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avec plus d'humanité, & dans l'un & l'autre parti, tout ce qu'épargnoit le fer des vainqueurs, mouroit par celui des bourreaux.

Cependant Dorofcensko s'étoit mis fous la protection de la Porte, & avoit abandonné le parti des Ruffes. Il avoit fait hommage à Mahomet IV, de la fouveraineté de l'Ukraine. L'Empereur lui envoya le Tug, ou la queue de cheval & l'étendard pour fymbole de la dignité dans laquelle it étoit confirmé. Les Polonois, inftruits de cette alliance, entrerent dans l'Ukraine, & s'emparerent des villes de Nimirow, & de Braclaw. Sultan Mahomet s'avança au fecours de fes alliés avec une puiffante armée, il traversa la Podolie en conquérant & mit le fiege devant Kaminiec. Cette place, une des plus fortes de Pologne, ouvroit aux Turcs l'entrée de ce Royaume, elle ne tint que onze jours. Les Turcs s'avancerent vers Léopold, les Polonois demanderent humblement la paix & ne l'obtinrent que fous la condition humiliante de payer annuellement à Mahomet IV, une fomme de vingt mille rixdales. C'étoit fans le confentement de Sobieski, que ce traité honteux avoit été conclu; dès qu'il fut monté fur le trône, ne s'occupa qu'à laver dans des flots de fang, l'opprobre dont fon prédéceffeur avoit couvert le nom Polonois.

De fon côté, Mahomet s'apprêtoit à rentrer en Pologne. Dorofcensko offrit de l'aider dans cette guerre, mais le Sultan lui fit répondre avec hauteur, qu'il n'avoit pas befoin de fon fecours pour foumettre la Pologne. Le Cofaque outré de ce refus raffemble fes compagnons, leur représente que l'injure qu'on vient de lui faire, retombe fur eux & mérite vengeance. Le Sultan méprife un défenfeur tel que moi, dit-il, peut-être en fera-t-il plus de cas, lorfque je ferai fon ennemi; il exhorte enfuite les Cofaques à fe donner au Czar qui leur tend les bras. Les difcours de ce Capitaine firent paffer dans l'ame de ces Cofaques tout le dépit dont il étoit pénétré. On réfolut d'un commun avis d'abandonner les Turcs & de retourner au Czar. Sultan Mahomet inftruit de la défertion des Cofaques, tire de fa prison l'infortuné George Cmielniski, & lui confere la dignité d'Hetman, dont Dorofcensko étoit déchu par fa félonie. L'Empereur fe flattoit que le nom de Cmielniski, fi cher à cette Nation, & l'obéiffance qu'elle avoit juré à fon fils, pourroient en imposer à ces cœurs inconftans & les lui ramener. Ce ne fut qu'avec une peine extrême qu'on parvint à faire accepter à George, la dignité qu'on lui deftinoit. Son aversion pour le pouvoir fuprême s'étoit encore augmentée dans la retraite; quelque rigoureux que fut fon fort dans la prifon étroite où il étoit enfermé, il le préféroit au rang où on vouloit l'élever; enfin il céda aux importunités des émiffaires de l'Empereur, & confentit à quitter fes chaînes. Il eut dans la fuite lieu de les regretter, toutes les tentatives qu'il fit pour ramener les efprits des Cofaques, furent infructueuses; it finit lui-même par fe faire tuer dans un combat qu'il livra à Circo, l'un des Chefs des rebelles.

