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Le peuple Juif, tout groffier qu'il eft, confidere encore aujourd'hui les excommunications qu'il prononce contre fes criminels, comme une peine plus terrible & plus efficace pour contenir le peuple, que le fupplice momentané de la lapidation, parce que les fcélérats tiennent pour maxime. que la mort n'eft qu'un mauvais quart-d'heure.

Tous les Magiftrats intelligens, qui ont exercé pendant long-temps la police, peuvent attefter que les précepteurs, les peres, les maris, &c. qui battent, qui emprisonnent les perfonnes qu'un fort fatal a foumis à leurs bras, ne font de leurs éleves que des brutaux, des infideles, des fourbes, des fous, des imbécilles, ou des fcélérats. Ces mauvais administrateurs éprouvent journellement que Salomon avoit raifon de dire, en vain vous pilerez un fou dans un mortier de bronze, vous ne le rendrez pas fage, fi contundas ftultum in mortario cum mola & piftillo, non tamen recedet ab eo ftultitia. 11 eft dangereux de piler l'arsenic.

Les vrais maquignons, & fur-tout les directeurs des maneges, craignent d'accoutumer aux Coups les chevaux qu'ils éduquent; ils ne les renferment point dans les cachots, de crainte de les rendre ombrageux ; ils leur montrent la verge, ils les chatouillent, mais ils ne les battent prefque jamais, de peur de les rendre rétifs & vicieux; ils tiennent pour maxime, qu'il eft très-facile de diriger & de dompter même les chevaux arabes, tartares ou barbes, en employant le travail, la douceur, les bienfaits & la flatterie, & qu'il eft au contraire très-dangereux de tenter de les entraîner par la violence, par les Coups, & par la brutalité.

Le bâton que la folie jaloufe des chaffeurs fait attacher au col des chiens de parc, pour leur empêcher de poursuivre les lievres, eft un talifman réel qui avilit même les doguins d'Angleterre; il les rend lâches & incapables de fe défendre du loup.... La crainte des Coups, l'afpect du bâton nommé pantfée, qui dirige le peuple Chinois, l'a toujours rendu poltron & incapable de réfifter aux incurfions & aux armes des Tartares. Vainement l'Empereur de la Chine prend le titre de pere de fes peuples: comme ce defpote oriental les tient aux arrêts dans fon parc, & comme ce parâtre les traite en enfans pupilles à Coups de fouet, jamais, quoiqu'en difent nos religieux, jamais les Chinois n'auront le génie & la grandeur d'ame des peuples Européens, que les vrais Monarques traitent en enfans majeurs, libres & dominés uniquement par la raifon & par la loi. La Chine eft une ruche, où l'on trouve des infectes laborieux : mais l'Angleterre eft un Royaume où l'on trouve des hommes.

Les Coups ont toujours été fi fort en exécration parmi les peuples libres, que nous ne devons point être étonnés de ce que Cicéron fit fondre en larmes le peuple Romain, en prononçant ces mots au fujet du fupplice de Gabinius, codebatur virgis civis Romanus. On croit en France que Chilpéric fut affaffiné pour avoir donné un Coup de bâton à fa femme, & qu'Amalaric perdit le Royaume des Vifigots & la vie, parce qu'il avoie

donné quelques Coups de bâton à fa femme, qui étoit fœur de Childebert Roi de France.

Il y a environ vingt ans qu'un Coup de canne donné par un Officier à un porte-faix de la République de Gênes, fit foulever tous les habitans; ils chafferent à main armée les troupes Allemandes, qui s'étoient emparées de leur ville.

Quoique les ordonnances militaires défendent expreffément aux Majors & aux autres Officiers des troupes Françoifes, de donner aux foldats & à leurs domeftiques des coups de plat d'épée, & des coups de bâton, cependant malgré la loi il y a toujours quelques petits maîtres, qui croient payer leurs dettes en battant leurs créanciers, & qui aiment mieux battre que de s'abaiffer à parler à leurs inférieurs l'inconduite de ces brutaux leur fait commettre des crimes d'Etat, ils font la caufe que chaque année il déferte quelques centaines de bons foldats. Bien plus, la feule menace des Coups de bâton occafionne annuellement quelques douzaines de duels entre les militaires & les bourgeois de la France.

Il paroît donc démontré par des faits inconteftables, que le fceptre dans la main des Souverains, & le bâton dans la main du Maréchal, du Commandant, du Major ou de l'Exempt, font des marques fymboliques & facrées de leur autorité, & des honneurs que l'on doit leur rendre; c'est donc commettre un crime que de les employer comme des inftrumens de fupplice ou de brutalité. Il est évident que les Coups, la cruauté des loix pénales, des Dracons anciens ou modernes, ne contiennent perfonne, révoltent tous les êtres penfans, & pervertiffent même l'inftinet des animaux. Les bons procédés changent les lions en hommes; les Coups métamorphofent les hommes en lions. Il n'y a donc que des gens illitérés qui puiffent regarder les Coups, les emprisonnemens & les défarmemens comme des jeux, parce que de pareilles démarches tendent toujours à faire méprifer l'état militaire, & avilir le cœur des Nations. Cent hiftoires nous prouvent qu'un Coup de main peut occafionner une émotion populaire ; un Coup de cloche fonne l'alarme, &c.

