Page images
PDF
EPUB

l'effervescence des idées libérales et les erreurs de l'économie politique tendaient toutes les sympathies vers l'affranchissement du monde colonial. Des publicistes battant des mains aux déchirements qui rompaient la tutelle de l'Europe sur le continent nouveau, et des économistes qui, dans ces bouleversements, voyaient luire une ère nouvelle pour la richesse publique, ne pouvaient apprécier froidement les faits et juger équitablement les hommes. Avec eux le vainqueur eut toujours raison, parce que le vaincu fut toujours la métropole. Cette tendance des esprits, si marquée à l'époque dont nous parlons, et à laquelle les faits ont depuis prodigué leur brutale controverse, ne se fait nulle part plus fâcheusement sentir que dans les nombreuses relations des événements de la révolution haïtienne. L'esprit impartial qui veut la vérité, la saisit avec peine entre ces récits passionnés où l'écrivain oublie sa nationalité pour n'obéir qu'à sa sympathie, et ces pages multipliées où le colon proscrit a déposé l'amertume de ses regrets et les rêves de son infortune.

Nous qui arrivons tardivement, et qui sommes historien au moins par l'indifférence de notre époque, nous chercherons à marcher entre ces deux

écueils, et à faire sortir de ce passé si désastreux quelque enseignement pour l'avenir.

« Aucune réunion sociale, » dit le général P. Lacroix, qui assistait aux efforts précurseurs de l'indépendance; «< aucune réunion sociale, en se cons<«<tituant en gouvernement, n'a eu les ressources << premières d'Haïti : tout existait, il n'y avait rien « à créer; il ne s'agissait que de prendre... >>

Voyons, sinon comment on a pris, du moins quel parti a été tiré de ce qu'on a pris. Remontons, pour procéder avec quelque ensemble, aux tentatives que fit le premier émancipateur de la race noire pour maintenir le travail, cette glèbe qui vient de Dieu, et sans laquelle il n'est pas de société, au milieu des terribles déchirements de la guerre servile.

Le plus ancien règlement du travail libre publié à Saint-Domingue remonte au 20 février 1794, année qui suivit l'émancipation générale improvisée par Sonthonax. L'initiative en est due au commissaire Polverel, qui administrait la partie de l'Ouest. D'après le colonel Malenfant, qui s'est particulièrement occupé de cette question, les prévisions et les prescriptions de ce code destiné à régir des hommes primitifs, étaient si multipliées et si peu claires, qu'il fut bientôt discrédité dans l'esprit des noirs et frappé

d'une désuétude hâtive. L'œuvre du premier législateur du travail libre fut accueillie par les rires et les quolibets de ses nouveaux justiciables: Commissai Palverel, li béte trop, li pas connait ayen, disaient-ils en riant des peines que se donnait le commissaire de la république pour les légiférer. En 1798, lors de sa passagère intervention dans les affaires de la colonie, qui marchait alors ouvertement à la scission d'avec la métropole, le général Hédouville publia un règlement qui avait été préparé en France sur celui de Polverel, et qui n'en était guère que la simplification et l'abrégé. En 1802, durant l'ère de courte tranquillité qui suivit la conquête, Leclerc étendit sur le travail les louables efforts qu'il fit pour la réorganisation du pays. Le règlement du Directoire fut en partie remis en vigueur; les chefs noirs incorporés à l'armée française furent habilement employés pour ramener les ateliers sur les habitations, et le pays revenait à l'espoir de voir renaître une partie de sa prospérité passée, lorsque la fièvre jaune, ce fléau dont nous avons dit les ravages, vint de nouveau provoquer à la révolte, et répandre la perturbation et le désordre.

Ces différents actes constituent comme un tout à part dans la législation du travail à Saint-Domingue.

On peut les considérer comme la frappante image du pouvoir purement nominal de la métropole sur la colonie. A côté de ces textes officiels se dresse, sous la figure des Toussaint et des Dessalines, la glose vivante qui les modifie, les abroge ou les applique.

On lit à la page 194 du rapport de M. le duc de Broglie, président de la commission des affaires coloniales: « Il m'est impossible' de vous <<< envoyer les divers règlements qu'aurait publiés << Toussaint-Louverture. A l'exception de l'arrêté du général Hédouville, du 6 thermidor, je n'en ai << trouvé aucun à Haïti. Je me suis souvent entretenu « à ce sujet, soit avec ceux des officiers de Toussaint « qui vivent encore, soit avec les hommes qu'il a principalement employés à surveiller les cultures; «< car il en est parmi ces derniers que j'ai été assez << heureux pour rencontrer. Il semble, d'après leur <«< déclaration, qu'il n'a jamais existé de code, de <«< recueil systématique imprimé sur cette matière. << Toussaint donnait simplement des instructions à ses <«< inspecteurs; ceux-ci agissaient en conséquence... »

[ocr errors]

'C'est le consul Ch. Mackensie, envoyé par le gouvernement britannique pour recueillir des informations sur le travail libre à Saint-Domingue, qui parle.

Nous croyons que M. Mackensie a mal dirigé ses recherches, et qu'il a entraîné l'honorable rapporteur de la commission des affaires coloniales dans une induction peu exacte. Pour nous, il demeure évident qu'il a existé un ensemble de prescriptions émanées de Toussaint-Louverture touchant l'organisation du travail agricole; il demeure de plus évident que ce code du travail libre, formulé par un noir, a reçu les honneurs de l'impression. Si nous n'avons pas retrouvé le texte de ce document, qui n'existe pas au département de la marine, nous en avons trouvé au moins une critique assez détaillée qui en constate l'existence en même temps qu'elle fait implicitement connaître son esprit. Le général Kerverseau, auquel nous avons vu jouer un rôle important dans les événements de Saint-Domingue, s'exprime ainsi, dans un mémoire adressé au ministre de la marine, sur les événements qui précédèrent immédiatement la prise de possession de la partie espagnole par le dictateur noir: «Un bâtiment arrivé de Dieppe ap

[ocr errors]

prit que l'on s'occupait en France des règlements <<< relatifs à la colonie : Toussaint ne voulut pas se «< laisser prévenir, et, le 22 vendémiaire, parut un << nouveau code de police rurale dont les dispositions, «< fondées sur une apparence de justice, étaient im

« PreviousContinue »