Samuelewitz, Succeffeur de Dorofcensko, accompagna Bazile Gaftilzin, favori de la Princeffe Sophie dans fa malheureufe expédition contre les Tartares de Krimée en 1687. Le Général de retour rejetta la honte de fes revers fur le malheureux Hetman qu'il accufa d'avoir été d'intelligence avec les Tartares; celui-ci fit de vains efforts pour fe juftifier aux yeux de la Régente, elle avoit trop d'intérêt à le trouver coupable. Il fut dépofé & relégué en Sibérie, où il mourut de mifere avec fon fils. Mazeppa fut nommé à fa place: c'étoit un gentilhomme Polonois qui conduit dans l'Ukraine par une aventure bizarre, vécut parmi les Cofaques, se distingua dans leurs armées, & mérita par fon courage l'honneur de les commander. Il refta fidele au Czar jufqu'en 1708 qu'il s'attacha au parti de Charles XII. Ce Prince venoit d'arriver dans l'Ukraine où il devoit trouver le terme de fes profpérités & de fa bonne fortune. Mazeppa, charmé du courage de l'Alexandre du Nord, lui fit offrir de le feconder; on doit fentir avec quel plaifir cette propofition fut accueillie par le héros Suédois. La conformité de goût devoit lui faire eftimer un peuple adonné tout entier à la profeffion des armes, & le Ciel en faifant naître Charles, avec cette funefte manie des combats, devoit plutôt lui donner une horde de Cofaques à conduire qu'une nation paifible & policée à gouverner. Mazeppa s'étoit flatté de faire foulever toute fa nation en faveur du Roi de Suede, mais les Cofaques, mieux éclairés fur leurs vrais intérêts, refuferent de marcher fous les drapeaux d'un aventurier, qui, quel que fut le fuccès de cette guerre, après avoir fait de leur pays le théâtre de fa défaite ou de fa victoire, devoit les laiffer à la merci des Ruffes. Mazeppa, au-lieu des vingt mille hommes qu'il avoit promis de lui amener, vint joindre Charles feulement avec deux régimens; la ville de Bathurin, où l'on avoit raffemblé un grand amas de provifions pour l'armée Suédoife, fut pillée par les Ruffes, enfin après la célébre journée de Pultawa, Mazeppa accompagna Charles XII dans fa fuite, & mourut à Conftantinople.

Ce fut la derniere des révoltes des Cofaques. Pierre, après la victoire de Pultawa, mit un frein à leur audace, & la Ruffie, entre les grands fervices que ce Prince lui a rendus, compte encore avec reconnoiffance celui de l'avoir délivrée d'un fléau fi redoutable. Sous le regne de Pierre II, ils voulurent faire encore quelques mouvemens, mais c'étoient les dernieres convulfions de cette hydre expirante. Ils font comptés maintenant au nombre des Provinces de la Ruffie. Après la mort de leur dernier Hetman Daniel Apostel, arrivée en 1734, cette dignité fut fupprimée, & ils furent gouvernés par un Officier Ruffe qui réfidoit à Gluchow. En 1750, elle fut rétablie en faveur du Comte Kirila Grigorgewitfch Rufumowsky, qui ayant été élu par les Cofaques, fut enfuite confirmé par la Czarine Elizabeth qui le reconnut publiquement pour tel. Cette charge a été de nouveau fupprimée en 1764.

C'est-là tout ce qu'on a pu recueillir fur cette Nation peu connue & qui

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ne mérite guere de l'être; les Cofaques ainfi que les Scythes dont ils habitent l'ancienne patrie, & les autres peuples barbares, ont négligé de tranfmettre leurs actions à la poftérité; mais les traces de leurs ravages fubfifteront long-temps, & le fouvenir de leurs cruautés vivra dans la mémoire des hommes. Le defpotifme de la Cour de Ruffie a flétri leur courage & ôté à leur caractere toute fon énergie, on ne les reconnoît plus qu'à leur férocité, & à leur amour du brigandage.

