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ment, obstacle.-S. M. B. réserve cependant à « ses sujets le droit de faire le commerce dans les << ports de l'île de Saint-Domingue qui ne seraient «ni attaqués ni occupés par les autorités fran

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çaises. » Cette communication fut un coup inattendu pour le baron Malouet, dont la haute intelligence dut y lire la destinée future des efforts que tenterait la France pour rentrer en possession de son ancienne colonie. Nous croyons ne pas nous laisser aller à des longueurs inutiles, en reproduisant ici une partie de sa réponse à la notification qui lui était faite. Le 12 juillet, c'est-à-dire, au moment où partait la mission de Lavaysse et de Medina, dont nous allons parler, ce ministre écrivait à son collègue: « J'ai lu avec autant de peine que de surprise l'article « secret du traité de paix, relatif à Saint-Domingue, << que V. A. m'a communiqué par sa lettre du 8. << Tout occupé en ce moment de faire rentrer cette importante colonie sous l'obéissance de S. M., et «< d'assurer à la France les immenses avantages de << sa possession, sans être obligé, pour y parvenir, <«< de recourir à l'emploi des forces majeures, je << rencontre une difficulté de plus, et tout à fait imprévue, alors que j'en avais déjà bon nombre,

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« et de très-grandes à surmonter. Je dis tout à fait «< imprévue en effet, cet article est tellement en <«< contradiction avec l'article 8 du traité rendu public, que je ne puis concevoir qu'il ait été pro<< posé et consenti; et dans l'ignorance où je suis << des motifs qui ont pu faire passer par-dessus cette «< contradiction, je demeure frappé de ceux qui au«< raient dû la prévenir 1. » Le ministre déduisait ensuite toutes les conséquences qui dans son esprit se rattachaient à cette malheureuse stipulation. Nous ne donnerons pas ici la réponse de M. de Talleyrand aux logiques démonstrations de son collègue. Nous dirons seulement qu'elle nous a semblé peu digne de la réputation de profondeur qu'a laissée cet homme d'État. Après s'être rejeté sur la nécessité, il arrive à présenter comme un palliatif sérieux des inconvénients qu'on lui signale, l'assurance qui lui a été donnée par le plénipotentiaire anglais « qu'il suffirait qu'il y eût dans un port de Saint-Domingue un seul commissaire français, << ne s'y trouvât-il avec lui aucune force militaire,

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'Lettre du baron Malouet, ministre de la marine et des colonies, au prince de Talleyrand, ministre des affaires étrangères. ( Papiers du département de la marine.)

« pour que ce port fût considéré comme occupé << par nous, et que le commerce y fût interdit aux sujets anglais'. »

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Voilà ce qui n'avait pas été dit jusqu'ici, que nous sachions, et voilà ce qui vaut la peine d'être un peu étudié. On comprend d'abord quelle situation ressortait pour la France, au point de vue économique, de ces stipulations que M. Malouet appelait avec raison contradictoires. Tandis que, d'un côté, poussant jusqu'à l'exagération les conséquences du principe qu'elle faisait ressortir du traité de 1814, la France croyait donner une sorte de consécration aux droits qu'elle s'était réservés, en ouvrant ses ports aux produits de sa colonie révoltée; en les maintenant sous le bénéfice du privilége colonial, comme ceux des possessions fidèles de la Martinique et de la Guadeloupe, blessant ainsi à la fois l'équité et la raison : le pavillon français se baissait honteusement aux atterrages de SaintDomingue, et ceux de nos produits qu'importaient les bâtiments étrangers étaient frappés des plus ruineuses surtaxes.

Au point de vue politique, au

Lettre du prince de Bénévent au baron Malouet, ministre de la marine et des colonies, du 19 juillet 1814. (Papiers du département de la marine.)

point de vue de la reprise de possession, on comprend toutes les conséquences de la convention secrète. La France créait un obstacle redoutable à ses efforts; elle allait se trouver en face de cet antagonisme implacable qui ne se lasse jamais, et pour lequel tous les moyens sont bons: elle allait avoir affaire à l'intérêt commercial de la Grande-Bretagne. Ajoutons que, quant aux puissances qui n'étaient pas parties contractantes au traité de Paris, et avec lesquelles il n'avait été, par conséquent, possible de rien stipuler, on ne pouvait s'empêcher de les admettre au bénéfice des relations qu'elles avaient depuis longtemps établies, et qu'elles voyaient maintenir à l'Angleterre, sans qu'on pût leur en notifier la cause. Ce n'était donc pas seulement l'Angleterre, c'étaient encore les États-Unis, dont les intérêts allaient faire échec à nos efforts.

L'empire ne s'était que peu occupé de SaintDomingue. Les tendances de la France étaient alors toutes continentales. D'ailleurs, le gouvernement impérial touchait de trop près au consulat, pour qu'il pût aborder une négociation avec quelque chance de succès. De l'expédition du général Le

clerc aux événements de 1814, la colonie révoltée était restée dans l'oubli. Le cabinet qui prit les affaires au retour des Bourbons se trouva placé dans un dénûment complet de tout document sérieux sur les ressources et la situation morale du pays. C'est là ce qui explique le caractère particulier et les fâcheuses conséquences de la première mission à Saint-Domingue celle des agents Dauxion-Lavaysse, Medina et Draveman.

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Dauxion-Lavaysse était le chef de cette agence, comme on disait alors. Ancien conventionnel, ancien soldat de Murat, auteur de plusieurs projets de colonisation qui n'étaient pas sans portée, c'était un de ces aventuriers intelligents et hardis, comme on en rencontre beaucoup dans la diplomatie britannique et trop peu dans la nôtre. - Franco de Medina, qui devait payer de sa vie son dévouement à la France, appartenait à une de ces nobles familles de la partie espagnole qui, une fois ralliées aux conséquences du traité de Bâle, portèrent jusqu'à l'exaltation leur amour de leur nouvelle patrie. Après avoir valeureusement servi dans la colonie, sous les généraux Ferrand et Kerverseau, il avait fait une partie des campagnes de l'empire, et avait

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