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et prétendent que cet arrêt a violé les art. 15, 14 et 61, de la loi du 17 nivôse an 2.

L'art. 15, disaient-elles, ne maintient que les avantages établis en faveur des époux alors existans: donc elle les abroge et les prohibe pour les mariages à venir; donc il y a contravention à cet article dans l'arrêt qui accorde un avantage coutumier à la veuve Dubourg, mariée depuis la pro.mulgation de la loi du 17 nivôse an 2 et sous son empire. L'art. 14, continuaient-elles, ne concerne que les avantages stipulés, ceux résultans de conventions : il ne peut donc être invoqué par la veuve Dubourg, qui n'a rien stipulé, puisqu'elle n'a pas fait de contrat. Le droit qu'elle réclame ne pouvait résulter pour elle que de la Coutume, et elle est abrogée.

La veuve Dubourg répondait : La loi du 17 nivôse an 2 a bien aboli les avantages, les gains de survie, que les Coutumes accordaient au survivant des époux sur les biens de l'autre, mais non les droits matrimoniaux. Il n'est point question ici d'une donation, d'une concession purement gratuite, mais d'une récompense de la collaboration commune, d'une part sociétaire. La Coutume de Normandie, qui prohibait la communauté, a voulu récompenser la femme des peines et soins par lesquels elle a contribué à l'augmentation de la fortune de son mari, en lui accordant une part dans les meubles et acquêts, qui sont en partie le fruit de sa collaboration dans le ménage. Cette part n'est donc ni un avantage, ni un gain de survie, ni une donation: c'est un droit matrimonial, un droit dont elle a payé le prix par son travail, par ses soins, par son économie. Donc la loi du 17 nivôse an 2 est étrangère à ce droit ; on ne peut pas plus la lui appliquer qu'à la part que les autres coutumes donnent à la femme dans la communauté.

De toutes ces raisons la veuve Dubourg concluait que l'arrêt attaqué ne contenait aucune contravention.

Malgré la force de ces moyens, M. Lecoutour, substitut du procureur-général, qui portait la parole dans la cause, Tome XI.

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a été d'avis de la cassation; et cette opinion, de la part d'un ancien magistrat qui, comme né en Normandie, était présumé bien connaître l'esprit et les principes de la Coutume de cette province, pouvait faire une grande impression.

Néanmoins les moyens de la dame Dubourg ont triomphé. Le 16 janvier 1810, ARRÊT de la Cour de cassation, section civile, M. Boyer rapporteur, MM. Caille et Chabroud avocats, par lequel:

« LA COUR, Après un long délibéré en la chambre du conseil; Attendu que la loi du 17 nivôse an 2 n'a aucunement aboli les droits de propriété que la Coutume de Normandie déclarait appartenir aux femmes mariées et à leurs héritiers sur les meubles et acquêts formant le fonds ou le produit de l'association conjugale; Qu'ainsi l'arrêt attaqué n'est point contrevenu à cette loi, et qu'il a fait, au contraire, une juste application des Coutumes dans l'étendue desquelles la contestation a eu lieu; - REJETTE, etc. »

COUR DE CASSATION.

L'échange d'une chose indivise fait avec une personne qui ne savait pas que cette chose eût un copropriétaire est-il nul comme consistant en partie dans la chose d'autrui ? (Rés. aff.) Cod. civ., art. 1599.

Le partage qui depuis a déterminé la propriété de l'échangiste sur la portion comprise dans l'échange couvre-t-il la nullité? (Rés. nég,)

Celui qui a fait cet échange peut-il étre considéré comme stellionataire? (Rés. aff.)

Les sieur et dame MERLIER, C. Le sieur Pignard.

Par acte du 2 septembre 1807, le sieur Pignard et les sieur et dame Merlier font réciproquement un échange de fonds de terre, et conviennent qu'en cas d'éviction totale ou partielle, provenante du fait de l'un des contractans, l'échange sera et demeurera nul, conformément aux dispositions du

Code civil. Ils stipulent en outre que les dommages et intérêts de la partie évincée seront de la somme de 5,000 francs, qutre la restitution des frais et loyaux coûts, qui sont à la charge des sieur et dame Merlier.

Le domaine échangé par le sieur Pignard était indivis entre lui, pour la plus grande partie, et un mineur. Le sieur Pignard n'avait fait aucune mention de cette circonstance.

Les sieur et dame Merlier, instruits de ce fait, demandent la nullité de l'échange et la condamnation par corps aux dommages et intérêts stipulés. Un jugement de première instance leur adjuge toutes leurs conclusions.

Pignard en interjette appel à la Cour de Lyon.

Sur ces entrefaites, il avait provoqué le partage du domaiue indivis entre lui et le mineur, et ce partage, consommé le 10 mai 1808, détermina sa propriété précisément sur la part qui faisait l'objet de l'échange.

Alors il suivit sur son appel, et comme l'indivision avait cesé, que le partage lui adjugeait tout ce qu'il avait cédé, il soutint que la demande en nullité de l'échange n'avait plus de cause: il conclut en conséquence à l'infirmation du jugement, et à ce qu'au fond les sieur et dame Merlier fussent déclarés non recevables dans leur demande.

