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jugeoit incapables de rendre jamais aucun fervice utile à cause de leur » fierté intraitable & de leur perfidie, ils furent condamnés aux bêtes » dont ils imitoient la férocité. » Quand on lit ce paffage, on ne fait lequel eft le plus féroce, de Conftantin, ou des ennemis défarmés qu'il fait périr fi inhumainement.

Comment excufer la mort de cet innocent Eunuque que Conftantin fit mettre dans fon lit pour y être poignardé par Maximien? Un Prince pieux ne fe feroit point avifé d'un pareil ftratagême, & auroit épargné à fon beau-pere un crime de plus & à foi-même un parricide. Qui peut refufer quelque pitié à Licinius, qui long-temps l'égal de Conftantin, & enfin foumis à fon pouvoir fous la fanction des traités, fut bientôt condamné à mort par cet Empereur fous de vains prétextes & contre la foi donnée?

Il est vrai, Conftantin protégea les Chrétiens; le premier ufage qu'il fit de fa victoire fur Maxence, fut d'engager Licinius à proclamer un édit de tolérance en leur faveur. Il fit plus, il travailla à la deftruction de l'Idolâtrie & à la propagation du Chriftianifme; & devenu lui-même Cathécumene, il amena prefque toute fa famille à la profeffion de la vraie Religion. Comme protecteur de l'Eglife, Conftantin mérite de grands éloges & la reconnoiffance du monde Chrétien, mais la nouvelle foi qu'il embraffa, influa trop peu fur fes mœurs & fur fon gouvernement. Sa conduite fait malheureusement foupçonner qu'il ne différoit fon baptême jufqu'à la mort que pour donner un libre cours à fes paffions pendant fa vie, & laver à la fin de fa carriere, dans les eaux baptifmales, les crimes dont il fe fouilloit: fatal abus de la Religion dont les moyens d'expiation fervent aux cœurs corrompus à s'autorifer dans leurs défordres!

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CONSTANTIN feul Empereur. Son Gouvernement.

EPUIS la mort de Conftance-Chlore, jusqu'à la ruine de Maxence & de Maximin, l'Empire Romain avoit été comme en combustion. Des guerres perpétuelles, l'interruption de commerce, nulle fureté pour voya ger ni fur terre ni fur mer, vexations de toute efpece, il n'eft forte de calamité que l'Empire n'eût éprouvée dans ces malheureux temps. Enfin la ruine de Licinius fembla ramener le calme. Alors Conftantin n'ayant plus de concurrent, & embraffant fous fa domination, comme les anciens Émpereurs, toute l'étendue des terres & des mers qui reconnoiffoient les loix de Rome, donna la paix au monde. Les peuples, charmés de voir les guerres civiles terminées, firent éclater leur joie.

Ce Prince commença par réparer les maux que Maxence avoit faits dans Rome il tira des prifons les Nobles & les Confulaires que le Tyran y avoit jettés: il rappella les bannis, rétablit en la poffeffion de leurs biens ceux qui en avoient été injuftement dépouillés, rendit au Sénat fes anciens droits, & il en augmenta la fplendeur. Il donna auffi fes foins à l'embel

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liffement de la ville, & décora le grand Cirque par de magnifiques ornemens. Sous la tyrannie de Maxence les femmes qui avoient quelque beauté, n'étoient point en fureté, & le Tyran employoit jufqu'à la violence pour leur faire le plus grand outrage. Sous Conftantin, les Dames Romaines oferent fe montrer, & leurs charmes n'eurent rien à craindre d'un Prince qui favoit refpecter leur vertu. Ce Prince pourvut au foulagement des pauvres, & s'engagea à nourrir leurs enfans défendant de les vendre, comme il n'étoit que trop ordinaire. Il travailla de tout fon pouvoir à réformer les défordres de l'Empire, & à y établir la paix & l'union; en un mot, à faire voir qu'il fe regardoit comme le pere de fes fujets. Il fe montroit acceffible à tous, & favoit ainfi fe rendre aimable, fans rien perdre de fa majefté. Les peuples, ravis d'admiration pour tant de vertus, exprimoient à l'envi leur reconnoiffance & leur refpe&t envers un Prince né pour les rendre heureux. Le Sénat lui fit ériger des ftatues, luf décerna des couronnes, fit élever des édifices à fon nom & à fa gloire comme autant de gages de l'affection publique. Le plus célébre & le plus beau, fut l'arc de triomphe, qui fubfifte encore, & lui fut érigé comme au libérateur de la ville, & à l'auteur de la tranquillité publique : ce font les termes de l'inscription. On accouroit de toutes les parties de l'Italie pour voir de fes yeux un Prince qui avoit, par fes victoires, délivré l'Empire de fes Tyrans. Il convient maintenant de donner une légere idée de la fageffe de ce Prince dans la législation.

