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Charles XV. Sa politique étrangère. — Peu après l'avènement de Charles XV, la Suède fut de nouveau menacée de complications extérieures. Les événements de Varsovie émurent fortement l'opinion publique, et deux propositions déposées à la Diète invitaient le gouvernement à s'employer en faveur du rétablissement du royaume de Pologne. De pareilles manifestations risquaient naturellement d'amener des complications graves qui ne purent être évitées que grâce à la prudence des ministres et du roi. Celui-ci, toutefois, ne tarda pas à se montrer plus aventureux. Des relations d'amitié personnelle existaient entre Frédéric VII de Danemark et Charles XV. Celuici était de caractère chevaleresque, imbu de scandinavisme et très désireux de créer entre les royaumes du Nord des liens de plus en plus étroits. Il se montra donc disposé à soutenir le Danemark dans l'affaire des duchés, de manière à lui assurer la possession paisible de tous les territoires où la population était danoise. Des entrevues eurent lieu entre les deux souverains dans l'été de 1863. Elles aboutirent à un traité négocié et conclu directement par les deux princes et stipulant une alliance défensive, avec la garantie pour le Danemark de la frontière de l'Eider. Peu après, Frédéric VII mourait, et le Danemark se trouvait impliqué dans la crise que nous avons racontée plus haut. La situation de la Suède était délicate. Étant données certaines démarches du Danemark pour le règlement de la question constitutionnelle, le traité pouvait à la rigueur être considéré comme caduc. Charles XV, néanmoins, considérant sa parole comme engagée, aurait désiré intervenir militairement. En cela il était d'accord avec une bonne partie de l'opinion publique : les journaux proclamaient la nécessité de défendre le Danemark et, comme en 1848, de nombreux volontaires allaient s'engager dans l'armée danoise. Le ministère, par contre, qui n'avait été pour rien dans la conclusion du traité, estimait, non sans raison, que la Suède et la Norvège ne pouvaient sans folie intervenir seules, et qu'aucune puissance n'étant disposée à se joindre à elles, le mieux était de s'abstenir. Le roi finit par se laisser convaincre. Il ne renonça pas néanmoins au projet qui lui tenait au cœur et, tandis que

la continuait guerre à Christian IX un nouveau encore, proposa traité créant entre les trois royaumes scandinaves une sorte d'union militaire et diplomatique, mais dont la majeure partie des duchés serait exclue: cette dernière clause détermina le refus du gouvernement danois.

La conduite de

La réforme constitutionnelle. Charles XV dans ses rapports avec le Danemark donne une idée assez exacte de son caractère et de ses façons de gouverner. Il s'occupait activement des affaires de l'État, ne craignait point les initiatives et avait, au contraire de son père, des idées arrêtées et nettes. Il ne s'y obstinait point toutefois outre mesure. Sa préoccupation dominante était de gouverner avec une correction parfaite en appliquant strictement tous les principes du régime parlementaire. De là, en partie, l'influence considérable des ministres ; de là aussi le soin constamment pris de les choisir de manière à donner satisfaction aux aspirations légitimes du pays et de ses représentants. Une pareille attitude suffisait déjà pour concilier à Charles XV les sympathies de ses sujets suédois; tout ce que l'on connaissait de son caractère et de sa personne y contribuant aussi, il jouit bientôt. d'une popularité très considérable. Le choix de ses ministres avait été particulièrement heureux. Il avait conservé le plus remarquable des conseillers de son père, Gripenstedt; parmi les successeurs donnés aux autres se trouvait un homme hors de pair, le baron De Geer. Ces ministres n'étaient point seulement capables; ils jouissaient de la confiance du pays. Cette confiance s'ajoutant à celle qu'inspirait déjà le souverain, le gouvernement de Charles XV se trouvait dans une situation privilégiée à laquelle il dut de mener à bonne fin l'œuvre délicate qui avait constamment avorté jusque-là.

La réforme constitutionnelle, un peu perdue de vue pendant les dernières années d'Oscar Ier, était de nouveau à l'ordre du jour. Un grand mouvement d'opinion fut organisé dans le pays et, au commencement de 1862, des pétitions revêtues de près de 40 000 signatures demandaient au roi de proposer un nouveau projet. Charles XV, très sagement conseillé par De Geer, n'eut garde de s'opposer à ce désir, et la Diète qui se réunit à l'au

tomne de la même année fut saisie d'un projet officiel également dû à De Geer. Ce projet supprimait la représentation par ordres et instituait deux Chambres, dont la première serait nommée par les assemblées locales et la seconde directement par les électeurs remplissant certaines conditions de cens. Très favorablement accueilli, ce projet fut pris en considération par la Diète de 1862-1863 et définitivement adopté par la Diète suivante; le dernier vote à l'assemblée de la noblesse eut lieu le 7 décembre 1865. L'ancien système représentatif que la Suède gardait pieusement depuis plusieurs siècles avait vécu, et, grâce à l'habileté de ses gouvernants du moment et particulièrement de De Geer, cette transformation profonde s'accomplit sans difficultés et sans secousses.

