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ne, & introduit feulement par l'usage, du confentement tacite de ceux qui s'y font foumis volontairement; lequel ufage après avoir été ainsi obfervé pendant un long efpace de temps, acquiert force de loi.

La Coutume eft donc une forte de loi; cependant elle differe de la loi proprement dite, en ce que celle-ci eft ordinairement émanée de l'autorité publique, & rédigée par écrit dans le temps qu'on la publie; au lieu que la plupart des Coutumes n'ont été formées que par le confentement des peuples & par l'usage, & n'ont été rédigées par écrit que long-temps après.

Nous avons dit, en commençant cet article, qu'il y avoit beaucoup de rapport entre ufage & Coutume; c'eft pourquoi on dit fouvent les us & Coutumes d'un pays. Cependant par le terme d'ufage on entend ordinairement ce qui n'a pas encore été rédigé par écrit; & par Coutume, un ufage qui étoit d'abord non écrit, mais qui l'a été dans la fuite.

En quelques occafions on diftingue auffi les us des Coutumes; ces us font pris alors pour les maximes générales, & les Coutumes en ce fena font oppofées aux us, & fignifient les droits des particuliers de chaque lieu, & principalement les redevances dues aux Seigneurs.

On dit auffi quelquefois les fors & Coutumes, & en ce cas le terme de Coutume fignifie ufage, & eft oppofé à celui de fors, qui fignifie les privileges des communautés, & ce qui regarde le droit public.

Les Coutumes font auffi différentes des franchises & privileges en effet, les franchises font des exemptions de certaines fervitudes perfonnelles, & les privileges font des droits attribués à des perfonnes franches, outre ceux qu'elles avoient de droit commun; tels font le droit de commune & de banlieue, l'ufage d'une forêt, l'attribution des causes à une certaine juridiction.

L'origine des Coutumes en général eft fort ancienne; tous les peuples, avant d'avoir des loix écrites, ont eu des ufages & Coutumes qui leur te

noient lieu de loix.

Les nations les mieux policées, outre leurs loix écrites, avoient des Coutumes qui formoient une autre efpece de droit non écrit ; ces Coutumes étoient même en plufieurs lieux qualifiées de loix; c'eft pourquoi on diftinguoit deux fortes de loix chez les Grecs & chez les Romains, favoir les loix écrites, & les loix non écrites les Grecs étoient partagés à ce fujet; car à Lacédémone il n'y avoit pour loi que des Coutumes non écrites; à Athenes, au contraire, on avoit foin de rédiger les loix par écrit. C'eft ce que Juftinien explique dans le titre fecond de fes inftitutes, où il dit que le droit non écrit eft celui que l'usage a autorifé; nam diuturni mores confenfu utentium comprobati legem imitantur.

Tome XIV,

Iii

De la diverfité des Coutumes & du degré d'autorité qu'elles peuvent avoir.

Qu

U'ON life l'hiftoire du genre humain, & qu'on examine avec un efprit attentif la conduite des peuples de la terre; & l'on fe convaincra, qu'excepté les devoirs néceffaires à la confervation de chaque fociété humaine, il n'eft aucun principe de morale ni aucune regle de vertu, qui, dans quelqu'endroit du monde, ne foit ou méprisée ou contredite par la pratique d'un peuple qui fe gouverne fur des principes oppofés à ceux des autres fociétés. En prenant les exemples pour la feule regle à confulter, par où diftingueroit-on les bons d'avec les mauvais? La Coutume prife pour principe autoriferoit le mal comme le bien, elle l'a fouvent autorisé chez les nations les plus polies, & il feroit abfurde de prendre pour fondement des loix naturelles, le confentement de ceux qui les violent plus fouvent qu'ils ne les obfervent.

Si nous n'examinons que les mœurs d'une feule nation, à peine y trouverons-nous un très-petit nombre d'hommes qui pensent de la même maniere, & qui, dans leur conduite, fuivent les mêmes ufages; mais quelle prodigieufe diverfité fe préfente à nous, lorfque nous venons à confidérer les différens peuples! Ils font bien plus éloignés les uns des autres par les préjugés qui les dominent que par les pays qui les féparent. Toutes les nations ont leurs mœurs, leurs Coutumes, leurs loix; & tout cela leur eft auffi particulier qu'à chaque homme l'air de fon vifage & le fon de sa

voix.

On a eu raifon de dire que l'habitude eft une feconde nature. L'éducation s'empare de l'efprit & en efface les impreffions naturelles. Telles font la plupart des Coutumes, que fi l'on ceffoit de les infinuer dans les cerveaux encore tendres des enfans, jusqu'à ce que la génération qui vit aujourd'hui fur la terre, fût entiérement éteinte, en forte que le fil de la prévention fe trouvât coupé, ces mêmes Coutumes, qui font aujourd'hui fi puiffamment établies par l'éducation, perdroient tous les avantages qui leur font donner la préférence.

La diverfité des Coutumes eft un point important qu'il eft néceffaire de bien prouver.

Minos établit la communauté des biens par voie d'autorité.

Platon établit la communauté des femmes.

