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sur la passerelle avec les officiers de marine, le gouverneur déclara au commandant « qu'il fallait chercher à passer à tout prix, et que le devoir était de périr ou de sauver Médine. On surchargea les soupapes de sûreté et on poussa les feux. » Le bateau s'ébranla, refoula lentement le courant et passa. Il fallut encore forcer le défilé des Kippes, où le fleuve resserré coule entre des murailles rocheuses que l'ennemi avait garnies de tirailleurs. Enfin Médine apparut; le drapeau tricolore flottait toujours sur les remparts, mais un silence de mort y régnait. Faidherbe, dévoré d'inquiétude, n'attend pas que son artillerie soit débarquée; il part au pas de course avec une avant-garde de volontaires noirs, bouscule les Toucouleurs qui essaient de l'arrêter et fait sa jonction avec la garnison sortie à sa rencontre. Il était temps. « Les femmes se précipitaient sur les moindres morceaux de bois, comme si c'eût été des objets précieux, pour allumer un peu de feu et faire bouillir des racines; d'autres cueillaient et mangeaient de l'herbe crue. »

Cinq heures après, avec 350 hommes dont 50 blancs, Faidherbe mettait en pleine déroute les bandes du prophète. ElHadj-Omar recula jusqu'au fond du Bambouk. Au printemps de 1858, il ravagea le Bondou et le Fouta, mais en évitant les postes français. En 1859, il remonta lentement vers l'est, détruisant tout sur son passage, forçant les habitants à quitter pour le suivre leurs villages incendiés. Il tenta en passant un coup de main sur Matam, mais il trouva là son ancien adversaire de Médine, Paul Holl, qui lui infligea un nouvel échec. Ce fut son dernier engagement contre nos troupes. Tout entier à la conquête des pays du Niger, il parut avoir renoncé à nous disputer le Sénégal. Dès 1860, il essayait de négocier avec nous.

Les rivières du Sud et le Cayor. - Ce péril écarté, Faidherbe put porter son attention sur la rive gauche du bas fleuve et les rivières du Sud. La rapide campagne de 1859 nous valut des traités avec le Baol, le Sin, le Saloum, entre Gorée et la Gambie. Au sud de la Gambie, les peuplades de la Casamance reconnurent la souveraineté de la France.

Il y eut un moment difficile en 1862, après le départ de Faidherbe, remplacé par le capitaine de vaisseau Jauréguiberry.

Les Toucouleurs de la rive gauche s'étaient soulevés de Podor à Bakel, coupant les communications avec le haut fleuve; en face d'eux les Maures s'agitaient; on annonçait qu'El-HadjOmar allait reparaître; un de ses lieutenants, Tierno-Demba, était proclamé almamy du Fouta. Jauréguiberry prit l'offensive. L'almamy fut défait près de Saldé et de Dagana. Une forte colonne, appuyée par la flottille, parcourut le Toro et le Fouta central. Le Toro fit sa soumission et reconnut la souveraineté de la France.

