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en avaient compromis le succès, ce grand effort ne fut pas tout à fait perdu.

Siège de Zaatcha. Des causes toutes locales, la turbulence traditionnelle des populations berbères, un remaniement malencontreux de l'impôt des palmiers, peut-être aussi des rumeurs, grossies par l'éloignement, qui représentaient la révolution de 1848 comme un cataclysme où s'abimait la puissance de la France, déterminèrent l'insurrection de Zaatcha. C'était une oasis du groupe des Ziban, à sept lieues au nord-ouest de Biskra. Un certain Bou-Zian, jadis porteur d'eau à Alger, puis cheikh d'Abd-elKader et par surcroît marabout, en avait fait le foyer d'une agitation qui s'étendit bientôt à toute la contrée. Le lieutenant Seroka, du bureau arabe de Biskra, essaya d'y couper court en enlevant le principal meneur, mais les gens de Zaatcha s'ameutèrent et délivrèrent Bou-Zian. Le colonel Carbuccia voulut les châtier. Il fut repoussé avec perte (juillet 1849). A l'automne le général Herbillon, qui commandait alors la province de l'Est, s'avança avec 4 000 hommes. Zaatcha, enfouie au milieu de ses palmiers, dans un enchevêtrement de jardins, de clôtures, de canaux d'irrigation, était protégée par un fossé de 7 mètres et une haute muraille crénelée. Les habitants, bien armés et très excités, opposèrent une énergique résistance, devant laquelle échoua le double assaut du 20 octobre. Il fallut faire un siège en règle, appeler des renforts d'Aumale et de Sétif. Les assiégés, exaspérés par la destruction de leurs palmiers, exécutaient de furieuses sorties, les oasis voisines s'agitaient pour les secourir, les nomades menaçaient nos derrières. Cependant les approches avaient été déblayées, les brèches étaient reconnues praticables. Le 24 novembre, une dernière sortie est repoussée; le 26, à sept heures du matin, trois colonnes se lancent à l'assaut. Le colonel Canrobert entraîne la première. En un instant, les 4 officiers et 12 hommes sur 16 du peloton d'élite qui marche en tête avec lui sont mis hors de combat. Lui seul reste sans blessure et continue de mener la charge. Une dans la ville, la guerre de rues commence. Chacune des est une forteresse. Bou-Zian avec 150 fidèles s'est

dans une des plus solides. Une fusillade meurtrière rend impossible l'escalade; un canon est mis en batterie, les artilleurs sont tués; mais une explosion de mine déracine un pan de mur, tout est massacré; la tête sanglante du marabout est jetée aux pieds de Canrobert. Aucun des défenseurs de Zaatcha ne fut épargné. La ville fut rasée, l'oasis détruite. Mais cette bourgade saharienne nous avait tué ou blessé 1 500 hommes, sans parler des ravages exercés dans nos rangs par le choléra. Au retour, Canrobert passa par l'Aurès qui s'était soulevé; la prise et l'incendie de Nara, dans la vallée de l'oued Abdi, mirent fin à toute résistance.

Les mouvements qui s'étaient produits dans les deux Kabylies motivèrent de 1849 à 1851 diverses expéditions, dont la principale, celle de la Petite-Kabylie, entre Philippeville, Djijelli et Mila, valut à Saint-Arnaud les étoiles de divisionnaire.

Gouvernement de Randon. - Cavaignac nommé en remplacement du duc d'Aumale, Changarnier qui lui succéda en avril 1848 ne firent que passer au gouvernement de l'Algérie. Le général Charon l'occupa deux ans (septembre 1848octobre 1850), le général d'Hautpoul, quatorze mois (octobre 1850décembre 1851). On envoya alors à Alger le général Randon, qui avait quitté le ministère de la guerre avant le coup d'État pour faire place à Saint-Arnaud. Il prit possession de son poste le 1er janvier 1850 et y resta jusqu'en juin 1858, plus longtemps qu'aucun des gouverneurs qui l'avaient précédé et que la plupart de ceux qui l'ont suivi. De son commandement datent la soumission du Sahara et la conquête définitive de la GrandeKabylie.

