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les intentions belliqueuses du chancelier, et mettaient la main. peu à peu sur la politique extérieure de la monarchie. Les événements de 1870 assurèrent leur triomphe. Déconcerté par l'attaque trop prompte de la France, tenu en respect par les menaces de la Russie, Beust, après Sedan, n'avait plus à espérer de succès en Allemagne. La question allemande définitivement réglée au profit de la Prusse, il ne restait à l'Autriche qu'à se retourner vers l'Orient la Prusse avait tout intérêt désormais à l'appuyer de ce côté. Du coup, la Hongrie devenait le facteur dominant de la politique extérieure, et la crise intérieure de l'Autriche, en 1871, ne fit que précipiter un dénoùment inévi

table.

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Le ministère Hohenwart. Triomphe du dualisme. Le ministère Potocki n'était qu'un cabinet de transition destiné à préparer les voies à un essai plus complet de fédéralisme. Il ne savait point au juste ce qu'il voulait il rêvait, semble-t-il, d'un essai de réconciliation des nationalités sur la base d'une application loyale de la Constitution. Des négociations furent entamées avec le parti autonomiste allemand, la seule fraction de la gauche qui fût sincèrement libérale. Des pourparlers eurent lieu entre Potocki et les chefs des Tchèques; mais ceux-ci élevèrent des prétentions trop hautes: la noblesse historique, en ce moment même, accédait à la Déclaration, qui devenait ainsi le programme de tout ce qui en Bohême n'était pas allemand. En Galicie aussi, les propositions du ministre furent jugées insuffisantes. Il échouait partout. Comme dernière ressource, il tenta la chance d'une dissolution de toutes les Diètes les élections furent favorables, en Bohème aux déclarants, en Galicie aux révolutionnistes. Sur 203 sièges du Reichsrath, 75, ceux des Tchèques et de quelques autres Slaves, restèrent vides. Potocki fit place le 7 février 1871 au comte Charles Hohenwart. Son ministère n'aurait point laissé de trace dans l'histoire d'Autriche, si le hasard n'avait attaché son nom à un grand acte la dénonciation du Concordat. Les décrets du concile du Vatican en fournirent l'occasion. Sous le prétexte que la proclamation de l'infaillibilité pontificale modifiait la condition de l'un des contractants au point d'en faire

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une personne autre que celle avec laquelle le traité avait élé conclu, l'empereur, sur le rapport du ministre des Cultes Stremayr, ordonna le 30 juillet que le Concordat fût dénoncé à Rome. Il avait pesé quinze ans sur l'Autriche.

Le comte Hohenwart, gouverneur de la Haute-Autriche, élait, comme Belcredi, un excellent fonctionnaire, d'après Giskra le modèle des gouverneurs »; mais, comme Belcredi, il était dominé par ses préjugés de caste. Il était Allemand d'origine, mais son ministère fut surnommé par le peuple de Vienne ministère des Bohémiens, parce que deux Tchèques, Jiretchek et Habietinek, reçurent les portefeuilles de l'Instruction et de la Justice : les journaux allemands tonnèrent contre cette audace inouïe de mettre un Tchèque à la tête de l'administration de l'Instruction en Autriche, comme si de droit divin le poste revenait à un Allemand, et Jiretchek, en pleine solennité universitaire, fut sifflé par les étudiants. L'homme à idées du cabinet était le ministre du Commerce, Schäffle, un professeur de Tübingen à qui son zèle anti-prussien avait coûté sa place en Wurtemberg, et qui avait été bientôt dédommagé par une chaire à Vienne. Il fut, dans son court ministère, l'initiateur d'une politique depuis reprise avec succès. Le parti libéral allemand a sa force dans la bourgeoisie, dans les classes moyennes pour l'atteindre, il faut ouvrir l'accès du corps électoral à la petite bourgeoisie, aux artisans, dociles à la direction démagogique que ne dédaignent pas de leur donner noblesse et clergé. Noblesse et clergé eussent été les bénéficiaires du nouveau système, comme ils devaient l'être du système de Belcredi; les nationalités slaves n'étaient là que pour masquer leurs ambitions.

