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Corvées mixtes, font celles qui font en partie réelles & en partie perfonnelles; il y en a peu qui foient véritablement mixtes: car elles font naturellement ou réelles, c'est-à-dire, dues à caufe des fonds; ou personnelles, c'est-à-dire, dues par les habitans, comme habitans: cependant on en diftingue deux fortes de mixtes; favoir, les réelles mixtes, telles que les Corvées à bras, dues par les détenteurs des fonds qui en peuvent être chargés; & les mixtes perfonnelles, qui font dues par chaque habitant, comme habitant, mais par charrois & par chevaux; ce qui a toujours rapport au plus ou moins de fonds qu'il fait valoir.

Corvées obfequiales, font celles qui confiftent en certains devoirs de déférence envers le Seigneur, telles que celles qui étoient dues aux patrons chez les Romains, & qui confiftoient à adeffe patrono,

patronum.

comitari

Corvées officieufes ou officiales, en latin officiales, font la même chose que les Corvées obféquiales; elles font oppofées à celles qu'on appelle fabriles.

Corvées particulieres, voyez ci-après Corvées publiques.

Corvées perfonnelles. Toutes Corvées font dues par des perfonnes; mais on entend fous ce nom celles qui font dues principalement par la perfonne, c'eft-à-dire, par l'habitant, comme habitant, & indépendamment des fonds, foit qu'il en poffede ou qu'il n'en poffede pas. Voyez ci-devant Corvées mixtes, & ci-après Corvées réelles.

Corvées publiques, font celles qui font dues pour quelques travaux publics, comme pour conftruire ou réparer des ponts, chauffées, chemins, &c. à la différence des Corvées qui font dues au Seigneur pour fon utilité particuliere.

Corvées réelles, font celles que le fujet doit à caufe de quelque fonds qu'il poffede en la feigneurie. Voyez ci-devant Corvées mixtes & person

nelles.

Corvées feigneuriales, font celles qui font ftipulées dans les terriers ou reconnoiffances, comme un droit du fief, ou comme un droit de justice, à la différence de celles qui peuvent être imposées par convention fur des fonds.

Corvées taillablieres, font celles qui procédent de la taille réelle, & que l'on regarde elles-mêmes comme une taille.

Corvées à terrier, font les Corvées feigneuriales qui font établies par le bail à fief, & relatives dans le terrier.

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CE

CORVÉE, Ponts & Chauffées.

E qu'on entend par Corvée dans les ponts & chauffées, eft un ouvrage public, que l'on fait faire aux Communautés, aux particuliers, defquels on demande dans les faifons mortes, quelques journées de leur temps fans falaire. Une telle condition eft dure fans doute, pour chacun de ces particuliers; elle indique par conféquent toute l'importance dont il eft de les bien conduire, pour tirer des jours précieux qu'on leur demande fans falaire le plus d'utilité que l'on peut, afin de ne point perdre à la fois & le temps du particulier, & le fruit que l'Etat en doit retirer.

On peut donc établir fur cette feule confidération, que la perfection de la conduite des Corvées doit confifter à faire le plus d'ouvrage poffible dans le moins de temps poffible; d'où il s'enfuit qu'il faut de toutes les voies choisir la plus prompte & la plus expéditive, comme celle qui doit être la meilleure.

On n'a déjà que trop éprouvé en plufieurs endroits, qu'une Corvée languiffante étoit un fardeau immenfe fur les particuliers, & une fervitude dans l'Etat, qui fans produire le fruit que l'on avoit en vue, fatiguoit fans ceffe les peuples, & gênoit pendant un grand nombre d'années la liberté civile des citoyens. Il fuffit, pour en être plus convaincu, de joindre à un peu d'expérience, quelques fentimens de commifération pour les peuples. Il ne s'agit donc que de chercher quelle eft la méthode qui répond le mieux à ces principes, premiérement pour la diftribution & la conduite des travaux, & enfuite pour la police avec laquelle on doit régir les travailleurs.

Toutes les actions des hommes ont un mobile; l'argent & l'intérêt font ceux qui les conduifent aux travaux, mais ce font des mobiles dont les Corvées font privées; il a fallu y en fubftituer d'autres pour tenir lieu de ceux-là. Ceux qui ont été reconnus devoir être employés, font les tâches l'on donne & qu'il faut indifpenfablement donner aux corvoyeurs; on que a vu que c'étoit l'unique moyen de les intéreffer au progrès de l'ouvrage, & de les engager à travailler d'eux-mêmes avec diligence, pour fe décharger promptement du fardeau qui leur étoit impofé. Ces tâches font ordinairement naître une telle émulation au milieu d'un attelier fi ingrat pour celui qui y travaille, qu'il y a eu des Corvées fi bien conduites, que leur progrès l'emportoit même fur celui des travaux à prix d'argent.

