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vernement, comprenait le verdict populaire. Il amusa fort la Chambre et la nation par une méthode originale, laissant la discussion aller son train jusqu'à ce que l'ébullition des idées donnât un certain résultat alors il ferait la réforme selon ce résultat, le projet numéro un, ou le projet numéro deux, ou le projet numéro trois. Toute une provision qu'il tenait dans sa poche pour en tirer finalement le plus opportun. Or celui qu'il tira, qu'il imposa à ses amis, et que les libéraux durent accepter, dépassait en libéralisme tout ce qu'on avait jamais proposé, excepté le suffrage universel des radicaux et des chartistes. Aussi dessinait-on Disraëli en jockey, dépassant le jockey Gladstone, même le jockey Bright, et gagnant le prix de la course avec son cheval Reform-Bill. Ces images étaient justes. Les restrictions tombaient les unes après les autres. L'arrangement final, tout en respectant les bases essentielles des élections britanniques, créa une démocratie anglaise, surtout une démocratie ouvrière.

En effet, d'une part on conservait la différence entre la population rurale et la population urbaine, et avec l'inégalité de représentation: 125 députés de comtés représentaient 12 millions d'àmes, tandis que 158 députés représentaient 7 millions d'àmes. 230 députés des petites villes représentaient 3 millions d'âmes, tandis que 130 députés de grandes villes représentaient 11 millions d'âmes. Beaucoup d'habitants du pays, surtout la majorité des habitants de la campagne, restaient en dehors du privilège électoral. D'autre part, les restes des « bourgs pourris» disparaissaient au profit des comtés et des villes. agrandies.

Même à la campagne, l'abaissement du cens à 12 livres de loyer pour les occupants précaires du sol, à 5 livres pour les propriétaires ou les occupants à longs termes, augmentait d'un tiers le nombre des électeurs. Mais, surtout dans les villes, l'inscription de tout habitant payant la taxe des pauvres et de tout locataire d'une maison payant 10 livres par an triplait le nombre des électeurs.

Les Fénians et l'Église d'Irlande. La satisfaction. générale du peuple de la Grande-Bretagne (l'Écosse acquérait

encore plus d'électeurs que l'Angleterre) mettait au premier rang les questions irlandaises qui, vers 1867, reprenaient toute leur gravité. A vrai dire, elles n'avaient fait que sommeiller, pendant que s'organisait sourdement la populaire et menaçante association du Phénix. Plutôt anarchistes que catholiques, les Fénians puisaient une grande force dans la guerre de Sécession américaine, où soldats et officiers irlandais avaient joué un rôle brillant. La paix rétablie, plusieurs revinrent déguisés dans leur patrie, ou en Angleterre même, pour nuire à l'ennemie héréditaire. Une tentative de soulèvement n'aboutit qu'à l'exécution de quelques insurgés. Pour en délivrer d'autres, détenus à Londres dans la prison de Clerkenwell, les Fénians de la capitale essayèrent de faire sauter cet édifice.

De ces attentats Gladstone conclut, non pas à l'écrasement de l'Irlande, mais à la satisfaction de ses griefs religieux et économiques. Le député Mill disait : « Si un capitaine de navire punit continuellement ses matelots, ou un maître d'école ses élèves, cela prouve que ni l'un ni l'autre ne sait commander », et il appliquait cette parabole à la politique suivie en Irlande. Gladstone voyait dans l'« Église établie » de cette ile le vieil abus qu'il s'agissait avant tout de déraciner.

Disraëli premier ministre (1868).-Celle question allait être la pierre d'achoppement des conservateurs. En février 1868, la retraite de lord Derby, atteint dans sa santé, mettait officiellement à la tête du ministère, Disraeli, enfin Premier après trente ans d'efforts. Russell ayant dit au pouvoir un adieu définitif, Disraëli et Gladstone sont désormais protagonistes. Pendant quinze ans il n'y aura de possible au gouvernement que l'un ou l'autre.

Le 30 mars, Gladstone prit l'offensive en proposant une série de résolutions tendant au « désétablissement de l'Eglise protestante épiscopale d'Irlande, dont la conséquence était, pour cette ile, le régime américain de la séparation des Églises et de l'État. La majorité lui donnant raison après de longs débats, le cabinet recourut à une dissolution qui, dans tous les cas, n'aurait pu tarder beaucoup le système électoral de la seconde réforme demandait à fonctionner.

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Avènement du grand ministère Gladstone. Les électeurs appelés à la vie politique par les conservateurs donnèrent raison aux libéraux. Pas tous cependant, ni partout, car Disraëli avait réussi à fonder le torysme démocratique, appelé à grandir plus tard. On remarque dès lors les progrès des conservateurs dans les centres industriels du Lancashire, où naguère les classes moyennes élisaient toujours des whigs. Gladstone en personne y fut battu; les électeurs de Greenwich le recueillirent. L'ensemble du Royaume-Uni lui donna une belle majorité de 120 voix. On pensait généralement qu'après la seconde réforme comme après la première, il fallait une série de lois libérales, et que l'état-major libéral devait en avoir l'honneur comme la responsabilité.

Sans attendre une secousse parlementaire inutile, Disraëli laissa le pouvoir à Gladstone et à son lieutenant Forster (décembre 1868). Bright acceptait le portefeuille du Commerce. Lord Clarendon, le duc d'Argyll, Layard, le chancelier Hatherley étaient après eux les membres principaux de ce cabinet remarquable, qui promettait beaucoup, qui tint plus encore.