Comme il étoit perfuadé que l'amour de la juftice, & le zele contre les oppreffeurs des peuples, font les premieres qualités, d'un Souverain, il voulut en donner une marque bien authentique par l'édit qu'il fit contre les malverfations des Juges & des Officiers, & qu'il adreffa à tous les fujets de l'Empire. Cet édit mérite d'être écrit fur les portes des Palais des Princes. » Si quelqu'un, dit-il, de quelque rang & condition qu'il » foit, fe croit en état de prouver manifeftement quelqu'injuftice com» mife par qui que ce puiffe être de ceux qui exercent l'autorité en mon » nom, Juges, Comtes, Miniftres, ou Officiers de mon Palais, qu'il fe » présente avec confiance, qu'il s'adreffe directement à moi, j'écouterai » tout par moi-même, je prendrai moi-même connoiffance de tout; & » fi le fait eft prouvé, je me vengerai de ceux qui m'auront trompé par » de faux dehors d'intégrité : & au contraire je récompenferai par des lar» gesses, j'éleverai en honneur celui qui aura découvert & puni le cri» me. « Il fit un autre édit qui menace du fupplice les Miniftres fubalternes de la justice, s'ils font trouvés coupables de vexations. Rien n'eft plus beau que les loix qu'il prefcrit aux juges dans l'exercice de leur miniftere. Par d'autres, qu'il feroit trop long de rapporter, il mit un frein à l'avidité des Avocats de ce temps-là, qui obligeoient ceux qui avoient befoin de leur fecours, de leur céder ce qu'ils poffédoient de meilleur. Il maintint l'ordre judiciaire des loix; il renouvella celles contre les crimes de

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rapt & d'ufurpation du bien d'autrui il condamna les délateurs à mort, s'ils ne prouvoient juridiquement ce qu'ils auroient avancé. Il défendit aux prépofés à la levée des deniers publics de charger outre mefure les pauvres pour favorifer les riches. Il maintint les poffeffeurs de bonne foi en pleine & paifible poffeffion de tout ce qu'ils pouvoient avoir acquis des dépendances du domaine, à quelque titre que ce fût. Il interdit les traitemens trop rigoureux, c'eft-à-dire, les peines corporelles contre les débiteurs des droits du Prince; il voulut que les prifonniers fuffent traités avec humanité il modéra les ufures, if protégea les travaux de la campagne. Il fit auffi des loix pour maintenir la pureté des mœurs; dans ce qu'il ordonna à ce fujet, il mit les adulteres de niveau avec les meurtriers & les empoifonneurs il condamna les raviffeurs au dernier fupplice. Il défendit qu'aucun homme marié osât entretenir une concubine. A l'égard des crimes contre nature, s'il ne les abolit pas, il tâcha d'en arrêter le progrès par les fupplices rigoureux qu'il décerna contre les coupables. Il fit auffi d'utiles Réglemens pour les gens de guerre; car ce Prince maintenoit avec févérité, la difcipline dans les armées: fur quoi on doit remarquer que dans ce grand nombre de guerres qu'il eut à foutenir, il ne s'éleva parmi ses troupes aucune fédition : il fut fans doute redevable de cette tranquillité à fes grandes qualités, qui lui attiroient l'eftime des Officiers. Il eft aifé de s'appercevoir qu'une grande partie de ces loix portent une impreffion de l'efprit du Chriftianifme que ce Prince avoit déjà goûté, comme nous l'allons voir.

