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y voyoit l'image d'un bon Pafteur, & Daniel entre des lions de bronze doré. En un mot, il fit de Conftantinople une ville toute chrétienne. Il la confacra au Dieu des Martyrs; il voulut que la dédicace en fût faite avec la plus grande pompe, & que la mémoire de ce jour fût célébrée à perpétuité par la ceffation de toutes affaires civiles.

En applaudiffant à la piété de Conftantin, il nous eft permis de blâmer cet Empereur d'avoir transporté la Capitale du monde de l'ancien théâtre de fa gloire fur une rive inculte & barbare.

Mais fans nous appefantir fur la faute groffiere que fit Conftantin en changeant le fiege de l'Empire, faute trop connue & trop avouée par tous les Auteurs, même par ceux qui ont le plus loué cer Empereur; nous nous contenterons d'observer avec l'Auteur déjà cité, qu'il étoit impoffible de mettre plus d'orgueil dans le projet, & plus d'injuftice dans l'exécution. Tandis que ce Prince faftueux eft fi preffé de jouir de fes édifices, qu'il ne laifle pas aux architectes le temps de leur donner la folidité, & qu'il voit des murs déjà caducs, tomber sur ceux qu'on éleve encore; il force par des édits rigoureux tous les habitans de l'Afie Mineure, à fe conftruire des demeures difpendieuses dans la nouvelle Capitale. Une loi tyrannique déclare que tous ceux qui n'auront pas un domicile à Conftantinople, ne pourront transmettre à leurs héritiers aucune poffeffion en fonds de terre : & c'eft par de pareils moyens qu'il fe hâte d'élever cette ville célébre, dont il veut avoir l'horofcope, & à qui l'on promet une durée de fix cents quatre-vingt-feize années. Conftantin n'étoit guere moins odieux aux Romains par fes crimes que par fon averfion pour l'idolâtrie.

propre

fils

Sa trop grande crédulité le porta à faire ôter la vie à fon Crifpus: c'eft l'événement le plus tragique de la vie de ce Prince. L'Impératrice Faufta en fut le fujet. Cette Princeffe, dans le commencement de fon mariage, avoit été un modele de vertu, & elle avoit donné des preuves de fon attachement pour l'Empereur fon époux; mais, oubliant infenfiblement fon devoir, elle donna entrée dans fon cœur aux défirs les plus criminels. Elle en conçut de tels pour Crifpus fon beau-fils: n'écoutant que fa paffion, elle fe refpecta affez peu, pour lui faire connoître ce qu'elle fentoit pour lui. Ce jeune Prince eut horreur de fon égarement, & ne répondit que par le mépris à fon fol amour. Faufta irritée, imita la femme de Putiphar. Elle accufa Crifpus auprès de Conftantin, d'un crime dont Crifpus étoit innocent, & dont elle feule étoit coupable. Le Prince reçut cette accufation avec une crédulité qui ne fouffre point d'excufe: fans fe donner le temps de l'approfondir, fans écouter ce que lui infpiroit la nature pour une tête auffi chere, & fe livrant à fa colere, il fit trancher la tête à fon fils. Inftruit enfutie par Helene fa mere, des déréglemens de fa femme, il voulut venger la mort de fon fils & fon honneur: il porta également fa vengeance à l'excès. Il fit mettre Faufta dans un bain que l'on avoit chauffé outre mefure, & où elle périt.

Les liens de l'amitié ne furent pas près de lui une fauve-garde plus füre » que ceux du fang. Ce Prince féroce & inconféquent, tout occupé qu'il étoit » des progrès du Chriftianisme, avoit fait venir à fa Cour Zopatre, Philofo» phe Platonicien de l'école de Jamblique. Il lui montra bientôt tant de » confiance & d'intimité, que le malheureux favant dépayfé ne put échap»per à la jaloufie des chrétiens: quelques accufations fourdes de preftige » & de magie avoient déjà mis le peuple en mouvement, lorfque des >vents contraires retarderent la flotte qui apportoit les bleds d'Egypte : le peuple, toujours furieux, toujours infenfé, lorfque des hommes factieux » & intéreffés lui font craindre la famine, ne manqua pas de s'en pren» dre à Zopatre; & Conftantin, Prince foible & ami perfide, livra à la » mort le Philofophe innocent. «

