaine, où soldats et officiers irlandais avaient joué un rôle brillant. La paix rétablie, plusieurs revinrent déguisés dans leur patrie, ou en Angleterre même, pour nuire à l'ennemie héréditaire. Une tentative de soulèvement n'aboutit qu'à l'exécution de quelques insurgés. Pour en délivrer d'autres, détenus à Londres dans la prison de Clerkenwell, les Fénians de la capitale essayèrent de faire sauter cet édifice.

De ces attentats Gladstone conclut, non pas à l'écrasement de l'Irlande, mais à la satisfaction de ses griefs religieux et économiques. Le député Mill disait : « Si un capitaine de navire punit continuellement ses malelots, ou un maître d'école ses élèves, cela prouve que ni l'un ni l'autre ne sait commander », et il appliquait cette parabole à la politique suivie en Irlande. Gladstone voyait dans l'« Église établie » de cette ile le vieil abus qu'il s'agissait avant tout de déraciner.

Disraëli premier ministre (1868). — Celle question allait être la pierre d'achoppement des conservateurs. En février 1868, la retraite de lord Derby, atteint dans sa santé, mettait officiellement à la tète du ministère, Disraëli, enfin Premier après trente ans d'efforts. Russell ayant dit au pouvoir un adieu définitif, Disraëli et Gladstone sont désormais protagonistes. Pendant quinze ans il n'y aura de possible au gouvernement que

l'un ou l'autre.

Le 30 mars, Gladstone prit l'offensive en proposant une série de résolutions tendant au « désétablissement de l'Église protestante épiscopale d'Irlande, dont la conséquence était, pour cette île, le régime américain de la séparation des Églises et de l'État. La majorité lui donnant raison après de longs débats, le cabinet recourut à une dissolution qui, dans tous les cas, n'aurait pu tarder beaucoup le système électoral de la seconde réforme demandait à fonctionner.

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