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verticalement dans le four, à l'orifice du trou destiné à donner issue au goudron, et cela à l'aide de la gouttière, une longue perche en bois de pin qui n'ait point encore donné de résine. Cette perche étant placée, on élève autour un premier plancher de bois résineux, en inclinant l'extrémité inférieure des bûches vers le bas de la perche; sur ce lit de bois on en construit un deuxième, d'un diamètre moins grand, et ainsi de suite, de manière à obtenir un tas de bois ayant la forme d'un cône. Lorsque le bois est ainsi entassé, on retire la perche, on laisse quelques jours le bois se rasseoir avant de chaperonner le cône; cette suspension de temps est nécessaire, car si le bûcher s'affaissait après le chaperonnage du cône, il en résulterait des crevasses par lesquelles l'air s'introduirait, ce qui donnerait lieu à une combustion rapide et à la perte du goudron; l'opération serait alors manquée.

Lorsque le bûcher est resté assez long-temps pour que le bois ait pu se tasser, on procède au chaperonnage, qui se fait de la manière suivante: on étend sur le bûcher des copeaux provenant de la préparation des bois ou des incisions faites aux pins que l'on résine. Lorsque le bois en est entièrement recouvert, on y jette encore des feuilles sèches, et quelquefois de la paille; puis on recouvre le tout avec des carrés et mottes de terre, de gazon de marais, que les résiniers nomment gazes. On laisse dans le pourtour et près de l'aire de petits intervalles non fer

més par les gazons; ces intervalles sont destinés à allumer dans

ces endroits, si le feu avait besoin d'être activé.

Lorsque le chaperonnage est terminé, on laisse en repos pendant vingt-quatre heures, afin que les gazons aient le temps de se consolider, puis on met le feu au bûcher par cinq ou six ouvertures différentes.

Dès que le feu est mis au bûcher, il faut avoir le plus grand soin de le régulariser; à cet effet, on réunit autour du cône huit à dix hommes armés de pelles, pioches et perches, et qui doivent remédier aux accidents qui se manifesteraient, c'est-à-dire qui bouchent les crevasses dès qu'il s'en forme, enfin qui prennent toutes les précautions convenables pour que la combustion s'opère lentement.

Dès que la combustion est uniforme, et qu'elle a pris un cours

régulier, les ouvriers abandonnent le bûcher, à l'exception d'un seul, le dépasseur, qui, assisté d'un aide, suffit pour con⚫ duire l'opération à sa fin. Il est cependant nécessaire que l'ouvrier qui reste ait de la pratique, la conduite du feu exigeant de l'expérience pour que l'opération ait de bons résultats. En effet, on a remarqué qu'un feu trop vif donnait lieu à la décomposition d'une partie du goudron et à sa carbonisation, tandis qu'un feu trop lent était cause qu'une partie de la résine restait engagée dans le bois; qu'il y avait carbonisation incomplète de ce dernier; qu'enfin le goudron obtenu contenait une quantité d'eau que ne doit pas contenir le goudron de bonne qualité.

Le dépasseur doit aussi savoir reconnaître le point où en est la distillation. A cet effet, dans le cours de l'opération, vers le troisième jour, il ouvre la gouttière pour reconnaître où en est le goudron, et s'il voit que la matière coule grasse et rousse, c'est un indice qu'elle n'est point assez cuite : il referme le conduit; au bout de dix à douze heures, il recommence la même épreuve, et lorsque le goudron présente les caractères qui indiquent qu'il est arrivé au point convenable, il le laisse couler, puis il referme la gouttière, afin de ne pas donner passage à l'air (1), il l'ouvre ensuite plus tard et à plusieurs reprises, pour recueillir tout le goudron condensé.

L'opération dure ordinairement cinq jours, et ce n'est guère que le troisième jour, après soixante ou soixante-douze heures de feu, que l'on ouvre la première fois la rigole pour examiner le goudron, et pour le recueillir lorsqu'il est cuit; pendant cet espace de cinq jours, le dépasseur doit avoir l'attention : 1o de frapper assez légèrement avec une lance de bois sur le chaperonnage, à mesure que le bois se consume et que la charge du four s'affaisse, pour qu'il ne reste pas un trop grand espace vide, ce qui alors procurerait au feu trop d'activité; 2o de remédier à toutes les fissures qui peuvent se produire; 3° de conduire le feu, soit en pratiquant des ouvertures sur tel ou tel point, soit en fermant les ouvertures pratiquées, si le besoin s'en fait

sentir.

(1) On a proposé de régler l'écoulement du goudron à l'aide d'un tube qui, plongeant dans le goudron lui-même, permettrait au liquide de s'écouler continuellement, sans qu'il y ait accès d'air,

Pendant l'espace de soixante à soixante-douze heures, une portion du goudron reste sur l'aire du four, mais, selon le dire des ouvriers, le séjour de cette matière dans cette partie du four est nécessaire pour obtenir du goudron bien cuit et ayant la perfection désirable. Cependant le goudron qu'on obtient dans les différentes époques de l'opération n'est pas de même qualité; ainsi celui qui découle en premier lieu est le plus gras, le moins cuit, et considéré comme le moins bon; celui qui découle ensuite est meilleur; enfin, celui qu'on obtient en dernier lieu est maigre, en partie brûlé et par trop liquide. Pour obtenir une bonne sorte, nous disait un dépasseur, il faudrait avoir un réservoir assez grand pour mêler toutes les venues, et n'en faire qu'une seule.