Par une fuite de trop de crédulité, Constantin se laiffa féduire par Eulebe de Césarée, homme favant, il eft vrai, mais encore plus adroit courtifan, & grand protecteur des Ariens il ajouta foi aux calomnies de ces derniers, contre Saint Athanafe, cet intrépide défenseur de la Divinité du Verbe, & contre quantité de perfonnes innocentes. Il fut trompé par de faux chrétiens qui entroient dans l'Eglife pour gagner fes bonnes graces. L'hiftoire dit encore qu'il accordoit trop facilement fa confiance, que fes libéralités étoient outrées; qu'il dépenfoit l'argent du public en bâtimens fuperflus. Enfin, on lui reproche fon trop de bonté, vertu eftimable dans un Souverain. Mais tel eft le fort des Princes, que leurs bonnes qualités même les exposent souvent à la féduction. En effet, cette même bonté devient une fource de malheurs pour les peuples, fi elle eft pouffée trop loin. Ce fut fans doute celle de Conftantin. Facile par caractere, il ne tenoit pas la main à l'exécution des fages loix qu'il avoit faites contre les malversations. Il ne favoit ce que c'étoit que de punir ceux qu'il mettoit dans les premieres places: ainfi, par fa négligence, les Provinces étoient au pillage. Ajoutons que, voulant régler tous les troubles qui agitoient l'Eglife, il ne mettoit pas à fon pouvoir les bornes convenables, & donnoit à ces fortes d'affaires un temps qu'il auroit pu employer au bien de l'Etat. On peut l'excufer fur ce fujet, en confidérant les bonnes intentions dont il étoit rempli; on peut auffi excufer en partie fes cruautés en les rejettant fur la barbarie de fon fiecle, & le plaindre d'avoir été entraîné par les mœurs féroces de fon temps; malgré ces excufes, fi l'on pefe dans la balance de l'équité le bien & le mal qu'il fit, les qualités qu'on put admirer en lui, & les vices qu'il faut détefter, nous craignons bien qu'il ne foit pas poffible de le mettre au nombre des bons Rois.

CONSTANTIN FALCO N.

Nous avons cru devoir placer dans cet Ouvrage le nom de cet homme

célébre, qui confondu en Europe dans la foule de fes femblables, n'avoit rien d'étonnant, mais qui, placé par la fortune au milieu des Afiatiques, parut tellement au-deffus de tous ces efclaves, que le Roi de Siam ne balança point à remettre dans fes mains le dépôt de l'autorité fuprême. It trouva les Siamois plongés dans l'ignorance & la fuperftition, ayant peu d'induftrie, peu de courage; il les laiffa à-peu-près dans le même état; mais il tenta du moins une révolution. Avant de faire de grands biens, il y avoit de grands maux à détruire; & l'on en vit difparoître plufieurs fous fon miniftere. Mais les cabales, les baffes jaloufies dont il fut l'objet & la victime bornerent fouvent au foin de conferver fon autorité, les talens qu'il avoit pour en faire usage.

