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cieux & le plus orné: qui méprise la Cour après l'avoir vue, méprife le monde.

La ville dégoûte de la Province: la Cour détrompe de la ville, & guérit de la Cour.

Un efprit fain puise à la Cour le goût de la folitude & de la retraite.

Caractere des Courtisans.

IL eft de la derniere importance pour un Prince de connoître les Cour

tifans qui l'environnent, afin de favoir placer fa confiance à propos & de ne pas risquer d'être la dupe d'un mafque d'hypocrifie, ce qui n'arrive que trop ordinairement pour la gloire des Rois & le bien des Peuples. Il doit fe former une notion jufte du génie général des gens de Cour, & s'appliquer enfuite à étudier le génie particulier de ceux qui forment la fienne.

Ce n'eft pas ordinairement l'amour de la vérité qui fait aller les gens à la Cour, ni qui les y retient. La paffion dominante des Courtifans, c'est un compofé d'ambition, de flatterie & de diffimulation. C'eft l'idée que s'en forme le Sage qui a fréquenté & obfervé les Cours & ceux qui y demeurent.

Celui qui a des vues pour quelque pofte ou des prétentions fur la faveur du Maître, étant fûr d'avoir des concurrens, s'attache à les connoître, à fe fortifier contre leurs brigues, & à tenter toutes fortes de voies pour l'emporter fur eux : comme il peut y avoir des obftacles, réels ou apparens, qui s'oppofent à fes deffeins, il fe tient fur fes gardes; plus il eft ambitieux, plus il craint de ne pas réuffir, plus il fe méfie de ceux même qui femblent embraffer fon parti. De-là vient l'efprit de Cour, plein d'amour-propre, de foupçons, de terreurs vaines ou vraies, fans aucun lien d'amitié. De-là vient la foupleffe des Courtifans, leur paffage brufque d'une amitié feinte à une haine fincere, des démonftrations gênantes à une froideur choquante, des louanges au blâme à l'égard de la même perfonne, felon qu'elle eft en crédit ou disgraciée, felon qu'elle peut nuire ou fervir, ou qu'elle eft incapable de tous les deux. Le grand but que l'on fe propose, c'eft d'avoir les bonnes graces de celui qui eft en place, de celui qui tient les rênes de l'autorité, & qui eft la fource des bienfaits ou des difgraces. On étudie tous fes mouvemens, fes inclinations & ses averfions; on les adopte ainfi un fourire, un air mécontent de celui qui eft fur le trône ou qui en approche de grès, eft faifi avec empreffement & change le vifage de toute la Cour en un inftant. Cela fe communique avec une uniformité remarquable dans toutes les perfonnes de tout rang, depuis les premiers de la Cour, jufqu'aux fimples commis d'un bureau.

La Cour eft comme un rendez-vous nombreux de gens dont un petit nombre a des faveurs à diftribuer. Les autres font des compétiteurs qui les

briguent, & qui tâchent de l'emporter l'un fur l'autre dans l'art de fe rendre agréables. De-là vient l'air de complaifance des Courtifans, leur flatterie, leurs infinuations, & leur empreffement; c'eft-là qu'on voit des paffions couvertes, quelques-unes déguifées, & d'autres affectées. De-là vient leur attachement pour ceux qui peuvent les fervir, & leur indifférence pour ceux qui ne leur font bons à rien. C'eft leur ambition qui regle leur conduite à l'égard de tout le monde. C'est parmi eux que la bonne fortune eft un mérite quelque indigne que foit le fujet qui a fes faveurs. C'eft auprès d'eux que la capacité difparoît avec le crédit.