Extension dans le Sahara. Dans le Sahara avait reparu le chérif Mohammed-ben-Abdallah, dont nous avions essayé de nous servir pour l'opposer à Abd-el-Kader. Il revenait du pèlerinage de la Mecque et prêchait la guerre sainte. Les Turcs, qui n'avaient pas encore abandonné l'espoir de remettre un jour la main sur l'Algérie, lui avaient facilité le passage par Tripoli et Ghadamès. Il était venu s'établir à Ouargla et avait réussi à entrainer avec lui presque tous les nomades du sud-est. En 1852, ses partisans soulevèrent Laghouat, où il

se hâta d'accourir. Trois colonnes furent alors mises en mouvement. Tandis que Youssouf marchait sur Laghouat, Pélissier se portait vers le Sud oranais, Mac-Mahon couvrait la région de Biskra. Youssouf rejeta le chérif dans Laghouat; mais, devant une résistance qui s'annonçait comme aussi déterminée que celle de Zaatcha, il s'arrêta pour attendre Pélissier qui venait à son aide. La jonction s'opéra le 2 décembre, le 3 l'attaque commença, le 4 au matin l'artillerie avait ouvert une brèche par laquelle s'élancèrent les troupes de Pélissier, tandis que Youssouf escaladait sur un autre point la muraille. La bataille des rues fut presque aussi sanglante qu'à Zaatcha. Laghouat, définitivement occupé, se repeupla lentement et devint notre poste avancé dans la province d'Alger.

Mohammed-ben-Abdallah avait réussi à s'échapper avec quelques cavaliers. Notre nouvel allié Si-Hamza, le chef des OuledSidi-Cheikh, alla le relancer dans Ouargla qu'il lui enleva. Après le combat de Meggarin et la perte de Touggourt, il se réfugia dans le Djerid tunisien, puis chez les Touareg des environs d'Insalah. En 1861 on apprit tout à coup qu'il était rentré dans Ouargla. Si-bou-Beker, fils de Si-Hamza, l'en débusqua presque aussitôt, se lança à sa poursuite à travers le désert et le ramena prisonnier. Dans l'intervalle, nos troupes étaient entrées à Touggourt et à El-Oued. Dès 1856, le général Desvaux faisait commencer dans l'Oued-Rir les forages arlésiens qui allaient revivifier tout ce groupe d'oasis. Par l'Oued-Rir et l'Oued-Souf nous nous étendions jusqu'aux confins de la Tripolitaine. Au delà de Laghouat et de nos postes du sudouest, les Ouled-Sidi-Cheikh constituaient avec notre appui une grande marche saharienne, qui couvrait au sud les provinces d'Alger et d'Oran.

Conquête de la Kabylie. Retranchés dans leurs àpres montagnes, les Kabyles étaient restés pendant des siècles un peuple à part. Ils avaient échappé à l'assimilation romaine. Lors de l'invasion arabe, ils s'étaient laissé convertir à l'islamisme, mais en gardant leur idiome berbère, leurs kanoun ou coutumes locales, leur organisation si différente de celle de la société arabe. Ils ne se soumirent jamais à la domination.