Le Royaume de Siam, fitué fur deux golfes immenfes, dont les bords offrent des havres commodes, creufés par les mains de la nature, fembloit destiné à être habité par un peuple nombreux & fortuné. Différentes révolutions, qui avoient changé la face des Etats voifins, attirerent plufieurs colonies dans la Capitale & dans les Provinces. Mais l'effet du defpotifme eft de détruire tout ce que la fortune & la nature ont pu faire pour le bonheur d'un peuple. L'exactitude avec laquelle le Roi fe fait rendre compte des morts & des naiffances, fembleroit annoncer qu'il veille à la population; mais il compte fes fujets, à-peu-près comme un jeune diffipateur compte les arbres qui lui restent à vendre, fans s'occuper de la reproduction. Auffi dans le dernier dénombrement qui fut fait de ces vaftes Etats, on ne trouva pas deux millions d'habitans. On voit dans Siam quarante quartiers habités par quarante nations différentes; mais ces quartiers font moins peuplés que nos villages. Sa fituation eft à-peu-près la même, que celle de Venife, au milieu des eaux; mais il s'en faut bien que l'induftrie des Siamois ait tiré un auffi grand parti des difficultés même de la nature. Les inondations du Menan couvrent les ifles & les campagnes voisines d'un limon créateur, femblable à celui du Nil, qui fait croître de riches moiffons de riz. Renfermé dans un palais, entouré de trois rangs de murailles fans fenêtres, le Roi, comme une divinité invifible, fait tout, voit tout, ordonne tout par fes Officiers, & fe montre rarement. La gloire & le bonheur fuprême des Rois de Siam fut toujours d'entaffer des tréfors, & de n'en faire aucun ufage. Mais fouvent des voifins avides vinrent, les armes à la main, enlever ces richeffes. Alors il fallut de nouveau vexer les peuples, & de leur fubftance épuisée par les fubfides, former & préparer une nouvelle proie aux brigands. Dix mille hommes, tous efclaves, tous rampans, habitent le palais du defpote qu'ils redoutent & qu'ils font trem

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bler à leur tour. Les plus belles filles du Royaume font enlevées pour les plaifirs du Monarque, ou pour le fervice de fes femmes. Un pere, à qui fa fille eft chere, ne peut qu'à force de préfens l'arracher des bras des raviffeurs. Quel nom donner à un Gouvernement où les peres font obli-: gés d'acheter leurs enfans? Cependant cet Etat prête de l'argent à ufure aux marchands étrangers, que le commerce attire fur-tout dans la Province de Tanafferim. Le riz, le coton, des fruits de différente efpece font les principales productions du pays. Les toiles, & l'or laminé font les principaux objets de l'induftrie. Toutes les monnoies font d'argent, à l'excep tion des coquilles, monnoie commune & méprisée, qui eft la richesse_du pauvre. L'or n'y eft connu que comme un métal utile dans les arts. Les citoyens ou plutôt les efclaves, égoïftes & defpotes, à l'exemple de leurs maîtres, occupent leurs femmes aux travaux les plus rudes. Ce font elles qui cultivent la terre, qui la dépouillent de fes fruits; ce qui prouve que, fi chez nous le fexe le plus aimable eft auffi le plus foible, c'eft moins la faute de la nature que celle de l'éducation. Le Roi a feul le privilege du commerce extérieur, & ne laiffe que le commerce intérieur à fes fujets. Il paffe fa vie à trafiquer avec toutes les nations du monde pour entaffer des tréfors qu'il enfevelit dans fon palais, à-peu-près comme on cache un cadavre dans le fein de la terre. On nourrit un grand nombre d'efclaves pour porter les palanquins, comme à Londres & à Paris une multitude de chevaux deftinés à voiturer d'illuftres fainéans, dévorent la fubfiftance de l'artisan ; & les esclaves de Siam, & les chevaux de nos capitales font également onéreux à la fociété. Dans les premiers fiecles de cette monarchie, les Rois étoient obligés de labourer la terre dans un jour folemnel; mais ils craignent de fe dégrader eux-mêmes en annobliffant le premier des arts; & de peur que le ciel, indigné de cet aviliffement, nefrappât la terre de ftérilité, ils cefferent de donner l'exemple de ce travail. On admirera fans doute une logique fi faine, une politique fi pieuse. Depuis cette époque, dans une fête qui reffemble à une efpece de carnaval, un miférable fe fait appeller Roi, & laboure. Ainfi l'agriculture est tombée en langueur, la population & la richeffe nationale font déchues de même. Le Roi feul eft opulent; auffi croit-il de bonne foi que toute la nation a été créée pour lui. L'autorité paternelle eft la même que l'autorité Royale, qui devroit au contraire être une image de la premiere. Le motif de ce defpotifme eft la loi qui condamne au même châtiment & le coupable, & fa famille innocente. Les Talapoins fe font emparés de l'éducation, & tous ceux qui n'ont pas été élevés par ces charlatans, ne font point admis aux honneurs. Quoiqu'attachés à leurs dogmes, ils font tolérans par complaifance pour le Roi, qui fans cette douceur politique ne pourroit attirer les étrangers avec qui il trafique. Ces Prêtres fe contentent de plaindre l'aveuglement des fectaires des autres cultes, & ne les font point égorger.