Conftantin aima & favorifa les Lettres : il se plaifoit à lire, à écrire, & à méditer. L'hiftorien Eufebe témoigne que ce Prince dreffoit lui-même fes édits, & qu'il compofoit fes harangues. Comme il eftimoit les belles connoiffances, il voulut que fes enfans reçuffent une éducation digne de leur naiffance, & il leur choifit les meilleurs maîtres qu'il fut poffible de trouver. Il donna, pour Précepteur, à fon fils Crifpus, le celebre Lactance, & au Prince, qu'il eut de Faufta, Æmilius Arborius, Profeffeur d'Eloquence

à Toulouse.

Il accorda de grands privileges aux Médecins & aux Profeffeurs des autres arts libéraux; il les exempta du fervice militaire & du logement des gens de guerre, afin qu'ils puffent vaquer plus librement à leurs études. 11 favorifa l'architecture, & invita les jeunes gens qui avoient du génie à cultiver cette fcience.

Tels font les traits fous lefquels les Panégyriftes de Conftantin nous ont représenté le regne de cet Empereur; mais les hiftoriens qui ne font, ni zoïles, ni flatteurs, l'ont jugé avec plus d'impartialité. Ils ont obfervé avec raifon, que ce Prince s'écarta étrangement de l'efprit de tolérance qui avoit dicté fon premier édit en faveur des Chrétiens, & qu'il regardoit luimême alors comme le meilleur moyen de propager la vérité. Le même Empereur qui avoit dit : » Nous voulons que ceux qui fuivent les erreurs

» des

» des Gentils jouiffent de la même tranquillité & du même repos que les » fideles; que perfonne ne s'avife de molefter fon femblable; que chacun » vive comme il lui plaît, & que ceux qui veulent fuivre une fauffe reli

gion aient auffi leurs temples & leur culte. « Le même Conftantin, au bout de quelque temps, donna un édit, contre les hérétiques, où il leur défendoit d'avoir des Oratoires, & d'ofer même s'affembler fous quelque prétexte que ce foir : il envoya des foldats dans toutes les Provinces de Î'Empire, renverfer les temples, brifer les idoles, emprifonner leurs prêtres, difperfer leurs adorateurs, & s'efforcer d'établir ainfi fes opinions par le fer & le feu. Ainfi ce Prince fit le Chriftianifme impérieux & perfécuteur, de tolérant & fuppliant qu'il étoit dans fa naiffance.

C'eft à Conftantin que nous devons, fuivant la remarque du judicieux Auteur de la Félicité publique, ce mêlange vicieux des deux Puiffances civile & eccléfiaftique, qui depuis quinze fiecles, a répandu le trouble dans le monde chrétien.

La premiere trace de l'intervention du pouvoir eccléfiaftique dans les affaires civiles, se trouve dans une loi de Conftantin, fur l'affranchiffement des efclaves. A la place des formalités dont ces affranchiffemens étoient accompagnés, il veut qu'on puiffe fe contenter déformais de l'atteftation d'un Evêque; comme fi les procès étoient des cas de confcience, & les jugemens, des pénitences. Il n'est personne qui ne fache de quels rapides progrès ce premier pas fut fuivi. Dès-lors, toutes les voies furent préparées des privileges fans nombre furent accordés au Clergé; comme permiffion de recevoir des legs, exemption de toutes charges onéreuses, telles que collection de deniers, offices municipaux, magiftratures, tutelles, &c. faveurs fi exceffives, que l'intérêt corrigeant bientôt l'enthousiasme, on fut obligé de les révoquer; en effet, prefque tous les Citoyens, pour mettre leurs biens à couvert, s'étoient fait Eccléfiaftiques, & Dieu étoit fi bien fervi, que l'Etat n'avoit plus ni fujets, ni Magiftrats. Les intérêts du fifc ont été, chez tous les Princes, les limites de leur foi: mais fi Conftantin ne voulut pas céder au Clergé fur un point fi important, il ne craignoit pas de lui facrifier les principes les plus anciens du gouvernement Romain, en révoquant la loi Papia-Poppea. Par cette loi, ceux d'entre les Citoyens, qui ne s'étoient pas mariés, étoient privés de toute fucceffion collatérale, & ceux qui étant mariés n'avoient pas eu d'enfans, ne pouvoient prétendre qu'à la moitié des fucceffions de cette efpece qui viendroient à leur écheoir, non plus qu'à la dixieme partie du bien de leurs femmes, en cas de décès. Conftantin ne fe contenta pas d'effacer ces reftes refpectables de la fageffe Romaine; il encouragea le célibat par toutes fortes de voies, & particuliérement en accordant à ceux qui embraffoient cet état, le privilege de pouvoir difpofer de leur bien avant l'âge requis par les loix.