En juillet 1863, Faidherbe, devenu général de brigade, reprit sur sa demande le gouvernement du Sénégal. Il eut aussitôt à se préoccuper de la situation du Cayor. Ce pays, situé sur le littoral, entre Saint-Louis et Gorée, était désolé par les brigandages de ses damels. Nous avions élé amenés à traiter avec eux pour créer une route de terre entre Saint-Louis et Gorée, puis à intervenir pour la protéger. Le damel Madiodio que nous avions installé fut renversé. Lat-Dior, qui l'avait supplanté, agissait contre nous. Faidherbe jugea nécessaire de consolider notre ligne d'occupation par l'établissement de deux nouveaux postes, Thiès, à l'est de Rufisque, et Nguigis, sur la route même de Saint-Louis à Gorée. Lat-Dior surprit la garnison de Nguigis, qui perdit 120 hommes dont 2 officiers. Cet échec, le plus grave que nous eussions encore éprouvé au Sénégal, fut vengé par le colonel Pinet-Laprade. Lat-Dior, complètement battu et vivement poursuivi, chercha un asile auprès du chef Maba, qui avait réussi à s'emparer du Saloum. Tous deux ensemble envahirent le Djolof et menacèrent le Cayor par l'est. Une colonne légère les tint en respect. Les hostilités furent alors interrompues par l'hivernage. Faidherbe, dont la santé était déjà perdue, dut quitter définitivement le Sénégal avant qu'elles fussent reprises. Pinet-Laprade, devenu gouverneur, traversa tout le Cayor et le Saloum et alla sur les frontières de la Gambie détruire l'armée de Maba. Mais celui-ci tint encore la eampagne; nous n'en fûmes débarrassés qu'en 1867, après qu'il eut été tué dans une furieuse bataille de treize heures, livrée au roi de Sine. Dans l'intervalle, Lat-Dior avait fait sa paix avec nous. Il la rompit en provoquant, d'accord avec le marabout fanatique Ahmadou

Cheikou, un soulèvement simultané dans le Cayor et le Fouta. En 1869, il eut avec nos troupes un engagement heureux. L'escadron de spahis, abandonné devant le village de Mékhey par les volontaires noirs, fut à moitié anéanti. Lat-Dior fut battu à son tour dans plusieurs rencontres. Mais il trouvait toujours moyen de refaire ses forces. De guerre lasse, on se décida à traiter de nouveau avec lui et à le réinstaller comme damel du Cayor.

Progrès du Sénégal. Depuis 1854 nous étions devenus les maîtres incontestés de toute la ligne du fleuve, depuis SaintLouis jusqu'à Médine, de toute ia route côtière de Saint-Louis à Gorée. Nous avions rejeté au Soudan El-Hadj-Omar, imposé la paix aux Maures, détruit Maba, soumis Lat-Dior. L'administration intérieure n'avait pas été moins féconde que l'action politique et militaire. Saint-Louis transformé avait maintenant des rues bien tracées, des quais en maçonnerie, des édifices publics, des ponts pour communiquer avec ses faubourgs de Guet N'dar et de Bouëtville. On avait ouvert des routes, posé des télégraphes, dressé des phares, planté des balises, créé en face de Gorée l'excellent port de Dakar. La colonie avait des casernes pour ses soldats, des hôpitaux pour ses malades, des écoles pour ses enfants, une banque, une imprimerie et jusqu'à un musée. L'école dite des otages, organisée à Saint-Louis pour recevoir des fils de chefs, dressait pour notre service de précieux auxiliaires, destinés à répandre dans l'intérieur notre langue et notre influence. La pacification presque générale, l'extension des cultures, la sécurité des transactions déterminaient un mouvement d'affaires que l'ancien Sénégal n'avait jamais connu, même au temps de la traite des nègres. Le commerce extérieur, qui n'avait été que de 5 millions en 1825, arrivait à 40 millions en 1868, à 30 millions en 1869. La population, évaluée à 15 000 âmes en 1830, en comptait 200 000 en 1870.

Explorations. Mais les ambitions que Faidherbe avait conçues pour la France ne se limitaient pas au Sénégal. Devançant d'un quart de siècle le grand mouvement d'expansion européenne vers le continent noir, il voulait que cette colonie devint notre base d'opérations pour pénétrer dans l'intérieur et faire