La flatterie eft le fecond trait du caractere des Courtisans. Quel monftre que la flatterie! Elle égare les Princes au point de leur faire accroire que leurs vices font des vertus, & que les déportemens odieux d'une rage frénétique font le réfultat d'un Gouvernement jufte, que la louange extorquée part d'une fincere affection, & qu'eux-mêmes font l'amour du peuple dans le temps qu'ils en font l'horreur. Cette fauffe idée les empêche de fe repentir ou de fe corriger. S'endormant fur les difcours de leurs flatteurs ils ne fauroient découvrir en quoi ils ont mal fait, & ne voient point de quoi ils devroient fe corriger. Les flatteurs de Néron tournoient Séneque en ridicule, & faifoient entendre au Prince qu'il n'avoit pas befoin de tuteurs. Les flatteurs de Commode firent la même chofe à l'égard de fes vieux Confeillers qui l'avoient été de fon pere. Néron & Commode suivirent l'avis de leurs flatteurs, ils régnerent tyranniquement, firent une fin tragique, & leur mémoire eft en déteftation.

On ne peut envifager, fans frémir, l'efpece de délire où la flatterie plonge un Prince l'Hiftoire Romaine en fournit des exemples terribles. Ces peftes des Cours endorment les méchans Princes dans une fécurité fatale, & leur tiennent le bandeau fur les yeux jufqu'à ce que le hafard le leur faffe ouvrir la premiere chofe qu'ils voient, c'eft leur trône chancelant ou renversé, & quelquefois le glaive du bourreau à leur gorge. Lors même que les chofes en font venues là, il ne manque pas de gens qui leur donnent de fauffes couleurs, & qui continuent leurs flatteries, comme ils firent à Galba peu d'inftans avant qu'il fût égorgé.

Si Néron avoit fuivi les excellentes regles de Gouvernement qui lui avoient été dictées par Séneque & par Burrhus, & qu'il s'étoit prescrites lui-même dans fon premier difcours au Sénat; s'il avoit fermé l'oreille aux confeils de Tigellin & de plufieurs autres flatteurs de fon efpece; la fin de fon regne auroit été accompagnée des mêmes bénédictions que le commencement, & Néron auroit laissé un nom auffi respecté qu'il le rendit abominable.

La flatterie eft un effet de l'ambition, de la crainte & de l'impofture, & la marque d'une ame baffe. On a remarqué que les Princes font flattés en proportion de leurs mauvaises qualités, & que les hommes les plus méchans & les plus faux font les plus portés à l'adulation. Ces confidéra

tions devroient être une leçon aux Princes & aux Grands, de mettre dans la balance d'un côté leurs actions, de l'autre les louanges qu'ils en reçoivent, d'examiner le caractere de ceux qui les louent pour connoître fi ce font des gens d'honneur & de vertu, amateurs de la vérité, de leur patrie, du genre-humain, ou s'ils ne font pas du nombre de ces flatteurs qui louent fans difcernement & fans mesure.

La complaisance & la diffimulation ne fauroient être bannies des Cours, non plus que l'ambition & la flatterie. Les gens qui y demeurent ne doivent fouvent pas faire femblant d'entendre ou de connoître ce qu'ils favent très-bien, non plus qu'ils ne doivent pas dire tout ce qu'ils penfent. Les Princes ufent fouvent de diffimulation avec leurs fujets, les Miniftres avec les Princes, & les uns avec les autres. Chacun parle ou fe montre le plus avantageufement qu'il peut. La diffimulation à la Cour eft abfolument néceffaire; ainfi elle est légitime jufqu'à un certain point. Un honnête homme n'eft pas toujours obligé de dire la vérité, quoiqu'il ne doive rien dire que de vrai. Perfonne n'eft blâmable de cacher fes paffions & fes fentimens, lorfque trop de fincérité lui porteroit du préjudice. C'eft un respect dû au public, qui n'eft exceffif que lorfqu'il dégénere en hypocrifie.