turque. Après 1830, ils bataillèrent souvent contre nos garnisons de Bougie, de Djijelli, de Collo, mais ils eurent toujours soin de ne pas s'engager à fond avec Abd-el-Kader, dont les allures de souverain excilaient leurs défiances. Bugeaud aurait voulu les réduire; il n'eut que le temps de leur imposer une soumission apparente qu'ils supportèrent d'ailleurs impatiemment. Tous les agitateurs qui se montrèrent chez eux, les BouBarla, les Si-Djoudi, les Bou-Sif les trouvèrent prêts à les suivre. Entre 1848 et 1857, il fallut presque chaque année recommencer une campagne de Kabylie. Ni l'expédition des Babors en 1853, ni celle du Haut-Sébaou en 1854 ne donnèrent des résultats décisifs. Les Kabyles demandaient l'aman, payaient une contribution de guerre, puis se soulevaient de nouveau. Randon réclama les moyens et l'autorisation d'en finir. Son influence grandissait, il avait été fait maréchal en 1856. En 1857 il put mettre ses projets à exécution. Une armée de 35 000 hommes fut mobilisée. Pendant que des corps d'observation postés à Dra-el-Mizan, chez les Beni-Mansour, chez les Beni-Abbès, au col de Chellata, cernaient de toutes parts la forteresse du Djurjura, trois divisions avec de la cavalerie et de l'artillerie de montagne l'abordaient de front par Tizi-Ouzou. Les Beni-Iraten, assaillis les premiers, résistèrent avec vigueur, mais, après une lutte de deux jours, ils se rendirent. La division Mac-Mahon, dans la sanglante journée du 24 juin, enleva sur les Beni-Menguillet le village fortifié d'Icheriden. Leur défaite entraîna celle des Beni-Yenni et des Illilten. Les combats d'AïtHassen et de Taourirt-Mimoun, la capture de la prophétesse Lella-Fathma furent les derniers épisodes de cette rude campagne de soixante jours. Toutes les tribus acquittèrent l'amende de guerre et livrèrent des otages. Le fort Napoléon (aujourd'hui Fort-National) s'éleva sur le plateau de Souk-el-Arba, chez les Beni-Iraten, au cœur de la Grande-Kabylie; des routes militaires s'ouvrirent au milieu des montagnes. Les Kabyles conservaient leurs institutions particulières et l'autonomie de leurs communes, mais ils étaient domptés. Il faudra pour les jeter de nouveau dans la révolte la grande commotion

de 1871.

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Colonisation. Tout soldat qu'il était, le maréchal Randon ne se laissa pas absorber par les seules préoccupations militaires. L'œuvre de la colonisation fut activement poursuivie. On mit à l'essai différents systèmes celui de la vente des lots de terre, celui des grandes compagnies foncières. En 1853, 20 000 hectares furent attribués à la Compagnie genevoise, à charge pour elle de construire des villages et d'y installer des colons. En même temps le régime des concessions individuelles était modifié; au lieu d'un titre provisoire, le colon obtenait un titre de propriété immédiate avec clauses résolutoires, qui lui permettait de transmettre à un tiers ses droits et ses obligations ou de se procurer des ressources en hypothéquant sa terre. 85 centres nouveaux furent ainsi créés. On s'occupait d'améliorer les ports, de protéger les forêts, d'expérimenter des cultures. Il y eut encore là bien des tâtonnements et des erreurs. Mais malgré tout l'Algérie se développait. La loi du 22 juin 1851, qui accordait à presque tous les produits algériens, traités jusqu'alors comme des provenances étrangères, l'entrée en franchise dans la métropole, fut le plus efficace de tous les stimulants. En une seule année les exportations doublèrent. En 1857, un décret rendu sur la proposition du maréchal Vaillant décida la construction d'un réseau de chemins de fer algériens; les travaux commencèrent en 1860. A cette date, le commerce extérieur atteignait à 157 millions. En 1861 la population européenne dépassait le chiffre de 200 000.

La présence de cette population complétait la prise de possession du pays, mais elle compliquait singulièrement le problème de l'organisation politique, beaucoup plus simple tant qu'on n'avait eu affaire qu'aux seuls indigènes. On avait pu laisser à ceux-ci, non seulement leurs coutumes et leur statut, mais tout le régime féodal ou patriarcal sous lequel ils vivaient avant la conquête, en y superposant le commandement militaire français. Il fallut créer à l'usage des Européens des juridictions et des administrations civiles. Depuis 1848, les villes et le pays colonisé formaient dans chaque province un département. Mais les territoires civils et militaires se touchaient, se pénétraient, s'enchevêtraient parfois les uns dans les autres. Généraux et préfets,

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