Ceux-ci répondirent que le partage fait postérieurement n'avait pas pu empêcher qu'il n'y eût dans le principe transmission de la chose d'autrui, et par conséquent effacer le vice qui avait opéré la nullité de l'acte au moment même de sa passation. D'ailleurs ils critiquèrent le partage, et y remarquèrent des irrégularités de forme qui pouvaient le faire rescinder.

Le 6 juillet 1808, arrêt qui confirma purement et simplement le jugement de première instance.

Pourvoi en cassation de la part du sieur Pignard.

Il soutenait d'abord que l'art. 1599 du Code civil avait été faussement appliqué, parce que les sieur et dame Merlier connaissaient très-bien l'indivision dont ils excipaient pour obtenir la résiliation du contrat d'échange, et qu'en suppo

sant qu'ils n'en fussent point instruits, les titres mêmes rappelés dans ce contrat ne leur permettaient pas de l'ignorer.

Il prétendait ensuite que l'art. 1705 du même Code n'avai pas été moins faussement appliqué, parce que, d'après cet article et la convention expresse des parties, l'éviction seule aurait pu donner lieu à la nullité, qu'ils auraient pu sans doute avoir quelque raison de la craindre, mais que la crainte d'être évincé ne pouvait être assimilée à l'éviction même, et que d'ailleurs elle avait été dissipée par l'événement du partage.

Le demandeur critiquait aussi la disposition qui le soumettait à la contrainte par corps pour le paiement des dommages et intérêts. Il observait qu'en échangeant une chose indivise, il avait réellement échangé sa chose, puisque son droit frappait le tout et chaque partie de ce tout: il en concluait qu'il y avait contravention à l'art. 2059 du Code civil, ou fausse application de cet article.

Nonobstant ces moyens, est intervenu, le 16 janvier 1810, ARRÊT de la Cour de cassation, section des requêtes, M. Henrion président, M. Oudart rapporteur, M. Mailhe avocat, par lequel :

« LA COUR, Sur les conclusions conformes de M. Daniels, avocat-général; - Attendu que la vente de la chose d'autrui est nulle, suivant l'art. 1599 du Code civil; qu'il a été jugé par la Cour d'appel de Lyon que Merlier et sa femme ignoraient que partie de la chose fût à autrui ; ---- Attendu que la demande à fin de nullité du contrat d'aliénation avait précédé les procédures à fin du partage intenté par le demandeur contre le propriétaire de partie de la chose aliénée, et que ces procédures n'ont pu priver Merlier et sa femme du droit antérieurement acquis par cette demande; REJETTE, etc. »>

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Nota. Pour s'expliquer cet arrêt, il ne faut point perdre de vue que, dans l'espèce, la nullité de l'échange était stipulée en cas d'éviction totale ou partielle: d'où il résultait

que les sieur et dame Merlier n'avaient voulu recevoir du sieur Pignard qu'un héritage sur lequel sa propriété serait pleine, entière et incontestable.

Encore ne peut-on se dissimuler que la décision est rigoureuse: car on serait fondé à opposer que, d'après les termes mêmes du contrat, les sieur et dame Merlier devaient attendre l'éviction pour se plaindre, et que jusque là ils n'avaient aucun motif raisonnable d'attaquer l'acte. Il est incontestable que le propriétaire indivis peut vendre, donner, échanger sa part indivise. La propriété de l'acquéreur dans ce cas se détermine à la part qui échoit à son auteur par l'événement du partage.

Point de doute que le sieur Pignard était en faute de n'avoir pas énoncé l'indivision; mais il ne résultait point de son silence qu'il eût aliéné la chose d'autrui. Il n'avait pas échangé le domaine entier, mais la portion tombée dans son lot, et qui était la plus considérable: par conséquent il avait réellement disposé de sa chose, de la chose dont il était propriétaire. On ne pouvait donc pas prétendre que le contrat fût nul, parce que Pignard avait promis la chose d'un autre.

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En supposant que les sieur et dame Merlier n'eussent pas connu l'indivision, ce qui est assez difficile à croire, le seul droit qui leur appartînt dans ce cas, aux termes de l'article 1704 du Code civil, était de refuser la délivrance de la chose par eux promise en contre-échange, jusqu'à ce que l'objet de la propriété du sieur Pignard fût déterminé, de le sommer de faire procéder au partage, et d'y intervenir pour veiller à ce que Pignard eût ce qu'il devait leur donner. Et, en supposant qu'il n'eût pas la portion qu'il leur avait transmise, le cas des dommages et intérêts stipulés ne pouvait s'ouvrir que par l'éviction, aux termes du contrat. Les clauses rigoureuses doivent être prises et appliquées strictement; elles sont toujours de droit étroit.

D'après cela, il est permis de s'étonner de la contrainte par corps prononcée contre Pignard comme stellionataire. Encore une fois, Pignard n'avait pas vendu la chose d'au

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