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Les dernières années du règne de Charles XV ne furent pas marquées d'événements politiques importants. Différentes tentatives pour améliorer le système militaire du pays ne purent aboutir complètement, à cause de l'opposition parlementaire. Une des conséquences de la réforme de 1865 fut en effet de faire prédominer dans la Chambre basse les petits propriétaires fonciers or ceux-ci avaient, en même temps que les qualités des paysans, leurs défauts habituels une certaine étroitesse de vues politiques et un désir parfois exagéré d'économies, afin de dégrever autant que possible la terre. Ce parti agrarien. ne tarda donc pas à manifester une indépendance très grande à l'égard du gouvernement; d'autre part, les adversaires de la réforme de 1865 lui pardonnaient difficilement de l'avoir fait aboutir. Ces diverses oppositions obligèrent successivement divers membres du conseil à se retirer, et les dernières années du règne furent assombries par des difficultés politiques qui, pour n'être pas très graves, n'en affectèrent pas moins le roi, et d'autant plus profondément qu'il avait conscience de ne les avoir point méritées.

Charles XV mourut à Malmö, le 18 septembre 1872, laissant le trône à son frère Oscar II.

La question norvégienne sous Oscar I et Charles XV. -L'histoire proprement norvégienne ne fut pas marquée, au temps d'Oscar Ier et de Charles XV, par des événements bien

caractéristiques. Les rapports avec la Suède primèrent presque constamment la politique purement intérieure. Et dans l'histoire de ses rapports, les avènements des souverains ne marquèrent pas de divisions bien nettes. La situation que nous avons exposée, en parlant de Charles-Jean', se développa logiquement et aboutit ainsi, sous Charles XV, à l'apparition d'une véritable « question norvégienne ».

Oscar I continua les concessions aux aspirations nationales dont son père avait été contraint déjà de donner l'exemple à la fin de son règne. Ce fut lui, notamment, qui prit des décisions relatives aux armoiries et au drapeau de la Norvège : questions peu intéressantes en elles-mêmes mais auxquelles on attachait cependant une réelle importance. Il s'appliqua ensuite à ménager toujours les susceptibilités norvégiennes, mais ses efforts n'empêchèrent point les esprits de se surexciter chaque jour davantage. La Diète suédoise finit par s'émouvoir et un de ses membres demanda une revision de l'acte d'union (1859). A peu près en même temps, le Storting prenait une résolution bien autrement grave. La constitution de 1814 avait prévu pour la Norvège un gouverneur général qui pourrait être suédois. Les premiers gouverneurs nommés par Charles-Jean le furent effectivement; plus tard, et ce fut là une première concession faite aux susceptibilités nationales, le choix des souverains se porta sur des Norvégiens. Löwenskiöld, qui se retira en 1856, n'eut point de successeur. Les Norvégiens, qui protestaient contre le principe même d'un gouverneur général, ne se contentèrent point de cette situation de fait. Le Storting prit en considération une proposition supprimant la charge et, à la session suivante, celle de 1859 cette proposition fut votée par 100 voix contre 2. La portée d'un tel vote ne laissait pas que d'être considérable, car il soulevait et prétendait résoudre une question fort délicate. La Norvège pouvait-elle, de sa propre initiative et sans accord avec la Suède, supprimer le gouverneur général? Les Norvégiens répondaient par l'affirmative en faisant observer qu'il n'était point question du gou

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1. Voir ci-dessus, t. X, p. 679.

verneur général dans l'acte d'union; les Suédois ripostaient en déclarant que cette remarque importait peu, et qu'ils étaient évidemment intéressés dans l'affaire. Il s'agissait donc en définitive de savoir si la Norvège était maitresse de changer à son gré sa propre constitution, même si de tels changements portaient atteinte aux droits de la Suède. Cette question de principe ne fut pas résolue. Le Storting vota, le 23 avril 1860, une adresse au roi, souvent invoquée depuis, et dans laquelle il réservait solennellement les droits de la Norvège. Mais Charles XV préférait ne pas compliquer une situation qui risquait de devenir grave. Il refusa simplement de sanctionner la décision du Storting, et tout en reconnaissant la nécessité de reviser la situation respective des deux pays, renvoya cette revision à une époque indéterminée. Ce n'était là toutefois qu'un expédient; la « question norvégienne » était nettement posée et une crise fatale: elle continua à se préparer lentement pendant toute la fin du règne pour éclater sous Oscar II.

Danemark.

BIBLIOGRAPHIE

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HISTOIRE GÉNÉRALE, XI.

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