Lycurgue autorifa la nudité, & fembla approuver la prostitution & l'incefte.

Solon fit des loix toutes différentes, & il permit aux Athéniens de tuer leurs propres enfans.

Quelle proportion pourroit-on trouver entre les idées d'un Lacédémonien & celles d'un Sybarite!

Plufieurs peuples ont eu la barbare Coutume d'expofer leurs enfans, pour les laiffer ou mourir de faim, ou dévorer par les bêtes farouches. Des

nations entieres ont cru qu'il leur étoit auffi permis de laiffer périr leurs enfans, que de les mettre au monde. On a vû autrefois dans la Grece & dans l'Empire Romain cette abominable Coutume fi oppofée aux devoirs naturels, auxquels les peres & les meres font obligés envers leurs enfans; & cette Coutume a duré fi long-temps, que les Empereurs Chrétiens ont eu de la peine à la déraciner (a). Dès que l'on fe fentoit trop chargé de famille, ou qu'on ne croyoit pas pouvoir nourrir les enfans qui naiffoient, on les expofoit impunément en les laiffant dans les rues, dans les bois, & en quelque lieu que l'on trouvât à propos. Ils périffoient fouvent de faim ou de froid, ou ils étoient déchirés par les bêtes fauvages. On pouvoit encore les tuer foi-même fi on le vouloit. La meilleure fortune qui pût arriver à ces victimes innocentes étoit d'être enlevés par quelque Proxenete ou par quelque marchand d'efclaves, qui ne les élevoient que pour les vendre ou pour les proftituer. Aujourd'hui même, cette Coutume barbare n'eft-elle pas encore pratiquée à la Chine, dans cet Empire qu'on nous représente comme fi bien policé!

Les Romains, dont je viens de parler, regardoient chaque famille comme une petite République ; & les peres de famille, comme le Magiftrat particulier de cette petite République (b). Ils avoient raison fans doute; mais ils ufoient de leur autorité en tyrans, & ufurpoient celle du Magiftrat fuprême. Ils comptoient parmi leurs droits celui d'ôter la vie à leurs efclaves & à leurs propres enfans. Au mépris de la raison, un pere pouvoit exposer ou tuer même fes enfans qui ne faifoient que de naître, comme je viens de le dire. Il pouvoit les faire mourir ou les vendre comme esclaves; & le feul adouciffement de cette loi barbare, étoit qu'un fils trois fois vendu par fon pere, étoit fouftrait à la puiffance paternelle (c).

Privés du droit de vie & de mort fur leurs enfans (d), les Romains l'avoient confervé fur leurs efclaves. Pourroit-on n'être pas indigné de l'usage barbare qu'ils en faifoient! Vedius Pollio, Chevalier Romain, avoit raffemblé à fa maifon de campagne, dans des lacs dérivés exprès de la mer, une quantité prodigieufe de murenes (e) qu'il ne nourriffoit guere que de

(a) Voyez le Julius-Paulus de Noodt où il a épuifé cette matiere.

(b) Majores noftri domum noftram pufillam effe Rempublicam judicaverunt. Senec. Ep. XLVII. Quia utile eft juventuti regi, impofuimus & quafi domefticos magiftratus. Senec.

(c) Patrei endo filium qui ex fe & matrefamilias natus eft, vitai necifque poteftas eftod, ter que im venundarier jous eftod. Sei pater filium venunduit, filius à patre liber eftod. Leg. XII. Tab.

(d) Jufte-Lipfe, Cent. I. ad Belgas, Ep. LXXXV, a cru, contre l'opinion commune, que ce n'étoit pas du temps des Jurifconfultes dont on trouve les fragmens danses Pandectes, que l'ufage d'expofer & de tuer impunément les enfans avoit été aboli, mais feulement par une Conftitution des Empereurs Valentinien, Valens & Gratien; & ce fentiment a été folidement établi par un Livre fait par Noodt, Profeffeur à Leyde, imprimé in-quarto à Leyde, chez Vander-Lynden, fous ce titre : De partús expofitione & nece apud veteres, liber fingularis.

(e) Efpece particuliere de poiffons qui faifoit les délices des Romains.

chair humaine, pour les engraiffer & pour leur donner un goût plus exquis. A la moindre faute que fes efclaves commettoient, ce mauvais maître les condamnoit à être jettés dans fes viviers. On raconte qu'un jour, dans un feftin que cet homme cruel donnoit à fa campagne à Augufte, un de ses efclaves qui fervoit au buffet, caffa un verre de crystal. C'étoit alors un meuble rare & précieux. L'esclave qui fe crut perdu, fe jetta auffi-tôt aux pieds d'Augufte, pour obtenir grace par fon entremife. L'Empereur intercéda pour lui, mais le malheureux fut condamné fans miféricorde. Il touchoit au moment de devenir la proie des murenes, lorfque l'Empereur prononça un Arrêt d'affranchiffement en faveur de l'efclave. C'eft l'Empereur Adrien qui ôta aux maîtres le droit de vie & de mort, dont on avoit précédemment dépouillé les peres.