On peut diftribuer ces tâches de différentes manieres, & c'eft le choix que l'on en doit faire qu'on aura ici particuliérement en vue; parce que l'on doit encore fe fervir de ce moyen avec quelques réferves; la diftribution de tout un ouvrage public en plufieurs ouvrages particuliers pouvant quelquefois fe faire de telle forte, qu'au-lieu d'y trouver l'avantage

que l'on y cherche, l'ouvrage public languit & dégénere, parce qu'il change trop de nature.

Un efprit d'équité qu'on ne fauroit trop louer, joint à l'habitude que l'on a de voir les tailles & les impofitions annuelles réparties fur les communautés & réglées pour chaque particulier, eft ce qui a fait fans doute regarder les travaux publics comme une autre forte de taille que l'on pouvoit diviser de même en autant de portions qu'il y avoit d'hommes dans les communautés, fur lefquelles le tout étoit impofé. Rien ne paroît en effet plus naturel, plus fimple, & en même temps plus jufte que cette idée; cependant elle ne répond point du tout dans l'exécution, au principe de faire le plus d'ouvrage poffible dans le moins de temps poffible, & de plus elle entraîne des inconvéniens de toute efpece.

Il fuffiroit, pour s'en convaincre, de confidérer l'état de la route de Tours au Château-du-Loir; cette route a été commencée il y a quinze à dix-huit ans, (a) par conféquent, long-temps avant l'arrivée de M. l'Intendant & de M. Bayeux dans cette généralité; elle a été divifée en plufieurs milliers de tâches, qui ont été réparties fur tous les particuliers: néanmoins ce n'eft encore aujourd'hui qu'avec mille peines qu'on en peut atteindre la fin. On a dû penser vraifemblablement dans le commencement de cette route, que par une voie fi fimple & fi équitable en apparence, chaque particulier pouvant aifément remplir en trois ou quatre ans au plus la tâche qui lui étoit donnée, la communication de ces deux Villes devoit être libre & ouverte dans ce même terme; puis donc que l'exécution a fi peu répondu au projet, il eft bon d'examiner de près ce genre de travail, pour voir s'il n'y a point quelque vice caché dans la méthode qui le

conduit.

Il semble au premier coup-d'œil que le défaut le plus confidérable, & celui duquel tous les autres font dérivés, eft d'avoir totalement fait changer de nature à un ouvrage public, en le décomposant à l'infini, pour n'en faire qu'une multitude fans nombre d'ouvrages particuliers; d'avoir par-là trop divifé l'intérêt commun, & rendu la conduite de ces travaux d'une difficulté étonnante & même infurmontable.

Un feul ouvrage, quoique confidérable par le nombre des travailleurs, comme font ordinairement tous les travaux publics, ne demande pas beaucoup de perfonnes pour être bien conduit; un feul ouvrage, une feule tête, le nombre des bras n'y fait rien; mais il faut qu'avec l'unité d'ef prit, il y ait auffi unité d'action : ce qui ne fe rencontre point dans tout Ouvrage public que l'on a déchiré en mille parties différentes, où l'intérêt

(a) M. Boulanger, Auteur de cet article, l'écrivoit il y a plus de trente ans. Mais nous n'avons pas cru devoir rien changer à fon Mémoire, quoique la route dont il parle, foit achevée depuis long-temps.

particulier ne tient plus à l'intérêt général, & où il faut, par conféquent, un bien plus grand nombre de têtes pour pouvoir les conduire tous enfemble avec quelque fuccès, & pour les réunir malgré le vice de la méthode qui les défunit.

Puifque la diftribution de la taille avoit conduit à la diftribution de toute une route en tâche particuliere, on auroit dû fentir que comme il falloir plufieurs collecteurs par communauté pour lever une impofition d'argent, il auroit fallu au moins un conducteur fur chacune pour tenir les rôles & les états de cette Corvée tarifée, & pour tracer & conduire toutes les portions d'ouvrage affignées à chaque particulier. On aura pu faire, fans doute, cette réflexion fimple; mais l'économie fur le nombre des employés ne permettant pas dans un Etat où il fe fait une grande quantité de ces fortes d'ouvrages, de multiplier autant qu'il feroit néceffaire, fur-tout dans cette méthode, les ingénieurs, les infpecteurs, les conducteurs; il est arrivé que l'on n'a jamais pu embraffer & fuivre tous ces ouvrages particuliers, pour les conduire chacun à leur perfection.

