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çon pour tout homme fage; enfin la célébre Léontium, qui écrivit fur la Philofophie, & qui fut aimée d'Epicure & de fes difciples. La fameuse Ninon Lenclos peut être regardée comme la Léontium moderne; mais elle n'a pas eu beaucoup de femblables, & rien n'eft plus rare aujourd'hui que les Courtifanes Philofophes, fi ce n'eft pas même profaner ce dernier nom que de le joindre au premier. Nous ne nous étendrons pas beaucoup fur cet article, dans un ouvrage auffi grave que celui-ci. Nous croyons devoir dire feulement, indépendamment des lumieres de la religion, & en nous bornant au pur moral, que la paffion pour les Courtilanes énerve également l'ame & le corps, & qu'elle porte les plus funeftes atteintes à la fortune, à la fanté, au repos & au bonheur. Elle éloigne les hommes des fociétés honnêtes & des profeffions utiles. Elle les dégoûte de leurs devoirs, les retire des affaires, les dérobe à leurs proches & à leurs amis pour les livrer à la diffipation, au plaifir, à la débauche, au luxe, & définitivement à leur ruine. On peut fe rappeller à cette occafion le mot de Démofthene, je n'achete pas fi cher un repentir; & celui de l'Empereur Adrien, à qui l'on demandoit pourquoi l'on peint Venus nue; il répondit, quia nudos dimittit. Mais les femmes fauffes & coquettes ne fontelles pas plus méprifables, en un fens, & plus dangereufes encore pour le cœur & pour l'efprit, que ne le font les Courtifanes? C'eft une queftion que nous laifferons à décider.

Un célébre Philofophe de nos jours examine dans fon Hiftoire naturelle, pourquoi l'amour fait le bonheur de tous les êtres, & le malheur de l'homme. Il répond que c'eft qu'il n'y a dans cette paffion que le phyfique de bon; & que le moral, c'eft-à-dire, le fentiment qui l'accompagne, ne vaut rien. Ce Philofophe n'a pas prétendu que ce moral n'ajoute pas au plaifir phyfique, l'expérience feroit contre lui; ni que le moral de l'amour ne foit qu'une illufion, ce qui eft vrai, mais ne détruit pas la vivacité du plaifir (& combien peu de plaifirs ont un objet réel!) Il a voulu dire, fans doute, que ce moral eft ce qui caufe tous les maux de l'amour, & en cela on ne fauroit trop être de fon avis. Concluons feulement delà, que fi des lumieres fupérieures à la raifon ne nous promettoient pas une condition meilleure, nous aurions beaucoup à nous plaindre de la nature, qui en nous préfentant d'une main le plus féduifant des plaifirs, femble nous en éloigner de l'autre par les écueils dont elle l'a environné, & qui nous a, pour ainfi dire, placés fur le bord d'un précipice entre la douleur & la privation.

Qualibus in tenebris vitæ quantifque periclis
Degitur hoc avi quodcumque eft!

Au refte, quand nous avons parlé ci-deffus de l'honneur que les Grecs rendoient aux Courtifanes, nous n'en avons parlé que relativement aux au

tres peuples: on ne peut guere douter en effet que la Grece n'ait été le pays où ces fortes de femmes ont été le plus honorées, ou fi l'on veut, le moins méprifées. M. Bertin, de l'Académie Royale des Belles-Lettres de Paris, dans une differtation lue à cette Académie, en 1752, s'eft propofé de prouver contre une foule d'auteurs anciens & modernes, que les honneurs rendus aux Courtifanes chez les Grecs", ne l'étoient point par le corps de la nation, & qu'ils étoient feulement le fruit de l'extravagante paffion de quelques particuliers, qui les fêtoient & leur prodiguoient des fommes immenfes aux dépens des mœurs & de l'honnêteté. C'eft ce que l'auteur entreprend de faire voir par un grand nombre de faits bien rapprochés, qu'il a tirés principalement d'Athenée & de Plutarque, & qu'il oppofe aux faits qu'on a coutume d'alléguer en faveur de l'opinion commune. La profeffion des Courtifanes publiques s'eft confervée jufqu'à nos jours en Europe, principalement en Italie. Lorsque le Pape Benoît XIV monta fur le trône, il les éloigna à une distance donnée des temples, fans cependant les dénicher le long des murs du Palais Papal de Monte-Cavallo, où elles fubfiftent encore. L'on conferve même au Capitole moderne une taxe des différentes manieres d'ufer de cette étrange marchandise; & c'eft fuivant cette taxe qu'on donne, à ces malheureuses, action en justice en cas de plainte. Au refte, cette profeffion tombe, comme toutes les autres, par le grand nombre de celles qui l'exercent fans maîtrise.