Mais tandis que les exemptions fe multiplioient, en faveur du Clergé, Tome XIV.

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des impôts exorbitans, & d'un genre tout nouveau, femoient la défolation parmi le peuple. Tous les quatre ans, des Officiers de l'Empereur venoient, armés de fouets & de bâtons, exiger une capitation, nommée chryfargyre, parce qu'elle fe payoit indifféremment en or, & en argent. Cette taxe étoit impofée avec une rigueur inouie. On faifoit contribuer jufqu'aux mendians & aux femmes proftituées : mais tandis qu'elle excitoit les gémiffemens des pauvres, qu'on poursuivoit de tous côtés à coups de fouet, comme de vils beftiaux, elle ne répandoit pas moins de confternation parmi les riches; car les dénonciations de toute efpece, les trahisons domeftiques, & les calomnies publiques étoient le tarif fur lequel on avoit coutume de la percevoir.

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CONSTANTIN fonde Conflantinople. Année 326.

E Prince s'étant trouvé à Rome un jour de fête, n'avoit eu garde d'aller au Capitole offrir des facrifices, comme c'étoit l'ufage. Le fénat & le peuple Romain, attachés à leurs fuperftitions, s'en trouverent fort offenses: ils témoignerent leur reffentiment en termes injurieux. Conftantin en fut inftruit, & conçut dès ce moment un grand dégoût pour cette ville. C'est ce qui lui fit former le deffein d'en bâtir une qui pût lui être comparée, & d'y faire fa réfidence. Il jugea même que cet établiffement contribueroit à ruiner l'idolâtrie. Etant venu à Byfance dans le temps qu'il rouloit ce deffein dans fon efprit, il fut agréablement furpris de fa fituation merveilleufe fur des collines qui s'avance dans le détroit ou canal qui fait la communication du Pont-Euxin avec la Propontide; ce qui fait que cette ville unit les deux continens de l'Europe & de l'Afie. Conftantin se fixa en ce lieu, & y bâtit la grande ville qui porte encore fon nom. Il y attira de nouveaux habitans de diverfes Provinces de l'Empire, lui donna de grands revenus, tant pour l'entretien des bâtimens que pour la nourriture des citoyens. Il y établit un Sénat & des Magiftrats femblables en tout à ceux de Rome. Il ne voulut pas qu'il y eut dans cette nouvelle ville un feul idolâtre; il ne laiffa des idoles que dans les lieux profanes pour y fervir d'ornement; & il fit bâtir un grand nombre d'Eglifes: la principale fut dédiée à la fagesse éternelle, d'où elle garde encore aujourd'hui le nom de Sainte Sophie. Il y en eut une en l'honneur des douze Apôtres, qui étoit en forme de croix, d'une hauteur merveilleufe & d'une magnificence incomparable, Il convertit les temples d'idoles qu'il trouva dans l'ancienne Byfance en Eglifes du vrai Dieu. Dans la plus belle piece de fon Palais ? il fit représenter en pierres précieufes la Croix du Sauveur, qu'il regar doit comme fa protection & fa fauve-garde; cette marque de notre falut brilloit en plufieurs endroits de la ville. Outre les édifices élevés à la vraie religion, il fit conftruire, en différens lieux, des monumens qui en por¬ toient les marques. Sur les fontaines qui étoient au milieu des places, on

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