Lois irlandaises (1869-1870). — Il fallait d'abord régler la question ecclésiastique, laissée en suspens. Le gouvernement ne proposa point de supprimer brusquement l'Église « établie » d'Irlande en confisquant ses biens, mais de la « désétablir», de lui enlever son privilège officiel, de la mettre sur le même pied que l'Église presbytérienne et que l'Église catholique romaine, celle de la majorité. La loi lui laissait une grande partie de ses biens et tous ses bâtiments; elle se servait du reste pour aider les deux autres Églises, pour soutenir des œuvres d'assistance publique et pour payer des indemnités aux titulaires de certains droits. Ce projet subit des assauts énergiques dans les deux Chambres, où l'opposition le qualifia de spoliateur. Si les anglicans résolus défendaient si vivement « l'arbre exotique, entretenu à grands frais et pourtant stérile », c'est qu'ils redoutaient que l'Église d'Angleterre ne suivit l'Église d'Irlande. « Vous abandonnez, s'écriait lord Derby, ce grand principe que l'Église d'Angleterre est l'Église établie du pays, ce principe vital de notre constitution. Vous faites un pas décisif vers l'égalité de

HISTOIRE GÉNÉRALE. XI.

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toutes les sectes. » On crayonnait le clergyman d'une île et le clergyman de l'autre île en frères siamois le chirurgien Gladstone se prépare à les séparer avec son couteau, et rassure l'inquiet John Bull sur les suites de l'opération. Rassurée ou non, la Chambre des lords après la Chambre des communes se décida à la permettre, non sans un dernier effort de lord Derby mourant, en faveur des protestants d'Irlande « qui sont attachés. comme vous à la foi protestante, qui pour cette foi ont versé leur sang sous Guillaume le Libérateur, ces hommes que vous avez appelés à coloniser l'Irlande, et qui ont changé en province florissante le désert de l'Ulster ».

Par un second acte de justice, Gladstone voulut apaiser les griefs économiques des Irlandais. Il fit voter le Land Act de 1870'.

Un adversaire de la

Loi sur l'Instruction publique. réforme électorale avait dit en la voyant adoptée : « Voilà les travailleurs, les petites gens, c'est-à-dire la majorité, appelés à la vie politique; le moins que nous puissions faire maintenant, c'est d'instruire notre nouveau maître. » Pénétré de cette pensée, le ministre Forster déposa, le 17 février 1870, un projet destiné à assurer la présence à l'école des enfants de cinq à douze ans. Le gouvernement déléguait ses pouvoirs à de nombreux school boards; locaux et électifs. Les parents pouvaient envoyer leurs enfants, soit aux board schools, où s'appliquait le principe de la neutralité religieuse de l'État, soit aux écoles libres, voluntary schools, en général confessionnelles, pourvu que l'inspection de l'État reconnut leur salubrité et leur bon enseignement. Les conseils pouvaient réclamer l'absolue gratuité dans les localités pauvres; mais autant que possible un certain écolage devait pourvoir aux dépenses concurremment avec les taxes locales et avec la subvention de l'État, laquelle

s'accordait aussi aux écoles libres.

Les non-conformistes n'admettaient, pour les écoles publiques, que l'absolue laïcité, les Églises, suivant eux, devant donner l'instruction religieuse à laquelle ils tenaient autant

1. Voir ci-dessous, t. XII, chap. Angleterre.

que personne. Or la majorité anglicane n'aurait jamais voté ce plan radical. On imagina donc un moyen terme la lecture de la Bible par l'instituteur, et l'enseignement dogmatique donné par le ministre du culte dans l'école, mais en dehors des heures de classe. L'Education Act a ouvert la porte à de longues querelles, non sans réaliser un immense et incontestable progrès.

Jusqu'alors l'offi

Les grades dans l'armée (1871). cier, en se retirant de son régiment, cédait son grade à l'un de ceux qui venaient immédiatement après lui, comme chez nous une charge de notaire, et également à prix d'argent il l'avait du reste acquis de cette façon, et rentrait dans ses débours avec la plus forte plus-value possible. Ce système entretenait l'esprit aristocratique, ou pour mieux dire ploutocratique dans l'armée anglaise, et décourageait l'officier pauvre. Le ministre de la Guerre Cardwell proposa la suppression de cette pratique et le libre accès des grades sans autre condition que la capacité. Le budget supporterait la dépense des indemnités légitimement réclamées par les titulaires. Difficilement acceptée par les Communes, la réforme échoua devant la Chambre des Lords.

Gladstone prit alors un parti fort grave, celui de se passer du Parlement. La couronne, disait-il, avait réglementé la matière sans faire voter de loi par les Chambres; elle pouvait donc défaire son propre ouvrage. Le premier ministre obtint de la reine cet exercice imprévu de la prérogative royale.

Le scrutin secret (1872).

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Un autre abus, bien pittoresque, bien national, c'était la publicité du suffrage. Il était impossible de conserver cette mise en scène depuis qu'une série de réformeson en prévoyait une troisième et prochaine conféraient le suffrage à des milliers d'électeurs dépendants. Plaisanterie amère de faire un ouvrier électeur pour qu'au lendemain de son vote public son patron, du parti contraire, lui retranche son gagne-pain! L'historien Grote combattait depuis longtemps cette vieille pratique avec un acharnement digne de Wilberforce.

Le Ballot Act institua le scrutin secret, l'entourant d'un luxe de précautions pour qu'il fût vraiment secret. On adopta le

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