Terminons cet article par une obfervation fur le mot Courtifanes. D'après ce nom, on les prendroit pour les femelles des Courtifans. Elles ont effectivement les mêmes qualités, emploient les mêmes rufes, les mêmes moyens elles excellent dans l'art de ruiner les autres, comme les Courtifans dans l'art de fe ruiner eux-mêmes; elles font un métier désagréable à bien des égards, elles ont beaucoup de fatigues & les fupportent avec courage; elles font ambitieuses, infatiables.... En un mot elles reffemblent beaucoup plus aux Courtifans que les femelles de certaines especes ne reffemblent à leurs mâles.

COURTOISIE, f. f.

LA COURTOISIE, eft une maniere d'agir franche & engageante qui

nous attire l'amitié de nos femblables & qui leur infpire de la confiance pour nous. Tout ce qui tient à l'humanité & à la fenfibilité entre dans les regles du droit naturel; ainfi la Courtoifie, autrement dite l'affabilité, eft du cortege des vertus fociales que l'homme eft obligé d'acquérir & de pratiquer dès qu'il eft cenfé raifonner un peu; & dès qu'il fe voit entouré d'hommes dont il doit faire effentiellement le bonheur & la confolation.

On

On appelle auffi Courtoifie cette maniere gracieufe mais fauffe, douce mais perfide avec laquelle les courtifans, les grands, les riches, & les hypocrites reçoivent communément leur monde. Ce n'eft pas de celle-là dont je veux parler; perfonne n'eft obligé de la pratiquer; elle eft entiérement contre le droit naturel, & en tout oppofée à la Courtoisie ingénue & attrayante des vrais honnêtes gens.

Il est très-difficile cependant de diftinguer aujourd'hui la vraie Courtoifie d'avec la fauffe; il y a tant d'alliage dans l'une & dans l'autre; les hommes favent fi bien prendre le mafque de tout pendant qu'ils n'ont la réalité de rien, qu'il faut attendre le réfultat des chofes pour juger de leur fincérité & de l'importance qu'ils y ont mis en effet. On s'étudie toute fa vie, du matin au foir, pour acquérir des vertus féduifantes, des qualités adorables qui ne font toujours que des vertus d'un moment & des qualités de caprice; tandis qu'en fuivant la pente douce & facile de la nature, on aura à coup fûr les graces les plus naïves, l'efprit le plus jufte & la bonne raison. On ne fait pas fans doute que le véritable efprit dont les beaux-efprits font fi vains fans le poffeder, n'eft que le fidele commentateur de la nature; & que la raifon, dont fi peu d'hommes favent faire ufage, n'eft qu'une fublimité d'intérêt qui doit fervir de bouffole à cette même nature & de bouclier à notre foibleffe.

On nous dit qu'au bon vieux temps, la Courtoifie étoit fort à la mode; c'eft-à-dire qu'alors les hommes étoient plus affables, plus finceres, plus obligeans, plus hofpitaliers qu'aujourd'hui; je n'ai pas de peine à le croire; mais cela ne m'empêche pas non plus de penfer qu'à mesure que les hom rmes d'aujourd'hui fentiront la néceffité des vertus fociales naturelles, & l'inutilité fatigante de la contrainte & de la fauffeté, ils ne fe corrigent & ne rappellent d'une voix unanime l'âge d'or & le fiecle de la cordialité.

COUTUM E, f. f.

COUTUME, ufage, habitude, font trois mots qui fe reffemblent,

quant à leur fignification, par le rapport qu'ils ont à l'uniformité de la conduite, ou à l'effet de cette uniformité qu'ils fuppofent. Mais à côté de cette idée effentielle, chacun en réveille d'autres qui lui font particulieres, & qui ne permettent pas de les employer comme fynonymes. Chacun de ces mots peut exprimer des idées relatives, ou à une fociété composée de plufieurs membres, ou à un feul individu; & le fens qu'on doit leur attacher varie felon l'un ou l'autre de ces rapports.

Relativement à la fociété, l'ufage eft l'uniformité volontaire & libre que les divers membres d'une fociété mettent dans leur maniere d'agir dans des choses, par rapport auxquelles chacun fe regarde comme maître de fuivre Tome XIV.

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fon goût. Le goût de l'imitation eft le principe qui donne lieu à l'introduction des ufages.

La Coutume ou les Coutumes défignent l'uniformité dans la maniere d'agir, à laquelle les divers membres de la fociété fe croient obligés de s'aftreindre, relativement à des chofes qui femblent intéreffer le bon ordre civil; uniformité que l'on envifage comme une regle dont on ne doit pas s'écarter, & fur laquelle les tribunaux reglent & appuient leurs fentences. Lorfque la bonté des Coutumes a été reconnue, on les a confignées dans des livres, qui tiennent lieu de code de loix, & qu'on nomme

coutumier.

C'est la longue pratique de la même chofe qui fait la Coutume; c'est l'accord de tous les membres à s'y conformer qui lui donne force de loi. Dans le ftyle des jurifconfultes, on met en parallele les us ou usages & les Coutumes: on dit les us & Coutumes d'une nation.