Nous n'entrerons point dans le détail de leur religion. Ce feroit profaner ce nom que de l'appliquer à quelques coutumes fuperftitieufes qui ont varié chaque fois que les Cofaques ont changé de maîtres. Il paroît cependant que le culte des Grecs eft celui auquel ils ont été le plus généralement attachés. Les mœurs des Cofaques Saporoviens different un peu de celles des autres Cofaques, & ont beaucoup de rapport à celles de nos Flibuftiers; c'eft un affemblage de brigands Ruffes, Polonois ou Cofaques de l'Ukraine. Ils fe réuniffent pour faire des courfes, vivent en commun & partagent également le butin; ils ne tiennent à la fociété par aucun engagement, & font libres de la quitter quand il leur plaît. C'eft un crime chez eux que de favoir lire; toutes les lettres, foit qu'elles s'adreffent à la République, foit qu'elles foient adreffées à des particuliers, font ouvertes en public & par un Secrétaire, feul chargé de ce foin. Une autre fingularité qui les diftingue de tous les autres peuples du monde, c'eft qu'ils ne fouffrent pas de femmes parmi eux. Les Cofaques qui font mariés, ne peuvent demeurer avec leurs femmes, elles habitent les Ifles voisines, & les bords du Borifthene. Leurs maris ne vont les voir qu'à l'infçu du refte de la Nation. C'eft ainfi qu'en banniffant ce qui fert le plus à adoucir les mœurs d'une Nation, les beaux arts & le beau fexe, ils femblent avoir pris à tâche d'éternifer chez eux l'empire de la Barbarie. Doit-on s'étonner que des hommes qui méconnoiffent les doux noms de peres, de fils, d'amans & d'époux, & ces rapports facrés qui nous font refpe&ter notre propre existence dans celle de nos femblables, foient cruels, groffiers, infatiables de fang & de butin & enclins à tous les vices.

COVENANT, Ligue fameufe que les Ecoffois firent en 2638, pour maintenir leur religion contre toute espece d'innovation.

POUR

OUR comprendre ce que c'étoit que ce Covenant, il fuffira de favoir qu'en 1580, l'affemblée générale d'Ecoffe dreffa une confeffion de foi qu'elle préfenta à Jacques I, que ce Prince figna, & donna fes ordres pour la faire figner par tous fes fujets. Ce fut cette confeffion de foi de l'année 1580, reçue & de nouveau confirmée en 1590, dont on renouvella la fignature en 1638, par la délibération de la table générale, c'est-à-dire des

Etats-Généraux d'Ecoffe. A cette fignature de confeffion de foi, on ajouta une clause obligatoire ou ferment, par lequel » les foufcrivans s'engage>> rent à maintenir la religion dans l'état où elle étoit en 1580, & à re>> jetter toutes les innovations introduites dans l'Eglife depuis ce temps» là ". Ce ferment joint à la confeffion de foi reçut le nom de Covenant, c'est-à-dire, contrat, ligue, convention, faite entre ceux qui le foufcrivirent. Le but de ce Covenant ne tendoit pas à dépouiller Charles I de fes droits, mais à empêcher qu'il ne les étendit plus loin qu'il ne le devoit par les loix, comme auffi qu'il ne pût abolir le Prefbytérianifme. C'étoientlà précisément les deux points qui étoient directement contraires aux projets du Roi; auffi ce Covenant fut-il l'origine des triftes brouilleries qui partagerent le Royaume entre les deux factions de Prefbytériens & d'Epifcopaux; de même que des guerres qui s'éleverent bientot après entre les Ecoffois & Charles I qui jetterent ce Prince dans des fautes qu'il ne put jamais réparer, & qui furent enfin la caufe de fa perte.

COUP, f. m.

Coup de main, Coup d'Etat.

LES politiques, partifans de la violence, difent à leurs éleves: obfer

vez qu'un Coup de main regie un concert, qu'un Coup de gouvernail peut faire entrer un vaiffeau dans le port, qu'un Coup de main habile peut exciter le courage des foldats, ou bien appaifer une émotion populaire. Fondés fur un principe de cette efpece les adminiftrateurs militaires, furtout dans les Etats defpotiques, foutiennent, 1°. que Salomon avoit raifon de dire dans fes proverbes, que l'on ne peut conduire le cheval que par le fouet, l'âne que par le frein, & les fous que par la verge: Equo flagellum, afino frænum, ftulto virga adhibetur : ils ajoutent, que dans chaque page même de l'Ecriture fainte, on lit: Ego regam vos in virga ferrea: Virga caftigationis, correctionis, difciplinæ, æquitatis: baculus, fuftentationis, confolationis, fceptrum ferreum, &c. Ils rapportent les merveilles opérées par les Coups de la baguette de Jacob, de Moyfe, d'Aaron & de Jofeph. 2°. Les Panégyriftes des Coups citent avec emphafe la maxime fondamentale de la conduite de l'Empereur M. Aurele, qui difoit j'ai appris dans les ouvrages que Cicéron fit pour Flaccus , que, Phryx plagis tantum emendatur. Les Phrygiens, les Negres, les fenimes & les peuples, ne peuvent fe corriger de leurs vices que par des Coups violens & redoublés. 3°. L'on dit encore que le fage gouvernement des Chinois n'explique fes volontés qu'à grands Coups de bâton; que les Allemands emploient journellement avec fuccès leurs Schlagueurs pour corri