Le Reichsrath, en majorité allemand, témoigna au nouveau cabinet la méfiance la moins déguisée : Schmerling, en prenant possession de la présidence de la Chambre des seigneurs, l'attaqua ouvertement; à la Chambre des députés, on lui prédit l'échec de sa tentative ou la ruine de l'Autriche. Il déposa un projet de loi qui étendait la compétence des Diètes : la question préalable y fut opposée. Un autre projet accordait à la Galicie la plupart des concessions réclamées dans la Résolu

HISTOIRE GÉNÉRALE. XI.

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tion toute la législation intérieure devait relever de la Diète, un ministre galicien siéger toujours dans le cabinet autrichien, les délégués de la Diète au Reichsrath avoir droit de vote en toute affaire même qui ne concernait pas la province. Cette dernière disposition surtout provoqua les critiques des Allemands il semblait que le ministère voulût se constituer ainsi une majorité toujours dévouée. Sur une interpellation, Hohenwart se déclara prêt à accorder à la Bohême les mêmes concessions, si elle voulait s'en contenter. La Chambre, par une adresse, dénonça à l'empereur la pernicieuse politique de ses ministres l'empereur prit parti pour eux. La gauche voulut refuser le budget mais les grands propriétaires, dans leur loyalisme toujours inquiet, refusèrent de s'associer à un acte aussi révolutionnaire. A peine en possession de son budget, le ministère prorogea le Reichsrath. Il avait désormais les mains libres. Le programme du compromis bohême fut arrêté: on voulait donner satisfaction au peuple tchèque, pour garantir contre la propagande toujours redoutée de la Prusse la frontière du nord. Le 10 août, le Reichsrath fut dissous, de même que les Diètes des provinces allemandes, de Moravie et de Silésie; la dissolution n'épargna que les Diètes fédéralistes. Les élections, comme toujours, donnèrent la majorité au gouvernement il était certain désormais d'avoir au Reichsrath les deux tiers des voix, et de pouvoir ainsi reviser à son gré la Constitution. Les minorités allemandes protestèrent et se retirèrent. L'intérêt de la session se concentrait sur la Bohême. Le rescrit impérial lu à l'ouverture de la Diète contenait la reconnaissance des droits de la couronne de Saint-Venceslas et la promesse de les confirmer par l'acte du couronnement. Mais l'empereur avait des engagements déjà pris vis-à-vis des autres provinces le Compromis et la Constitution: il demandait donc à la Diète d'adopter telles mesures qui pussent lui en faciliter l'exécution. La majorité tchèque, restée seule après l'exode des Allemands, adopta sous la conduite de Clam-Martinitz une adresse à l'empereur qui devait accompagner les Articles fondamentaux. Ceuxci réclamaient pour la Bohême une situation identique à celle

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de la Hongrie ses représentants dans la Délégation cisleithane devaient être élus par la Diète et non par le Reichsrath; un congrès de délégués des Diètes cisleithanes devait légiférer en matière de commerce et de communications; un Sénat, nommé par l'empereur, exercer les fonctions de gardien et d'interprète de la nouvelle Constitution. Une loi spéciale devait garantir les droits égaux des nationalités, et le règlement électoral de la Diète de Bohême être revisé de façon à assurer leur égalité. La Moravie adhéra aux articles fondamentaux. L'empereur reçut l'adresse avec bienveillance. Il exprima à la députation qui la lui présentait le souhait que la Diète se décidât à élire les députés au Reichsrath les partis fédéralistes y auraient la majorité, et pourraient légalement modifier la Constitution; seulement, dit-il, je ne veux plus rien octroyer ». Mais la noblesse historique ne voulait pas entendre parler du Reichsrath; dans l'intérêt de sa domination, il fallait que la Bohême dût la satisfaction de ses vœux, non à un Parlement, mais à la cour et à l'aristocratie seules. Le grand maréchal de la Diète, comte Nostitz, décida les députés à quitter Vienne sans entrer en négociations avec le gouvernement. Au même moment, Beust, dans un mémoire à l'empereur, déclarait que la politique de Hohenwart ébranlait dans ses fondements la monarchie austro-hongroise, et remettait en question le Compromis de 1867. Depuis plusieurs mois, les libéraux allemands travaillaient à obtenir l'intervention des Hongrois. Andrássy, mandé à Vienne par l'empereur, confirma que la Hongrie ne consentirait pas à ce que le Compromis fùt soumis, même pour une simple formalité d'enregistrement, à la Diète de Bohème: ayant traité avec la Cisleithanie, elle ne voulait connaître que la Cisleithanie. Les hommes d'État hongrois craignaient surtout le contre-coup du triomphe des Slaves d'Autriche sur ceux de Hongrie. Un grand conseil de la couronne réunit les trois ministres communs et les deux présidents du conseil, le 20 octobre 1871 : le résultat en fut que les Tchèques devaient avant tout reconnaître la Constitution de décembre. Clam-Martinitz et Rieger, appelés à Vienne, s'y refusèrent; le 30 octobre, le ministère démissionna. Beust l'emportait. Huit jours après, l'empereur lui faisait demander sa

