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Il coûte moins à faire dire de foi, pourquoi a-t-il obtenu ce poste, qu'à faire demander, pourquoi ne l'a-t-il pas obtenu?

On fe présente encore pour les Charges de Ville, on poftule une place dans l'Académie Françoife, on demandoit le Confulat quelle moindre raison y auroit-il de travailler les premieres années de fa vie à fe rendre capable d'un grand emploi, & de demander enfuite fans nul myftere & fans nulle intrigue, mais ouvertement & avec confiance, d'y fervir fa Patrie, fon Prince, la République.

Je ne vois aucun Courtifan à qui le Prince vienne d'accorder un bon Gouvernement, une place éminente, ou une forte penfion, qui n'affure par vanité, ou pour marquer fon défintéressement, qu'il eft bien moins content du don, que de la maniere dont il lui a été fait : ce qu'il y a en cela de fûr & d'indubitable, c'eft qu'il le dit ainfi.

C'eft rufticité que de donner de mauvaife grace: le plus fort & le plus pénible eft de donner : que coûte-t-il d'y ajouter un fourire?

Il faut avouer néanmoins qu'il s'eft trouvé des hommes qui refufoient plus honnêtement que d'autres ne favoient donner; qu'on a dit de quelques-uns qu'ils fe faifoient fi long-temps prier, qu'ils donnoient fi féchement, & chargeoient une grace qu'on leur arrachoit, de conditions fi défagréables, qu'une plus grande grace étoit d'obtenir d'eux d'être difpenfés de rien recevoir.

On remarque dans les Cours, des hommes avides, qui fe revêtent de toutes les conditions pour en avoir les avantages: Gouvernement, Charge, Bénéfice, tout leur convient : ils fe font fi bien ajuftés, que par leur état ils deviennent capables de toutes les graces: ils font amphibies, ils vivent de l'Eglife & de l'Epée, & auront le fecret d'y joindre la Robe. Si vous demandez que font ces gens à la Cour, ils reçoivent, & envient tous ceux à qui l'on donne.

Mille gens à la Cour y traînent leur vie à embraffer, ferrer & congratuler ceux qui reçoivent, jufqu'à ce qu'ils y meurent fans rien avoir.

Il y a, pour arriver aux Dignités, ce qu'on appelle la grande voie ou le chemin battu il y a le chemin détourné ou de traverse, qui eft le plus

court.

On court les malheureux pour les envisager, on fe range en haye ou l'on fe place aux fenêtres pour obferver les traits & la contenance d'un homme qui eft condamné, & qui fait qu'il va mourir. Vaine, maligne, inhumaine curiofité! Si les hommes étoient fages, la place publique feroit abandonnée, & il feroit établi qu'il y auroit de l'ignominie feulement à voir de tels fpectacles. Si vous êtes fi touchés de curiofité, exercez-la du moins dans un fujet noble: voyez un heureux, contemplez-le dans le jour même où il a été nommé à un nouveau pofte, & qu'il en reçoit les complimens: lifez dans fes yeux & au travers d'un calme étudié & d'une feinte modeftie, combien il eft content & pénétré de foi-même : voyez quelle féTome XIV.

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rénité cet accompliffement de fes défirs répand dans fon cœur & fur fon vifage, comme il ne fonge plus qu'à vivre & à avoir de la fanté, comme enfuite fa joie lui échappe & ne peut plus fe diffimuler, comme il plie fous le poids de fon bonheur, quel air froid & férieux il conferve pour ceux qui ne font plus fes égaux; il ne leur répond pas, il ne les voit pas. Les embraffemens & les careffes des grands, qu'il ne voit plus de fi loin, achevent de lui nuire il fe déconcerte, il s'étourdit, c'eft une courte aliénation. Vous voulez être heureux, vous défirez des graces, que de chofes pour vous à éviter !

Un homme qui vient d'être placé, ne fe fert plus de fa raison & de fon efprit pour régler fa conduite & fes dehors à l'égard des autres : il emprunte fa regle de fon pofte & de fon état : delà l'oubli, la fierté, l'arrogance, la dureté, l'ingratitude.

Théonas, Abbé depuis trente ans, fe laffoit de l'être; on a moins d'ardeur & d'impatience de se voir habillé de pourpre, qu'il en avoit de porter une croix d'or fur fa poitrine. Et parce que les grandes fêtes fe paffoient toujours fans rien changer à fa fortune, il murmuroit contre le temps préfent, trouvoit l'Etat mal gouverné, & n'en prédifoit rien que de finiftre convenant en fon cœur que le mérite eft dangereux dans les Cours à qui veut s'avancer; il avoit enfin pris fon parti & renoncé à la Prélature, lorfque quelqu'un accourt lui dire qu'il eft nommé à un Evêché: rempli de joie & de confiance fur une nouvelle fi peu attendue, vous verrez, dit-il, que je n'en demeurerai pas là, & qu'ils me feront Archevêque.