Dans les livres qui font intitulés Coup d'Etat, ou Hiftoire des révolutions des Empires, on pourra également fe convaincre que les Coups de fang, que l'on employa pour punir les premiers Empereurs de Rome, & ceux que, dans le fiecle dernier l'on employa contre trois Reines d'Angleterre, font ces Coups d'Etat, qui ont toujours nui au peuple & à la maffe des honnêtes gens. Il eft démontré dans l'hiftoire de tous les fiecles, que la patience, la tolérance dans les peuples & dans les particuliers, eft le meilleur des remedes que l'on puiffe apporter contre les maux phyfiques, moraux & politiques. L'expérience démontre encore, que les Adminiftrateurs qui ont des talens & de la vertu, n'ont pas befoin des Coups de main violens, des fuppreffions, des profcriptions, des inquifitions, des innovations, & des Vêpres Siciliennes, pour diriger ou pour réformer les fujets.

La

La divinité emploie tout au plus quatré élémens pour compofer les merveilles du globe terreftre: elle a plus de tonnerres pour épouvanter les méchans, que de foudres pour les punir. Vox tonitrui ejus verberavit, Ecclef. XXXIV, 18.

Nous ofons enfin avouer que les anciens payens nous ont enfeigné les vérités que nous venons de dévoiler; ils nous rapportent dans leurs écrits emblématiques, que Mercure d'un Coup de caducée changea Aglaure en rocher, Battus en pierre de touche, & que l'enchantereffe Circée d'un Coup de baguette métamorphofa les compagnons d'Ulifse en bêtes brutes.

Nous venons de rapporter en général l'ufage & l'effet des Coups, c'eftà-dire, de la percuffion en matiere de morale & de politique. Pour completter cet article, il nous refte à indiquer de quel il les différentes efpeces de Gouvernemens doivent regarder les Coups.

Dans les Etats defpotiques, les Coups infpirant la crainte, la baftonnade, le Coup de mort, & l'atrocité des fupplices font des inftrumens néceffaires pour régner. Les tyrans doivent donc autorifer leurs Bachas à faire rouer à Coups de barre tous ceux qui paroiffent contrevenir à leur volonté, & autorifer les peres à battre & faire mourir leurs enfans, leurs、 efclaves & même leurs femmes.

Dans les Etats Monarchiques au contraire, les Coups de main ou de langue étant un attentat au point d'honneur, ils font par conféquent des crimes impardonnables pour en obtenir fatisfaction, les fages y doivent recourir aux loix féveres de la juftice; mais les brutaux n'y recourent qu'au duel.

Chez les Ariftocrates, les Coups de langue & les Coups de main font peu de chofe, pourvu que d'ailleurs l'on ne dife rien du Gouvernement, & que l'on ne faffe rien d'attentatoire aux privileges des nobles car fur cet article tout eft facrilege, tout eft crime d'Etat que l'on punit fans miféricorde publiquement ou furtivement.

La cenfure, les Coups de langue, la médifance, la délation, ont quelquefois paru néceffaires dans les Républiques, pour y découvrir les manœuvres des administrateurs. Les Coups de main légers entre les citoyens y font punis fuivant le tarif général : mais le Coup de mort ne peut s'y donner que par l'autorité du concours général de la nation, parce que chaque particulier y eft confidéré comme un membre effentiel de l'Etat. La peine de mort y doit être très-rare. Lorfque l'on y fuit les regles fondamentales, un pere ne doit point avoir droit de vie & de mort fur fes enfans & fur fes efclaves, il ne doit point même être autorisé à battre fa femme & fes domeftiques.

Ces notions peuvent fervir pour tenter de découvrir l'efprit des loix fingulieres, que l'on a publiées au fujet des Coups. Par exemple, Aulugelle, Lib. XX. C. 22. rapporte que Lucius Veratius, citoyen Romain Tome XIV.

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fort riche, fe promenoit dans les rues de Rome, & donnoit des foufflets à ceux qu'il rencontroit; mais tout de fuite il leur payoit les vingt-cinq fols d'amende qui étoient fixés par la loi des douze tables.

Quoique l'Empereur Charlemagne nous ait montré par fa conduite, qu'il étoit tolérant & qu'il déteftoit les Coups de main, cependant pour fe proportionner au ton du fiecle où il vivoit, il fut obligé d'inférer dans fes Capitulaires un tarif des loix pénales, pour chaque efpece de Coup de main: par exemple, un des articles portoit (en ces termes fi je ne me trompe) que tout homme qui d'un Coup emporteroit du crâne d'un Prétre, un morceau capable de faire fonner un bouclier d'airain à travers un chemin large de trois pas, doit étre condamné à payer environ cinq fols d'amende.

LA

COUR, f. f. Le lieu qu'habite un Souverain.

