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comme ces grands fleuves dont l'embouchure ressemble à un océan. Les principales sont, celle que Colomba si justement appelée Royale; celle de Neybo, que traverse une rivière navigable, et qui, au dire de Moreau de Saint-Méry, pourrait contenir cent cinquante sucreries; celle d'Azua, qui offre une superficie de près de 80 lieues carrées; celle de SanRaphaël, dont les gras pâturages, élevés à cinq cents toises au-dessus du niveau de la mer, approvisionnaient de bestiaux presque toute la partie française; celle de Santo-Domingo, qui entoure la capitale; celle de la Jayna, qui, aux temps prospères de la première colonisation, rapportait plus à la métropole que la province entière n'a depuis rapporté;... et tant d'autres, dont l'étendue égale seule la fécondité.

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Ce sol est propre à toutes ces riches cultures qui rendent les colonies intertropicales si précieuses à leur métropole. L'étendue de sa surface et la variété de ses zones permettent d'offrir les ressources de l'assolement à ces plantes délicates qui, après avoir précédé la canne dans les petites Antilles, ont été comme étouffées par elle dans les limites trop resserrées de leur territoire. Tandis que dans les îles du Vent les arbres à épices ne sont plus que l'ornement de

quelques jardins; que l'indigotier végète çà et là, à l'état sauvage; que le cacaoyer suffit à peine à la consommation locale; que le cotonnier a presque entièrement disparu; enfin, que le cafier disparaît chaque jour, ainsi que nous le verrons tout à l'heure; le voyageur qui traverse la partie orientale de Saint-Domingue est arrêté dans sa marche par les pousses vigoureuses et désordonnées de ces arbustes, qui se dressent comme des futaies sous l'action puissante d'une terre redevenue vierge.

Nous avons à peine besoin de parler de ces bois d'ébénisterie dont les essences si nombreuses et si belles défraient, depuis quarante ans, le luxe du monde entier, en suffisant à toutes les fantaisies de la mode. Disons cependant que c'est de la partie espagnole que sortent les coupes les plus riches et les plus recherchées de l'ouvrier européen. Aucun canton de l'île ne fournit un bois égal aux billes striées de l'acajou d'Azua, pas plus qu'aucune forêt n'égale celle d'Yuna pour la magnificence de ses cèdres et de ses ébéniers.

Ce n'est pas seulement par les sortes propres aux fins ouvrages d'ameublement que se recommande cette terre privilégiée; elle abonde en celles qu'exige la grande construction navale. Nous croyons ne

pouvoir mieux faire sous ce rapport que de reproduire, malgré son étendue, une note adressée au gouvernement par un homme intelligent qui avait exploré soigneusement le pays. C'est là un sujet dont personne en France ne voudrait détourner les yeux. Et, disons-le, la note du citoyen Lyonnet, quoique remontant au moins à 1794, semble, sous bien des rapports, avoir été écrite d'hier.

<< Au citoyen ministre de la marine :

<«< Dans un moment où la pénurie des bois de construction se fait sentir sur toute l'étendue de la France, où les amis de la marine nationale considèrent avec douleur la dévastation qui a eu lieu par des exploitations ordonnées sans calcul, le gouvernement ne verra pas sans un vif intérêt les ressources que nous offre la partie ci-devant espagnole.

Elle offre des bois dans la plus grande abondance et dans la plus grande variété sur toute sa surface; et l'extraction en sera d'autant plus facile que la plupart des rivières sont navigables ou susceptibles de le devenir.

« Je ne récapitulerai pas la nomenclature des diverses espèces de bois que l'on y voit; je me contenterai de dire qu'elle possède tous ceux des Antilles, et même le cèdre de l'île de Cuba. C'est surtout en acajou qu'elle abonde, et l'on en compte de cinq à six sortes. L'acajou franc est aussi utile à la construction que le moucheté l'est au luxe de nos maisons. Le plus beau du monde enrichit le territoire d'Azua. On tirera parti du chêne, de l'acomat, du bois marie, du laurier, du gayac, et surtout du pin.

« Le pin s'y trouve d'une qualité admirable, et pourra s'employer sous plusieurs rapports après un dégraissage préalable. Ce dégraissage s'opérera d'une manière très-productive. Un an avant de commencer l'abatage, on aura soin de faire en février une forte entaille au pied de l'arbre. De là découlera une résine précieuse que l'on réduira en pains. Un seul homme peut suffire à soigner deux mille arbres. Au lieu de tirer des États-Unis le goudron nécessaire aux ports de la colonie, on l'approvisionnera des débris de l'abatage et des arbres morts. Alors il faudra suivre la marche qui a été indiquée par le comité de salut public dans le journal des arts, et construire des fours à la façon valaisane. Tout le

monde sait qu'au commencement des découvertes, on construisait des navires à Saint-Domingue. Le procès qui eut lieu entre Séville et Cadix, lequel se termina à l'avantage de cette dernière place, prit son origine d'un bâtiment fabriqué en Amérique. Tout récemment encore, on a construit et mâté plusieurs navires sans aucun secours étranger. De ce nombre était la dernière goëlette arrivée à Bordeaux.

« Le gayac que réclament nos ports pour poulies. croît à Saint-Domingue avec profusion. Les Américains l'enlevaient avec tant d'avidite, que le citoyen Roume prit un arrêté pour en défendre la coupe. J'ose assurer que l'on peut en charger aisément cent bâtiments par an, à très-peu de frais.

<< Comme une partie des bois tels que le campèche, le bois jaune et autres utiles aux teinturiers et aux ébénistes, ne sauraient entrer dans la ligne de ceux que demande la marine, on n'en négligera pas pour cela l'exploitation, surtout si elle peut s'accorder avec celle des arbres nécessaires, parce que le commerce s'en saisira, et que le produit bien administré couvrira aux trois quarts les dépenses à faire pour le service maritime et pour l'approvisionnement des ports.

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