Il y a peu de perfonnes, même dans la vie privée, à qui il foit für de confier des fecrets d'où dépend la tranquillité ou la réputation. Il y en a encore moins à la Cour, peut-être n'y en a-t-il point du tout. C'est-là que les paffions & les intérêts particuliers changent fi fouvent; que les amis intimes y rompent ouvertement; & que les anciennes amitiés s'y changent en haines pleines de reffentiment. Celui-là même qui auroit ha farde sa vie pour le fervice de fon ami, eft capable pour un léger mécon◄ tentement, de le laiffer monter fur l'échaffaut, pouvant l'en tirer.

Ces raifons fuffifent à ceux qui pratiquent les Cours, & qui ont la connoiffance du monde & des hommes, pour les rendre réfervés & circonfpects à donner leur confiance, & pour les empêcher de la donner entiérement à ceux à qui ils fe fient le plus. Un homme prudent ne fe met point à la difcrétion d'un ami qui peut devenir fon ennemi. Mais un Prince doit être bien autrement circonfpe&t fur ce point. Il doit avoir étudié long-temps un Grand, avant de lui donner fa confiance. Il doit l'avoir mis à de fortes épreuves, & les avoir variées & multipliées pour connoître s'il a une ame affez forte pour porter le poids de la confiance de fon Prince. Elle lui impose de grands devoirs; elle le place fouvent dans des circonftances délicates, & dont il n'y a que la plus grande droiture, éclairée par la plus grande connoiffance du vrai & foutenue par l'amour le plus déterminé du bien, qui puiffe le maintenir dans une place auffi gliffante. Voyez les Difcours politiques de Gordon.

Le Courtifan vertueux.

LE E Calife Mabadi, de la race des Abbaffides, aimoit les lettres, les arts & les plaifirs. Il avoit attaché à fa perfonne un Courtisan, nommé Iacoub, amateur comme lui des beaux-arts. La voix agréable d'Iacoub & fes faillies ingénieufes, faifoient les délices des feftins de fon maître : il l'admettoit même dans fon harem; car les Califes n'étoient pas fi jaloux que les autres Princes Orientaux l'ont été dans la fuite : cette foiblesse n'a fait que croître chez les Mufulmans.

Un jour Iacoub fortant de la table du Prince, montoit à cheval pour retourner chez lui: il fit une chûte, & fe caffa la jambe. Le Calife inf truit de cet accident, témoigna tant d'inquiétude, marqua tant de foins au bleffé, qu'il excita la jaloufie de tous ceux qui n'avoient pas, comme Iacoub, le bonheur de plaire à leur maître. Plufieurs entreprirent de perdre ce favori, ils s'entendirent entr'eux, pour exciter des foupçons dans le cœur du Prince: tandis que la jambe d'Iacoub guériffoit, il perdoit la fa veur & la confiance de fon maître; car à la Cour, plus qu'ailleurs les abfens ont toujours tort.

Le Calife avoit entendu de plusieurs bouches, qu'Iacoub fervoit la race des Alides, ennemis & rivaux de sa maison : lorfque fon ancien favori fut guéri, loin de lui laiffer appercevoir de l'inquiétude, il affecta de lui donner des témoignages de confiance. L'ayant appellé un jour en particulier : » Iacoub, lui dit-il, je veux vous avouer ma foibleffe; je détefte & je » crains Méhémet, cet Alide qui eft demeuré malgré moi dans Bagdad, it > faut abfolument que je m'en défaffe. «

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Le favori voulut repréfenter à fon maître que cet homme fans pouvoir, fans ami, fans crédit, n'étoit digne que de pitié : » : »N'importe, reprit le » Calife, fon existence m'inquiete; & je dois le facrifier à ma fureté il » ne faut pas le faire mourir en public, cela exciteroit la compaffion gé»nérale pour cet homme. Je me repofe fur vous du foin de m'en déli» vrer; il eft ici, je vais le mettre dans vos mains: fongez que la tran» quillité de votre maître dépend de vous; mais un fi grand fervice ne