A Cour d'un Souverain eft compofée des Princes, des Princeffes, des Miniftres, des Grands, & des principaux Officiers. Il n'eft donc pas étonnant que ce foit le centre de la politeffe d'une nation. La politeffe y fubfifte par l'égalité où l'extrême grandeur d'un feul y tient tous ceux qui l'environnent, & le goût y eft rafiné par un ufage continuel des fuperfluités de la fortune. Entre ces fuperfluités, il fe rencontre néceffairement des productions artificielles de la perfection la plus recherchée. La connoiffance de cette perfection fe répand fur d'autres objets beaucoup plus importans; elle paffe dans le langage, dans les jugemens, dans les fentimens, dans le maintien, dans les manieres, dans le ton, dans la plaisanterie, dans les ouvrages d'efprit, dans la galanterie, dans les ajuftemens, dans les mœurs mêmes. J'oferois prefqu'aflurer qu'il n'y a point d'endroit où la délicateffe dans les procédés foit mieux connue, plus rigoureufement obfervée par les honnêtes gens, & plus finement affectée par les courtifans. L'auteur de l'Efprit des Loix définit l'air de Cour, l'échange de fa grandeur naturelle contre une grandeur empruntée. Quoiqu'il en foit de cette définition cet air, felon lui, eft le vernis féduifant fous lequel fe dérobent l'ambition dans l'oifiveté, la baffeffe dans l'orgueil, le défir de s'enrichir fans travail, l'averfion pour la vérité, la flatterie, la trahison, la perfidie, l'abandon de tout engagement, le mépris des devoirs du citoyen, la crainte de la vertu du Prince, l'efpérance fur fes foibleffes, &c. en un mot, la malhonnêteté avec tout fon cortege, fous les dehors de l'honnêteté la plus vraie; la réalité du vice toujours derriere le fantôme de la vertu. Le défaut de fuccès fait feul dans ce pays donner aux actions le nom qu'elles méritent; auffi n'y a-t-il que la mal-adreffe qui ait des remords, Voyez l'article COURTISAN.

Réflexions fur la Cour,

LE reproche en un fens le plus honorable que l'on puiffe faire à un

homme, dit la Bruyere, c'eft de lui dire qu'il ne fait pas la Cour : il n'y a forte de vertus qu'on ne raffemble en lui par ce feul mot.

Un homme qui fait la Cour, eft maître de fon gefte, de fes yeux & de fon visage: il eft profond, impénétrable: il diffimule les mauvais of fices, fourit à fes ennemis, contraint fon humeur, déguise fes paffions dément fon cœur, parle, agit contre fes fentimens. Tout ce grand raffinement n'eft qu'un vice, que l'on appelle fauffeté, quelquefois auffi inutile au Courtisan pour fa fortune, que la franchise, la fincérité, & la vertu. Qui peut nommer de certaines couleurs changeantes, & qui font diverfes felon les divers jours dont on les regarde? de même qui peut définir la Cour?

On eft petit à la Cour; & quelque vanité que l'on ait, on s'y trouve tel: mais le mal eft commun, & les grands mêmes y font petits.

La Province eft l'endroit d'où la Cour, comme dans fon point de vue paroît une chofe admirable: fi l'on s'en approche, fes agrémens diminuent comme ceux d'une perfpective que l'on voit de trop près.

On s'accoutume difficilement à une vie qui fe paffe dans une antichambre, dans des cours, ou fur l'escalier.

La Cour ne rend pas content, elle empêche qu'on le foit ailleurs.

La Cour eft comme un édifice bâti de marbre, je veux dire qu'elle eft compofée d'hommes fort durs, mais fort polis.

On va quelquefois à la Cour pour en revenir, & fe faire par-là respecter du Noble de fa Province, ou de fon Diocésain.

Le brodeur & le confifeur feroient fuperflus & ne feroient qu'une montre inutile, fi l'on étoit modefte & fobre les Cours feroient défertes, & les Rois prefque feuls, fi l'on étoit guéri de la vanité & de l'intérêt. Les hommes veulent être efclaves quelque part, & puifer là de quoi dominer ailleurs. Il femble qu'on livre en gros aux premiers de la Cour l'air de hauteur, de fierté & de commaudement, afin qu'ils le diftribuent en détail dans les Provinces.

Il n'y a rien qui enlaidiffe certains Courtifans comme la présence du Prince, à peine les puis-je reconnoître à leurs vifages, leurs traits font altérés, & leur contenance eft avilie. Les gens fiers & fuperbes font le plus défaits, car ils perdent plus du leur : celui qui eft honnête & modefte s'y foutient mieux, il n'a rien à réformer.

L'air de Cour eft contagieux, il fe prend à Versailles, comme l'accent Normand à Rouen ou à Falaise on l'entrevoit en des fourriers, en des garçons de chambre, en de petits contrôleurs, & en des chefs de fruiterie: on peut avec une portée d'efprit fort médiocre y faire de grands progrès. Un homme d'un génie élevé & d'un mérite folide ne fait pas af

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