Le goudron de bonne qualité possède les caractères suivants : il est de couleur jaune d'or, liquide, visqueux, doux au toucher, et conservant long-temps de la mollesse. Un mode d'essai commercial de ce produit consiste à présenter à l'ouverture de la bonde d'une barrique pleine de goudron une baguette de bois de la grosseur d'une baguette de fusil, et longue d'un mètre. Cette baguette doit par son propre poids descendre lentement dans ce liquide, qui ne doit présenter qu'une légère résistance; lorsqu'on retire ensuite cette baguette, elle doit avoir tout au plus doublé de volume, par le goudron qui s'y est attaché, et, au bout de deux ou trois minutes, le goudron doit s'en être entièrement séparé.

Le bois employé dans les Landes de Bordeaux pour obtenir le goudron provient des pins qui ne donnent plus que des produits résineux médiocres et en petite quantité. On abat ces arbres du 15 septembre au 1er novembre; on les coupe à douze pieds environ des racines; ce billon de douze pieds est la seule partie de l'arbre qui soit employée à faire du goudron (1) (les autres parties étant employées à faire des planches, des bordages, etc.); elle est laissée sur le sol pendant tout l'hiver. Au printemps, ces billons sont de nouveau sciés en deux parties,

(1) La partie du tronc qui est restée en terre, et qui touche aux racines, donne, dit-on, le meilleur goudron; mais il faut que ces souches, avant d'être brûlées, restent en terre pendant trois ou quatre ans, afin que l'aubier qui entoure les parties ligneuses du bois soit détruit,

et fendus en huit morceaux ou bûches; ces bûches sont ensuite placées en faisceaux, de manière à ce qu'elles puissent pendant tout l'été être exposées à un courant d'air qui les dessèche; all mois de septembre, époque de la distillation ou du dépassage, ces bûches sont encore sciées en deux dans leur longueur, et fendues de manière à ce que les bûchettes n'aient plus qu'un pouce d'épaisseur environ; ainsi fendues, elles finissent de sécher pendant le temps qu'exige le fendage et le transport près des lieux où les fours sont établis.

Un four ordinaire donne environ 15 barriques de goudron du poids de 150 kilog. chaque, et de 220 à 240 hectolitres de charbon; il faut pour le charger 45 charrettes de bois, ou 22,000 pesant de bois.

Comme nous l'avons déjà dit, dans d'autres lieux les appareils employés sont différents de l'appareil mis en usage dans les Landes de Bordeaux. Dans le Valais, on fait usage du four suivant.

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Pour préparer le goudron, ce four se compose d'une maçonnerie en briques A, d'une cavité elliptique où s'opère la distillation B, d'une grille en fer C, d'ouvraux ou évents pour donner de l'air D, d'un conduit par lequel s'écoulent les produits E, d'une maçonnerie qui supporte un couvercle destiné à fermer le four F, enfin d'un récipient G.

On opère avec ce four de la manière suivante: on dis

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pose sur la grille les bûchettes de pin (1), et on remplit toute la

(1) En Suède, on se sert du bois du pinus silvestris ; dans la Caroline du Nord, du bois du pinus palustris; en Amérique et en France, on se sert en grande partie du bois du pinus maritima.

capacité A de l'appareil; on recouvre la partie supérieure avec des pailles chargées de goudron, et des copeaux de pin auxquels on met le feu; dès qu'il est bien allumé, et que la température convenable s'est propagée dans toute la masse, on élève une maçonnerie cimentée avec du mortier; on pose le couvercle, et la distillation commence bientôt; les produits se rassemblent sous la grille, déposant dans la partie inférieure de la cavité elliptique les corps étrangers qu'ils ont entraînés, et, parvenus à la hauteur du conduit, ils coulent à l'extérieur, où ils sont reçus dans le récipient G, qui se trouve à l'extérieur, à l'aide d'un tuyau qui peut être fermé ou ouvert à volonté.

On emploie en Allemagne un cylindre en tôle, muni à la partie inférieure d'une gouttière, et fermé hermétiquement par le haut; après avoir chargé ce cylindre, qui se trouve placé au milieu d'un autre cylindre construit en maçonnerie, on fait le feu entre les deux cylindres; en réglant convenablement la chaleur, on perd très peu de goudron; on recueille au commencement de l'opération un liquide résineux qui a été appelé bile de goudron. Cette matière, laissée en repos, offre à sa surface un liquide peu coloré, qui donné par sa distillation avec l'eau une espèce d'huile de térébenthine infecte, qui dépose dans le vase distillatoire un résidu analogue à la poix blanche ; on obtient ensuite du goudron.

M. Streignarts, curé de Reppel, arrondissement de Ruremonde, fit connaître, en 1818, au roi des Pays-Bas, qu'il avait construit un nouvel appareil pour la fabrication du goudron avec le bois du pinus larix, demandant que son fourneau fût examiné par une commission, qui fut d'avis que l'appareil de M. Streignarts était avantageux. De ce qui a été publié sur ce sujet dans les Annales belges, IVe livr. 1824, p. 25, il résulte que l'appareil de cet ecclésiastique est un appareil distillatoire (1) qui fournissait d'abord un liquide aqueux, clair et jaunâtre, puis un liquide d'une couleur plus foncée, enfin du goudron; mais ce goudron contenant de l'humidité, il fallait l'ex

(1) Ce mode d'opérer par distillation n'est pas nouveau; avant 1790, le prince de Nassau l'avait mis en usage à Sarbruck pour la distillation du charbon de terre.

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