démission son triomphe était trop complet. Le 14 novembre, Andrássy était nommé ministre des Affaires étrangères la Hongrie prenait la direction de la politique extérieure de la monarchie, la période d'essai et de transition était close, le dualisme définitivement établi et reconnu en Autriche, avec toutes ses conséquences.

BIBLIOGRAPHIE

A l'aide des histoires de MM. de Krones et Leger, on pourra compléter la bibliographie sommaire que voici :

Documents officiels.

Les comptes rendus sténographiques des diverses assemblées Reichsrath renforcé, Reichsrath 1861-65 et 1867-71; Diètes de Bohème et de Galicie; en magyar, Parlements hongrois de 1861 et depuis 1865. — Supplément au Staatsarchiv de Aegidi et Klauhold, 1862. Journaux et revues. Wiener Zeitung (officiel); Presse (officieux); Neue Freie Presse (allemand libéral), Vaterland (clérical féodal), de Vienne; Narodni Listy et Pokrok, de Prague; Pester Lloyd, de Pest; Unsere Zeit, de Leipzig.

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Mémoires et correspondances. Mémoires de Beust. Hasner, Denkwürdigkeiten, 1892. Arneth, Aus meinem Leben, 1891. Mémoires de B. v. Meyer. — Dreissig Jahre aus dem Leben eines Journalisten, 1895.— Discours de Deák, publiés par Kónyi (en magyar); Correspondance entre A. Grün et L. Frankl, publiée par B. v. Frankl-Hochwart; l'entrevue de Deák et de Beust, racontée par Csengery dans la Ungarische Revue, 1887; les articles de E. Kónyi et Okolicsanyi, sur Andrássy, dans la Deutsche Revue (avril et mai 1890.)

Écrits de polémique politique.

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Zur Lösung der ung. Frage, 1860.

- L. Perthaler, Palingenesis et Neun Briefe über Verfassungsreform in OEsterreich, 1860. A. v. Keskeméthy, Ein Jahr aus der Geschichte Ungarns, 1862. — Drei Jahre Verfassungsstreit, écrit sous la dictée de Szécsen, 1864. Palacky, L'idée de l'État autrichien (allemand et tchèque), 1865. Lustkandl, Ungarisch-österreichisches Staatsrecht, 1863; Abhandlungen aus dem österreichischen Staatsrecht, 1866. Deák, Ein Beitrag zum ung. Staatsrecht, 1865. Fischhof, Esterreich und die Bürgschaften seines Bestandes, 1869.

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Ouvrages ultérieurs. Ceux de Luschin v. Ebengreuth, Beer, Rogge (t. I et III), Andrássy, cités ci-dessus au chapitre IV. Ulbrich, Die rechtliche Natur des öst.-ung. Monarchie, 1879; OEst. Staatsrecht, 1883. Tezner, Der österr. Kaisertitel, dans la Zeitschrift für das Privat-und öffentl. Recht der Gegenwart, 1898. Beksics, Der Dualismus..., dans la Zeitschrift für ung. öff. u. Privat Recht, 1895. Friedjung, Der Kampf um die Vorherrschaft in Deutschland, 1897. Bidermann, La loi hongroise des nationalités, dans Revue de droit international, 1869 et 1870. Krones, Moritz von Kaiserfeld, 1888. - B. Auerbach, Les races et les nationalités en Autriche-Hongrie, 1898.

F. v.

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