L'habitude ne peut que très-improprement fervir à exprimer une idée relative à une fociété; cependant quelques Auteurs s'en font fervis, pour défigner la difpofition de tous les membres d'une fociété à faire la même chofe dans tous les cas femblables, entant qu'ils agiffent ainsi, non par la penfée qu'ils y foient obligés, mais feulement parce qu'ils ont toujours agi & vu agir ainfi.

Relativement à l'individu, ces mots ont un fens différent à divers égards de celui que nous venons de développer.

L'ufage, en parlant d'une feule perfonne, défigne ce qu'elle fait ordinairement dans tel cas, par choix & par une fuite de fes réflexions, quand il s'agit de chofes indifférentes. Ainfi l'ufage eft relatif à quelque maniere d'agir de la perfonne, mais s'emploie rarement en parlant d'un individu.

L'habitude uniquement relative aux actions à faire, eft la difpofition d'un individu à faire avec facilité, & même avec plaifir une action, parce qu'il l'a faite très-fouvent. C'eft la répétition fréquente des mêmes actes qui fait naître l'habitude.

La Coutume eft moins relative aux actions à faire, qu'à la maniere de penfer, de fentir & d'être affecté, acquife par la fréquence des mêmes impreffions reçues. On peut la définir une maniere de penfer, de fentir & d'être affecté par la préfence ou l'action des objets extérieurs acquife par la fréquence des mêmes impreffions reçues. La Coutume eft relative aux qualités, foit du corps, foit de l'efprit; ainfi la Coutume fera, foit l'état de l'ame qui s'étant familiarifée avec une perception quelconque, parce qu'elle l'a eue fouvent préfente à la penfée, n'en eft plus frappée lorfqu'elle lui eft offerte, comme elle en étoit frappée auparavant; soit l'état du corps, qui pour avoir fouvent éprouvé la même impreffion phyfique, peut la recevoir enfin, fans qu'elle excite dans fes organes aucun mouvement irrégulier trop vif ou nuifible. La Coutume ne laiffe donc plus

lieu à l'étonnement, à l'admiration, à l'impatience & aux émotions trop vives de plaifir ou de douleur. Ce qui déplairoit d'abord, déplait moins ou même devient agréable. Ce qui d'abord caufoit les émotions les plus vives du plaifir, flatte moins à force d'être répété, & enfin devient prefque infipide.

On peut donc définir la Coutume une difpofition habituelle du corps ou de l'efprit, acquife par la fréquente répétition uniforme des mêmes impreffions & des mêmes perceptions; difpofition qui confifte à n'être plus affecté auffi vivement qu'on l'étoit auparavant, par la présence des objets ou par leur action fur nous.

La Coutume eft donc effentiellement une difpofition acquife, qui fuppofe une difpofition précédente, qui a été changée par la fréquence de certaines perceptions ou impreffions. La Coutume nous donne donc une difpofition que nous n'aurions pas fans elle : cette difpofition acquise eft quelquefois fi différente de celle que nous avions naturellement, par la conftitution primitive de nos qualités, que l'on a été autorisé à dire que la Coutume change la nature des êtres fenfibles, & qu'elle devient en eux une feconde nature,

Il y a par rapport à ce changement que la Coutume produit dans les êtres fenfibles, une différence frappante entre la Coutume & l'habitude: celle-ci a pour objet nos facultés c'eft-à-dire, les pouvoirs d'agir qui font en nous, au moyen defquels nous pouvons faire des actions, produire par elles des effets. La Coutume a pour objet nos qualités, c'eft-àdire, les pouvoirs d'être modifiés qui font en nous, & au moyen defquels, nous & les êtres fenfibles pouvons éprouver certaines modifications fouffrir certains effets dont la réalifation change notre état. La répétition des mêmes actes, c'eft-à-dire, l'exercice répété de nos facultés en augmente l'énergie, la force & l'étendue, leur action en devient plus facile, plus agréable, l'habitude augmente ainfi & accroît le pouvoir de nos facultés & les perfectionne.

La Coutume, au contraire, diminue nos qualités, ou la capacité que nous avons d'éprouver certains effets: ces effets avec le temps deviennent toujours moins confidérables; plus fouvent nous recevons l'impreffion qui doit les produire, & moins cette impreffion eft efficace.

Perfonne n'ignore les effets communs de la Coutume fur le corps; mais très-peu de perfonnes ont refléchi fur l'étonnante efficace de la Coutume. & fur l'étendue de fon influence pour changer notre conftitution phyfique, lorsqu'on dirigera avec art la répétition des impreffions qui font que l'on s'accoutume à une chofe. Telle propriété d'un être agiffant fur nous, caufoit dans nos organes des mouvemens irréguliers, des dérangemens, des altérations, qui d'abord excitoient en nous des douleurs infupportables & tendoient à nous détruire; mais fi l'on commence par ne laiffer éprouà l'objet que l'on veut accoutumer à une nouvelle impreffion, qu'une

ver,

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