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Les loix font à quelques égards moins cruelles que les loix Romaines. Les hommes y font, il eft vrai, un objet de commerce comme à Rome. Mais le maître n'a aucun droit fur la vie de fon efclave. Le débiteur infolvable tombe fous l'autorité defpotique de fon créancier; mais fi quelque main généreule, fi quelque hazard heureux acquitte fa dette, il recouvre à l'inftant fa liberté. D'ailleurs les maîtres opulens, qui ont un nombreux domeftique, permettent à leurs gens d'offrir leurs bras & leur induftrie à leurs voifins; & cette permiffion eft payée d'une partie de leurs falaires. Cette fervitude n'eft pas plus barbare, que celle qui eft encore authorisée en Allemagne, en Ruffie, en Pologne, & dont on apperçoit encore des traces en France. Au refte, les maîtres font efclaves eux-mêmes & rame pent devant le Roi, comme leurs efclaves rampent devant eux.

La vieilleffe eft honorée à Siam, parce que chez un peuple qui a peu de connoiffances, l'expérience tient lieu de l'efprit, du favoir, des talens, & l'expérience eft le partage des vieillards. Semblables aux Scythes & à nos anciens Chevaliers, ils boivent le fang les uns des autres, lorsqu'ils veulent fe jurer une amitié éternelle; mais ce ferment n'a point parmi eux, ces effets héroïques que nous admirons dans l'hiftoire de nos freres d'armes. La frugalité leur eft chere moins par philofophie que par indolence; ils ne dédaignent pas les commodités de la vie; mais ils n'ont point le courage de fe les procurer. Les corps des morts qu'on révere font dévorés par les flammes. Etre enfeveli dans le fein de la terre eft une ignominie réservée aux victimes des loix, &, par un préjugé bifarre, à tous ceux qui ont éprouvé une mort violente, même aux malheureufes meres qui ont expiré dans les douleurs de l'enfantement. Ces honneurs, que l'on refuse à des infortunées dignes des larmes de la patrie, on les accorde à des perroquets. On éleva même une pyramide à l'un de ces oifeaux que le Monarque avoit beaucoup aimé, & qui, comme tous les favoris des Rois avoit le babil fort agréable. C'est même une croyance que l'ame de ces oiseaux eft une émanation des ames royales. En Europe, la plupart des Rois ont laiffé aux Magiftrats le déplorable droit d'envoyer un coupable à l'échaffaud, & se font réservés pour eux feuls celui d'arrêter le glaive des loix prêt à le frapper. A Siam, au contraire, le Souverain feul prononce les fentences mortelles; auffi de tous fes titres, celui dont il eft le plus flatté eft Seigneur de la vie. Tout Siamois libre lui doit fix mois de travail, pendant lefquels il vit à fes propres dépens. Ainfi la condition du citoyen eft fort au-deffous de celle de l'efclave, qui reçoit du moins fa fubfiftance des mains du maître à qui il a vendu fes bras. Si la nature a favorifé un propriétaire, & a chargé fes arbres de fruits dignes de paroître fur la table du Monarque, on vient les retenir pour lui, on les compte dans la primeur, & fi, lors de la récolte, le même nombre ne s'y trouve pas, le propriétaire eft puni comme s'il eut commis un larcin; auffi la crainte du châtiment les arme d'un fer deftructeur, & les arbres les plus beaux font

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