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tiques. Il est dès lors facile d'imaginer ce qu'a dû être et ce qu'est encore cette situation pour un pays attaché durant vingt-deux ans, comme à un cadavre, au déplorable gouvernement de Boyer. L'Est, en secouant la poussière de l'Ouest, s'est trouvé privé de tout, même de ces ressources factices qu'avait su inventer le génie financier du Port-au-Prince, et que nous avons appréciées ailleurs. De plus, les bonnes, les véritables ressources d'un pays, celles que donne le sol, et qui lui étaient si précieuses, la guerre de l'indépendance les lui avait enlevées précisément au moment le plus critique. Les troupes d'Hérard et de Pierrot n'avaient eu d'autres approvisionnements que la maraude régularisée. Et lorsque arrivèrent la déroute et la retraite, le feu dévora ce que le soldat n'avait pas ravagé.

Le président Santana trouva donc les caisses vides, et le contribuable sans argent. Ce fut alors qu'il fit, pour obtenir du gouvernement français l'avance d'une somme de 500,000 fr., des efforts dont l'inanité est une trop significative réponse à ceux qui prétendent que la révolution de 1844 s'est faite à l'instigation de notre gouvernement. Cette pénurie d'espèces força la nouvelle république à recourir au redoutable expédient du papier-mon-

naie; mais n'ayant personne à tromper, n'ayant pas surtout la trouée annuelle de l'indemnité à boucher, elle l'a fait avec une intelligente parcimonie et dans la seule mesure de ses nécessités les plus pressantes. L'émission a été de 300,000 gourdes, représentant une valeur d'environ 100,000 en argent. C'est à peu près la somme que l'on avait demandée à la France. Ce papier est garanti par le commerce; il circule avec les centimes haïtiens et suffit aux dépenses.

Cette détresse pécuniaire dans laquelle se sont trouvés les Dominicains aurait pu avoir pour eux, et pour les nations que l'avenir appelle à entrer en relations avec la nouvelle république, des conséquences graves. L'Angleterre, que son intelligence tient toujours à l'affut des bonnes affaires, a compris ce qu'on pouvait tirer de cette situation. A la fin de 1844, un agent anglais arriva de Londres, et vint proposer un emprunt à la junte, qui se débattait alors contre la situation la plus critique. Une commission composée de MM. Camiro, député, Torribio-Villanueva, R. Rodriguez et N. Livarès, membres du gouvernement provisoire, fut aussitôt nommée pour s'entendre avec ce financier libérateur. Mais heureusement ce libérateur n'était qu'un

juif. Il crut sans doute avoir affaire à un mineur aussi pauvre d'esprit qu'il était pauvre d'argent, car il fit les propositions suivantes : La république dominicaine contracterait un emprunt de 7,500,000 gourdes fortes, représentant un million et demi sterling, mais pour ne toucher en effectif qu'à peu près la moitié, c'est-à-dire 55 liv. pour 100. Elle payerait l'intérêt à 5 p. 100 sur le nominal, et donnerait en garantie tous les revenus publics. Ces propositions, soumises au congrès,

furent rejetées à l'unanimité; moins dures, elles eussent sans doute été acceptées avec empressement, et, malgré le peu de sympathie que l'Angleterre trouve dans ces parages, son influence très-légitime, mais très-exclusive, s'y fût inévitablement établie.

Aujourd'hui, des négociations sont, dit-on, pendantes avec les États-Unis pour la conclusion d'un emprunt et d'un traité de commerce. Tout est à surveiller de ce côté : d'abord, parce que la consolidation de la république permettrait l'intervention directe du gouvernement américain dans l'affaire; ensuite, parce qu'il y a toujours eu de nombreux rapports et une grande affinité entre les deux populations.

On peut, au point de vue de la production,

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comme au point de vue politique, diviser la république en deux grandes fractions. Le Cibao et l'Ozama le Nord-Est et le Sud-Est. Les principales richesses de la partie septentrionale sont la culture du tabac et celle du café. Son revenu peut s'élever de deux millions et demi à trois millions. Suivant une note transmise par nos agents au département du commerce, et publiée dans le Moniteur, à la fin de 1844, il avait été exporté du Nord, pour les États-Unis et l'Europe, plus de 25,000 surons ou balles de tabac. Dans la partie méridionale, où la culture de la canne s'est maintenue avec une certaine persévérance, l'élève des bestiaux, qui se fait, comme nous avons dit, sur une grande échelle, et l'exploitation des bois d'acajou, constituent les principales ressources. Il résulte du document que nous venons de citer, que les champs de cannes incendiées par les troupes d'Hérard repoussaient avec vigueur. Les troupeaux dispersés par la guerre se reformaient, grâce à la marque estampée qui permet au propriétaire de reconnaître chaque animal, même passé à l'état sauvage; et l'abondance des pluies, en ravivant les savanes jaunies par un long soleil, avait commencé à répandre le bien-être et la fécondité dans les hattes.

Enfin, de janvier 1844 à janvier 1845, le port de Santo-Domingo avait reçu 97 navires dont voici les pavillons: 26 américains, 23 hollandais, 10 français, 9 danois, 8 anglais, 4 haïtiens, 2 vénézuéliens, 1 suédois, 1 hambourgeois, et 13 nationaux voyageant à l'extérieur. Ces bâtiments ont jaugé ensemble 8,620 tonneaux.

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Tels sont les seuls renseignements que nous avons pu nous procurer sur les ressources actuelles d'un pays qui s'ignore encore trop lui-même pour fournir des notions au dehors. Insuffisants comme constatation d'une situation régulière, ils peuvent, avec les données qui précèdent, aider à dégager l'avenir du présent, et à faire comprendre aux esprits qui ne se refusent pas à la lumière, le rôle auquel une politique intelligente peut ramener l'ancienne métropole du nouveau monde.

Nous revenons à Samana, qui doit nous conduire à la conclusion de ce livre.

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