» doit pas demeurer fans récompenfe, je vous donne l'efclave qui foupa

» hier avec nous, & qui parut vous plaire, & j'ajoute à ce bienfait vingt > mille drachmes d'or, a

Iacoub, comprenant qu'il ne falloit pas répliquer, ne parla plus que de fa reconnoiffance. Le Calife ordonna qu'on lui remit à l'inftant l'efclave, la victime qui lui étoit confiée, & le prix du fang qu'il devoit répandre. Iacoub, plus embarrassé de Méhémet que flatté de la poffeffion de la belle efclave, les mena tous deux dans fon palais : il y étoit à peine que Méhémet, à qui le deffein du Calife n'avoit pu échapper, tomba aux pieds de celui qu'il croyoit déjà fon bourreau. » Ne penfez pas, lui dit alors Iacoub, que mon maître veuille votre mort, encore moins qu'il ait pu

» me choifir pour un tel crime; mais vos prétentions doivent l'inquiéter; >> il faut que vous me juriez fur la tête du Prophete, fur celle du refpec» table Ali dont vous defcendez, que jamais vous ne fongerez à détrôner » Mahadi, ni à former aucun parti contre lui. »>

Le pauvre Méhémet, bienheureux d'en être quitte à ce prix, promit tout ce qu'on voulut. » Allez, lui dit fon libérateur, je vous impofe en» core cette loi de ne pas reparoître à Bagdad; mais comme il faut que » vous viviez, voilà une fomme que mon maître vous donne. « Il lui remit auffi-tôt les vingt mille drachmes d'or qu'il venoit de recevoir.

Cette action fut bientôt fue du Calife; car la belle efclave abandonnée fi généreusement à Iacoub n'étoit qu'un efpion que le défiant Mahadi avoit attaché à fes pas. Le Calife irrité fait venir le prétendu traître. » Comment » vous êtes-vous acquitté, lui dit-il avec colere, de la commiffion dont » je vous ai chargé? Prince, lui répond Iacoub, avec la fidélité d'un fu» jet, & l'intérêt d'un ferviteur zélé. Malheureux, répliqua le Calife, vous >> avez fait échapper ma victime. Sans doute, reprend Iacoub, j'ai dû vous >> épargner un crime, dont vous vouliez que je fuffe complice, plutôt que » de fervir votre inquiétude & votre cruauté. Méhémer, gagné par ce dou» ble bienfait, la vie & l'argent que je lui ai remis de votre part, eft de» venu votre ami. Vous êtes Souverain pour protéger les foibles, & la vie » d'un homme n'eft pas plus à vous, qu'au refte de vos fujets. Vous de» vez faire punir les coupables, & non pas faire mourir les innocens. «< Le Calife, frappé de cette vérité, rendit fa faveur à cet homme jufte. » Je » ne te croyois qu'un Courtifan aimable, lui dit-il; mais je vois que tu es un véritable ami, un ami vertueux. Je compte trop fur la promeffe » que t'a fait Méhémet, pour qu'il puiffe déformais me donner aucune >> inquiétude. «

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COURTISANE, f. f.

LES Courtifanes, c'eft-à-dire, ces femmes de débauche, qui favent

exercer ce métier honteux, avec une forte d'agrément & de décence, & donner au libertinage l'attrait que la prostitution lui ôte prefque toujours, femblent avoir été plus en honneur chez les Romains que parmi nous, & chez les Grecs, que chez les Romains. Tout le monde connoît les deux Afpafies, dont l'une donnoit des leçons de politique & d'éloquence à Socrate même; Phryné, qui fit rebâtir à ses dépens la Ville de Thebes détruite par Alexandre, & dont les débauches fervirent ainfi en quelque maniere à réparer le mal fait par le conquérant; Laïs qui tourna la tête à tant de Philofophes, à Diogene même qu'elle rendit 'heureux, à Ariftippe, qui difoit d'elle, je poffede Laïs, mais Lais ne me poffede pas, grande le

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