Il faut des fripons à la Cour auprès des Grands & des Miniftres, même les mieux intentionnés; mais l'ufage en eft délicat, & il faut favoir les mettre en œuvre : il y a des temps & des occafions où ils ne peuvent être fuppléés par d'autres. Honneur, vertu, conscience, qualités toujours refpectables, fouvent inutiles : que voulez-vous quelquefois que l'on faffe

d'un homme de bien?

Un vieil auteur, & dont j'ofe rapporter ici les propres termes, de peur d'en affoiblir le fens par ma traduction, dit que s'eflongner des petits, voire de fes pareils, & iceulx vilainer & defprifer, s'accointer de grands & puiffans en tous biens & chevances, & en cette leur cointife & privauté eftre de tous efbats, gabs, mommeries, & vilaines befoignes, eftre eshonté, faffranier & fans point de vergogne, endurer brocards & gaufferies de tous chacuns, fans pour ce feindre de cheminer en avant, & à tout fon entregent, engendre heur & fortune.

Timante toujours le même, & fans rien perdre de ce mérite qui lui a attiré la premiere fois de la réputation & des récompenfes, ne faiffoit pas de dégénérer dans l'efprit des Courtifans: ils étoient las de l'eftimer, ils le faluoient froidement, ils ne lui fourioient plus; ils commençoient à ne le plus joindre, ils ne l'embraffoient plus, ils ne le tiroient plus à l'é

eart pour lui parler mystérieufement d'une chose indifférente, ils n'avoient plus rien à lui dire. Il lui falloit cette penfion ou ce nouveau pofte dont il vient d'être honoré pour faire revivre fes vertus à demi effacées de leur mémoire, & en rafraîchir l'idée : ils lui font comme dans les commencemens, & encore mieux.

Que d'amis, que de parens naiffent en une nuit au nouveau Ministre! Les uns font valoir leurs anciennes liaisons, leur fociété d'études, les droits du voisinage : les autres feuillettent leur généalogie, remontent jufqu'à un trifayeul, rappellent le côté paternel & le maternel; on veut tenir à cet homme par quelque endroit, & l'on dit plufieurs fois le jour que l'on y tient, on imprimeroit volontiers, c'est mon ami, & je fuis fort aife de fon élévation, j'y dois prendre part, il m'eft affez proche. Hommes vains & dévoués à la fortune, fades Courtifans, parliez-vous ainfi il y a huit jours? Eft-il devenu depuis ce temps plus homme de bien, plus digne du choix que le Prince vient d'en faire? Attendiez-vous cette circonftance pour le

mieux connoître ?

Ce qui me foutient & me raffure contre les petits dédains que j'effuie quelquefois des grands & de mes égaux, c'eft que je me dis à moi-même; ces gens n'en veulent peut-être qu'à ma fortune, & ils ont raison, elle eft bien petite. Ils m'adoreroient fans doute fi j'étois Miniftre.

Dois-je bientôt être en place, le fait-il, eft-ce en lui un pressentiment ? il me prévient, il me falue.

Celui qui dit, Je dinai hier à Tibur, ou j'y foupe ce foir, qui le répete, qui fait entrer dix fois le nom de Plancus dans les moindres converfations; qui dit, Plancus me demandoit..... Je difois à Plancus..... Celui-là même apprend dans ce moment que fon héros vient d'être enlevé par une mort extraordinaire : il part de la maison, il raffemble le peuple dans les places ou fous les portiques, accufe le mort, décrie fa conduite, dénigre fon Confulat, lui ôre jufqu'à la fcience des détails que la voix publique lui accorde, ne lui paffe pas une mémoire heureuse, lui refuse l'éloge d'un homme févere & laborieux, ne lui fait pas l'honneur de lui croire un ennemi parmi les ennemis de l'Empire.

Un homme de mérite fe donne, je crois, un joli fpectacle, lorfque la même place à une affemblée ou à un fpectacle, dont il eft refufé, il la voit accorder à un homme qui n'a point d'yeux pour voir, ni d'oreilles pour entendre, ni d'efprit pour connoître & pour juger, qui n'eft recommandable que par de certaines livrées, que même il ne porte plus.

Théodote, avec un habit auftere a un vifage comique & d'un homme qui entre fur la fcene: fa voix, fa démarche, fon gefte, fon attitude accompagnent fon vifage: il eft fin, cauteleux, doucereux, myftérieux; il s'approche de vous, & il vous dit à l'oreille, Voilà un beau temps, voilà un beau dégel. S'il n'a pas les grandes manieres, il a du moins toutes les petites, & celles même qui ne conviennent guere qu'à une jeune pré