A la honte de l'humanité & de la Nation Romaine en particulier, des victimes humaines étoient immolées à Rome, & ces facrifices abominables y furent en ufage par autorité, jufqu'à ce qu'un Senatus-Confulte les défendit (a). Cette défense même ne fuffit pas pour les abolir. Dion (b) nous apprend que Céfar en renouvella l'exemple; & Pline (c) rapporte que le fiecle où il vivoit avoit encore été témoin plus d'une fois de ces

horreurs.

Ces mêmes Romains fe faifoient un jeu cruel de voir les combats des Gladiateurs, c'est-à-dire, de voir des hommes s'entr'égorger & être déchirés par des bêtes.

Parmi nos anciens Gaulois, les maris & les peres avoient auffi droit de vie & de mort fur leurs femmes & fur leurs enfans (d); & ce ne fut qu'à mefure que la Nation se poliça, que cette coutume barbare fit place à des ufages plus conformes à la raifon & à la religion. Pourroit-on croire que des hommes accoutumés à fe jouer de la nature humaine, dans la perfonne de leurs femmes, de leurs enfans, & de leurs efclaves, connuffent beaucoup ce que nous appellons humanité? Et d'où pourroit venir cette férocité que nous trouvons dans les habitans de nos Colonies, que de cet usage continuel des châtimens fur une malheureuse partie du genre humain? La loi naturelle agit-elle bien puiffamment fur le cœur des hommes qui font cruels dans l'état civil!

On rapporte (dit Porphyre) que les Maffagetes & les Derbiens regardent comme très-malheureux ceux de leurs parens qui meurent d'une mort

(a) L'an de Rome 655, 97 ans avant J. C. fous les Confuls Cn. Cornelius-Lentulus, P. Licinius-Craffus.

(b) Dio. L. XLIII.

(c) Plin. XXXIII. 1.

(d) Hiftoire générale du Languedoc par Devic & Vaiflette, Bénédictins de la Congréga tion de Saint Maur; Hift. Litt, de France, par des Bénédictins de la Congrégation de Saint Maur, 1733.

naturelle; & pour prévenir ce malheur, lorfque leurs meilleurs amis deviennent vieux, ils les tuent & les mangent. Les Tibareniens précipitent ceux qui font prêts d'entrer dans la vieilleffe. Les Hircaniens & les Cafpiens les expofent aux oifeaux & aux chiens; les Hircaniens n'attendent pas même qu'ils foient morts; mais les Cafpiens leur laiffent rendre le dernier foupir. Les Scythes les enterrent vivans, & ils égorgent fur le bûcher ceux que les morts ont aimé davantage. Les Bactriens jettent aux chiens les vieillards vivans. Strafanor, qu'Alexandre avoit nommé Gouverneur de cette Province, fut fur le point de perdre fon Gouvernement, parce qu'il voulut abolir cette coutume (a).

Les Perfes époufoient leurs meres & leurs filles (b).

Les Egyptiens époufoient leurs fœurs & même leurs meres.

Parmi les Parthes, leurs Princes, de la race des Arfacides, ne comptoient pas avoir un droit légitime au trône, s'ils n'étoient nés de l'incefte d'une mere avec fon fils.

Les Scythes mangeoient de la chair humaine. Les Américains en vendoient & en étaloient (c). Les Bréfiliens ne se nourriffoient pas de toute chair humaine indifféremment, ils méprifoient la brutalité des autres Antropophages; ils s'abstenoient de manger leurs ennemis, & donnoient la préférence à leurs amis, à leurs parens, ou au moins à leurs compatriotes, pour les préserver de la corruption & des vers (d). En Tauride, c'étoit une action pleine de piété envers les Dieux, que de facrifier les étrangers à Diane (e). Les Gétuliens (f) & les Bactriens, permettoient à leurs femmes, par urbanité pour les étrangers, d'avoir commerce avec eux.

Les femmes des anciens Bretons étoient communes à dix ou douze familles (g).

Les Thraces (h) n'imaginoient aucun bonheur dans la condition humaine, de forte qu'à la naiffance de leurs enfans, ils affembloient leurs parens & leurs amis pour faire des gémiffemens en commun fur les miferes où le nouveau né alloit être expofé dans le monde, au lieu qu'à la mort de leurs proches, ils faifoient une autre affemblée, pour donner unanimement des marques de réjouiffances, en voyant ceux à qui ils prenoient intérêt, délivrés des miferes de la vie.

Les femmes Indiennes fe jettent dans le même bûcher qui confume

leurs maris.

(a) Porphyre, Traité de l'abstinence de la chair des animaux, Liv. IV.

(b) Eufeb. Præparat. Evan. Lib. I. p. 8, 9 édit.

(c) Atlas hiftorique, Tom. VI, Differtation fur le Congo.

(d) Dialog. d'Orat. Tuber. dans le banquet.

(e) Sextus Empyricus Pyrrhoniar. hypotyp. Lib. 1, Cap. XIV.

(f) Eufeb. Praparat. Evang. Lib. VI, Cap. VIIK

(g) Rapin, Hift. d'Angleterre.

(h) Au rapport d'Hérodote & de Strabon.

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