ger fubitement le foldat, & que cette efpece de châtiment eft une correction plus fage que celle des arrêts ou de la prifon. 4°. Il eft des politiques qui approuvent l'ufage du peuple de l'ifle de Corfe, qui autorife les voifins à aller battre violemment les veuves, parce qu'ils difent que les maris feroient immortels, fi leurs femmes les confervoient foigneusement. Ces raisonneurs paroiffent auffi approuver l'ufage des Japonnois, qui pour faire refpecter leur fouverain Pontife nommé Dairi, donnent des Coups de bâton à toutes les idoles qui font de garde pendant la nuit, lorfqu'elles n'ont pas procuré un doux fommeil au Daïri leur maître. Ces politiques rapportent enfin les préjugés des femmes même de plufieurs nations, qui croient que leurs maris les méprifent, lorfqu'ils ne les honorent pas, chaque jour, de quelques douzaines de Coup de bâton.

5. Les Moraliftes littérateurs obfervent que les anciens Egyptiens ont eu de très-bonnes raifons pour peindre Ofiris tenant une baguette ou un fouet à la main, & que les Grecs en ont eu d'excellentes pour affurer qu'il n'y a que les Coups qui aient le pouvoir de diffiper la pareffe, & faire naître les arts & les fciences; que Vulcain fut obligé d'emploier un Coup de hâche pour faire fortir Pallas de la tête de Jupiter : ils difent qu'il faut piquer le bœuf pour le faire avancer; battre les ours pour les éduquer; battre le fer pour lui donner une forme, & qu'enfin Sancho-Pança qui connoiffoit parfaitement l'efprit des peuples & fur-tout l'efprit féminin, avoit raifon de dire dans le Roman de Dom Quichotte.... bas ta femme & ton bled, tout ira bien chez toi.

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Après avoir rapporté toutes les raifons que les fophiftes & les pédans tâchent inhumainement d'accréditer parmi les peuples, voyons au contraire les folides principes qui fervent à réfuter le fyftême dangereux dont nous venons de donner, malgré nous, un détail fingulier.

Les vrais adminiftrateurs, moraliftes, politiques, ou légiflateurs, foutiennent au contraire, que les coups ne peuvent que révolter le cœur, avilir l'ame & abrutir l'efprit des enfans, des femmes, des foldats, des peuples, & même dégrader l'inftinct des animaux.

Le célébre Montefquieu rapporte dans l'Esprit des loix, que chez les anciens Perfes on puniffoit les crimes des citoyens en fe bornant à fuftiger leurs habits, & que les perfonnes condamnées étoient pour lors fi violemment affectées de ce déshonneur, que la plupart fe donnoient la mort: mais qu'aujourd'hui comme le defpotifme a détruit l'idée du point d'honneur, qui eft le grand reffort des fages gouvernemens pour contenir les paffions, les fupplices réitérés de la baftonnade, de la fcie, du pal, du feu, &c. ne peuvent point contenir les criminels. Les paffions humaines vont toujours au-delà de la cruauté des fupplices. Obfervons en paffant, qu'un des hommes les moins tolérans avoit dit avant Montefquieu, quos tormenta non vincunt, interdum vincit pudor; & ingenia liberaliter educata faciliùs verecundia fuperat quàm metus... Stus Hieronymus.

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