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cieufe. Imaginez-vous l'application d'un enfant à élever un château de cartes ou à fe faifir d'un papillon, c'est celle de Théodote pour une affaire de rien, & qui ne mérite pas qu'on s'en remue; il la traite férieusement & comme quelque chofe qui eft capital, il agit, il s'empreffe, il la fait réuffir le voilà qui refpire & qui fe repofe, & il a raison, elle lui a coûté beaucoup de peine. On voit des gens enivrés, enforcelés de la faveur : ils y penfent le jour, ils y rêvent la nuit : ils montent l'efcalier d'un Miniftre & ils en descendent; ils fortent de son anti-chambre & ils y rentrent; ils n'ont rien à lui dire & ils lui parlent : ils lui parlent une feconde fois, les voilà contens, ils lui ont parlé. Preffez-les, tordez-les, ils dégoûtent l'orgueil, l'arrogance, la préfomption: vous leur adreffez la parole, ils ne vous répondent point, ils ne vous connoiffent point, ils ont les yeux égarés & l'efprit aliéné: c'eft à leurs parens à en prendre foin & à les renfermer, de peur que leur folie ne devienne fureur, & que le monde n'en fouffre. Théodore a une plus douce manie: il aime la faveur éperdument, mais fa paffion a moins d'éclat : il lui fait des vœux en fecret, il la cultive, il la fert myftérieufement: il eft au guet & à la découverte fur tout ce qui paroît de nouveau avec les livrées de la faveur : ont-ils une prétention, il s'offre à eux, il s'intrigue pour eux, il leur facrifie fourdement mérite, alliance, amitié, engagement, reconnoiffance. Si la place d'un d'Alembert devenoit vacante, & que le Suiffe ou le Poftillon du Favori s'avifàt de la demander, il appuyeroit fa demande, & ne manqueroit pas de raifons pour l'en trouver digne. Raffurez-vous, Théodote, vous ferez placé, vous aurez des penfions; vous avez trop de foupleffe, trop d'aftuce pour ne pas réuffir.

COUR, Tribunal, Jurifdiction.

Cour Souveraine,

C'EST un Tribunal fupérieur & du premier ordre, qui connoît fouve

rainement & fans appel des matieres dont la connoiffance lui eft attribuée par le Souverain, & dont les jugemens ne peuvent être caffés que par le Souverain ou par fon confeil.

Si ces Cours ou compagnies de juftice font appellées Souveraines, ce n'eft pas qu'elles aient aucune autorité qui leur foit propre, car elles tiennent leur autorité du Prince, & c'eft en fon nom qu'elles rendent la justice; c'eft parce qu'elles représentent la personne du Souverain plus particuliérement que dans les autres tribunaux, attendu que leurs jugemens font intitulés de fon nom & qu'il eft cenfé y être préfent, & il vient en effet quelquefois au Parlement tenir fon lit de juftice; enfin toutes ces Cours

en général jugent fouverainement & fans appel; & hors le cas de caffation, leurs jugemens ont autant de force que fi c'étoit une loi faite par le Prince même.

Les Cours Souveraines font compofées de Magiftrats pour rendre la justice, d'Avocats & de Procureurs-généraux pour faire les réquifitoires convenables; & de Greffiers, Secrétaires, Huiffiers, & autres Officiers, pour remplir les différentes fonctions qui ont rapport à l'administration de la juftice.

L'autorité des Cours Souveraines ne s'étend pas au-delà de leur reffort, ni des matieres dont la connoiffance leur eft attribuée; elles font indépendantes les unes des autres, & ont chacune un pouvoir égal pour ce qui eft de leur reffort.

S'il arrive un conflit entre deux Cours Souveraines, elles tâchent de fe concilier par la médiation de quelques-uns de leurs Officiers; s'ils ne s'accordent pas, il faut fe pourvoir au confeil du Souverain en réglement de juges, pour favoir où l'on procédera.

Le pouvoir des Cours Souveraines eft plus grand que celui des autres juges: 1°. en ce que les Cours Souveraines ne font pas aftreintes à juger toujours felon la rigueur de la loi; elles peuvent juger felon l'équité, pourvu que leur jugement ne foit point contraire à la loi 2°. il n'appartient qu'aux Cours Souveraines de rendre des arrêts de réglemens qui s'obfervent dans leur reffort fous le bon plaifir du Prince, jufqu'à ce qu'il lui plaise d'en ordonner autrement : 3°. les Cours Souveraines ont feules droit de bannir hors de l'Etat; les autres juges ne peuvent bannir chacun que hors de leur reffort.

Cour fubalterne & inférieure, fe dit pour exprimer une jurifdiction inférieure. Le terme de Cour en cette occafion ne fignifie autre chofe que jurifdiction, & non pas une compagnie fouveraine: il eft, au contraire, défendu à tous juges inférieurs aux Cours Souveraines de fe qualifier de Cour.

C'EST

Cour de Comté.

'EST en Angleterre, une Cour de juftice qui fe tient tous les mois dans chaque Comté par le Shérif ou fon Lieutenant.

Cette Cour connoiffoit autrefois des matieres très-importantes : mais la grande charte & les ftatuts d'Edouard IV lui en ont beaucoup retranché. Elle juge encore à préfent en matiere de dettes & de délits, au-dessous de quarante fchelins.

Avant l'établiffement des Cours de Westminster, les Cours de Comtés étoient les principales jurifdictions du Royaume.

Parmi les loix du Roi Edgar, il y en a une conçue en ces termes : Qu'il y ait deux Cours de Comté par an, auxquelles affiftent un Evêque & un Alderman, ou un Comte, dont l'un jugera conformément au droir

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