rayonner de tous côtés sur l'Afrique occidentale l'influence française. C'est dans cette pensée que furent organisées des missions chargées d'opérer la reconnaissance des pays limitrophes, d'en étudier les ressources, les forces, les routes commerciales, d'y nouer des relations, d'y conclure des traités. Déjà le mulâtre Léopold Panet était allé par l'Adrar de Chinguetti jusqu'au Maroc (1850); le lieutenant de spahis Hocquart, passant par la Casamance, la Gambie et le rio Grande, avait visité le Fouta-Djalon (1851). Faidherbe envoya le capitaine d'état-major Vincent renouveler l'exploration de l'Adrar; un noir de Saint-Louis, Bou-el-Moghdad, fit, par la voie de terre, le voyage de Saint-Louis à Mogador; l'officier indigène Alioun-Sal tenta de gagner Alger par Tombouctou; l'enseigne de vaisseau Bourrel visita le pays des Brakna; un autre marin, Mage, le pays des Douaïch; les sous-lieutenants Pascal et Lambert parcoururent, le premier le Bambouk, le second le Fouta-Djalon. En 1863, le lieutenant de vaisseau Mage et le docteur Quintin furent chargés de se rendre auprès de notre ancien ennemi El-Hadj-Omar, qui semblait disposé à négocier avec nous un traité de commerce et d'amitié. Ils devaient en même temps étudier le parcours entre nos postes du Haut-Sénégal et le Niger, en recherchant les points les plus favorables pour la création de postes espacés de trente lieues en trente lieues, qui serviraient d'entrepôt aux marchandises et de protection aux caravanes. Par les deux fleuves ainsi reliés pourrait s'ouvrir un jour une route commerciale, allant de Saint-Louis aux bouches du Niger après avoir traversé le Soudan. Mage et Quintin ne purent joindre El-Hadj-Omar, alors engagé contre les Peuls du Massina dans une lutte où il devait trouver la mort. Son fils Ahmadou ne leur laissa pas dépasser Ségou et les retint plus de deux ans dans une demicaptivité. Pendant ce séjour forcé, ils recueillirent d'amples renseignements sur la géographie, l'histoire, les productions, le commerce, l'état politique du pays; ils virent de près l'armée du conquérant toucouleur, l'organisation de son empire; ils se rendirent compte des moyens qu'il avait mis en jeu, des forces dont il disposait, des résistances auxquelles il se heurtait. Dans

leur voyage d'aller par Bafoulabé, Kita, Nyamina, dans leur retour par Nioro et Koniakary, ils purent étudier un double itinéraire de Médine au Niger navigable. Ils avaient éclairé la route où devaient s'élancer plus tard, pour réaliser la grande. idée de Faidherbe, les explorateurs et les conquérants du

Soudan.

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Les persécutions de Tu-Duc. Expédition de Cochinchine. Depuis la fin du XVIe siècle, les gouvernements qui s'étaient succédé en France avaient manifesté le désir et recherché les moyens de renouer dans l'Indo-Chine orientale les relations un moment établies au temps de Louis XVI entre la France et le royaume d'Annam'. Ces tentatives échouèrent toujours devant les défiances des successeurs de Gia-Long. Ils employèrent la violence pour écarter la propagande des « maîtres de religion » européens, dans laquelle ils voyaient comme le prélude de l'invasion étrangère. A plusieurs reprises le gouvernement de Louis-Philippe dut intervenir pour protéger les mis

sionnaires.

Sous le second Empire, les événements de Chine apportèrent une confirmation décisive à l'opinion, plus d'une fois exprimée par les marins, qu'il était nécessaire d'avoir en Extrême-Orient un port à nous pour servir de point d'appui et de base de ravitaillement à nos escadres. Les persécutions avaient redoublé depuis l'avènement de Tu-Duc (1847). La mission de M. de Montigny, chargé de réclamer la liberté de commerce, la liberté religieuse, l'installation d'un comptoir français à Hué et d'un consul à Tourane, n'obtint aucune satisfaction. Le vaisseau le Catinat avait répondu aux hostilités des mandarins. annamites en bombardant les forts de Tourane et en faisant enclouer leur artillerie par sa compagnie de débarquement (1856). Tu-Duc, plus irrité qu'intimidé, annonça dans une proclama

1. Voir ci-dessus, t. X, p. 989 et suiv.

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