Quand on fuppoferoit que tous les particuliers ont été de concert dès le commencement pour fe rendre fur toute l'étendue de la route, chacun fur fa partie, un infpecteur & quelques conducteurs ont-ils fuffi le premier lundi pour marquer à un chacun fon lieu, pour lui tracer fa portion, pour veiller pendant la femaine à ce qu'elle fût bien faite, & enfin pour recevoir toutes ces portions les unes après les autres le famedi, & en donner à chacun le reçu & la décharge? Qui ne voit qu'il y a de l'impoffibilité à conduire ainfi chaque particulier, lorfque l'on a entrepris de la forte une route divifée dans toute fon étendue? Ces inconvéniens inévitables dès la premiere semaine du travail, ont dû néceffairement entraîner le défordre de la feconde; de faifons en faifons & d'années en années, il n'a plus fait que croître & augmenter jufqu'au point où il eft aujourd'hui. De l'impoffibilité de les conduire, on eft tombé enfuite dans l'impoffibilité de les contraindre; le nombre des réfractaires ayant bientôt excédé tout moyen de les punir.

J'ai tous les jours des preuves de cette fituation étrange pour un ouvrage public, où depuis environ dix mois de travail je n'ai jamais trouvé plus de trois corvoyeurs enfemble, plus de dix ou douze fur toute l'étendue de la route, & où le plus fouvent je n'ai trouvé perfonne. Je n'ai pas été long-temps fans m'appercevoir que le principe d'une telle défertion ne pouvoit être que dans la divifion contre nature d'une action publique en une infinité d'actions particulieres, qui n'étoient unies ni par le lieu, par le temps, ni par l'intérêt commun: chaque particulier fur cette route ne penfe qu'à lui, il choifit à fa volonté le jour de fon travail, il croit qu'il en eff comme de la taille que chacun paie féparément & le plus tard qu'il peut, il ne s'embarraffe de celle des autres que pour ne pas commencer le premier; & comme chacun fait le même raisonnement, perfonne ne commence.

ni

Je peux dire que je n'ai point encore été fur cette route avec un but ou un objet déterminé, foit d'y trouver telles ou telles communautés, foit de me rendre fur tel ou tel attelier pour y tracer l'ouvrage. Dans le printemps dernier, par exemple, où je n'ai point laiffé paffer de semaine fans y aller, je ne me fuis toujours mis en marche qu'à l'aventure, & parce qu'il étoit du devoir de mon état d'y aller; fituation où je ne me fuis jamais trouvé dans mes autres travaux, pour lefquels je ne montois jamais à cheval fans en avoir auparavant un fujet médité, & fans avoir un objet fixe & un but réfléchi qui m'y appelloit.

Ce n'eft point faute d'ordonnances néanmoins, & faute de réglemens de la part de l'autorité publique, fi ces travaux fe trouvent dans une telle fituation; ils n'ont même été peut-être que trop multipliés; les bureaux qui en font occupés & qui entrent dans les plus petits détails de cette partie, en font furchargés & même rebutés depuis long-temps: mais malgré la fageffe de ces réglemens, & quel que foit leur nombre, ce n'eft pas la quantité des loix & les écritures qui conviennent pour les progrès des travaux, mais plutôt les loix vivantes à la tête des travailleurs; & pour cela il me paroît qu'il faut donc les réunir, afin qu'ils foient tous à portée de voir la main qui les conduit, & afin qu'ils fentent plus vivement l'impreffion de l'ame qui les fait mouvoir.

L'intention des ordonnances eft dans le fond que tous les particuliers aient à fe rendre au reçu defdits ordres ou au jour indiqué fur les atteliers, pour y remplir chacun leur objet; mais c'eft en cela même que confifte ce vice qui corrompt toute l'harmonie des travaux, puifque s'ils y vont tous, on ne pourra les conduire, & que s'ils n'y vont pas, on ne pourra les punir d'une façon convenable.

La voie de la prifon, qui feroit la meilleure, ne peut être admife, parce qu'il y a trop de réfractaires, & que chaque particulier ne répondant que pour fa tâche, il faudroit autant de cavaliers de maréchauffée, qu'il y a de réfractaires. La voie des garnifons eft toujours infuffifante, quoiqu'elle ait été employée une infinité de fois; elle fe termine par douze ou quinze francs de frais, que l'on répartit avec la plus grande précision fur toute la communauté rebelle, enforte que chaque particulier en eft ordinairement quitte pour trois, fix, neuf, douze, ou quinze fous or quel eft celui qui n'aime mieux payer une amende fi modique pour fix femaines ou deux mois de défobéiffance, que de donner cinq à fix jours de fon temps pour finir entiérement fa tâche ? auffi font-ils devenus généralement infenfibles à cette punition, fi c'en eft une, & aux ordonnances reglées des faifons. On n'a jamais vu plus d'ouvriers fur les travaux après les garnifons, jamais plus de monde fur les routes dans la huitaine ou quinzaine après l'indication du jour de la Corvée qu'auparavant; on ne reconnoît la faison du travail que par deux ou trois corvoyeurs que l'on rencontre par fois, & par les plaintes qui fe renouvellent dans les campagnes fur les embarras qu'entraînent les Corvées & les chemins.

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