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pour le montant de fournitures de viande à lui faites dans le courant de 1806.

Ce n'est qu'en 1808 que le sieur Poulain forma cette demande: ainsi, il s'était écoulé plus d'une année depuis les dernières fournitures, et la prescription pouvait lui être valablement opposée, d'après l'art. 2272 du Code civil.

Cependant le défendeur négligea de faire usage d'un tel moyen: assigné devant le bureau de paix, il soutint 1° qu'il n'avait rien reçu du sieur Poulain dans le courant de 1806; 2o qu'il ne lui devait rien et ne lui avait jamais rien dû; 3o qu'il avait toujours payé d'avance les fournitures que Poulain avait pu lui faire.

Il ne faut pas perdre de vue ces deux circonstances importantes : d'un côté, déclaration par le sieur Parizet qu'il ne lui avait été fait aucune fourniture en 1806; de l'autre côté, déclaration que le sieur Poulain avait été soldé d'avance de tous ses comptes.

Par acte extrajudiciaire, du 30 mai 1808, le sieur Parizet offre de payer au demandeur 60 fr., pour le montant de cent livres de viande qu'il avait fournies par son ordre à un sieur Garnier. Ces offres, comme on le voit, contrariaient les déclarations précédemment faites par le sieur Parizet, qu'il ne devait rien au sieur Poulain.

A la vérité, le défendeur cherchait à couvrir cette contradiction en prétendant qu'il avait aussi acquitté les bons composant les 60 fr., et qu'il avait négligé de les retirer; mais cette allégation tardive paraissait n'être imaginée qu'en désespoir de cause, du moins elle concourait à établir ce fait, que le sieur Parizet reconnaissait l'existence d'une partie de la dette.

Quoi qu'il en soit, après avoir proposé divers moyens de défense, le sieur Parizet invoque la prescription.

Un jugement, sous la date du 29 juin 1808, le déclare non recevable dans son exception, et le condamne au paiement de la somme demandée, - « Attendu que l'exception Tome XI.

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de prescription ne pourrait être valablement proposée qu'antant que les choses seraient encore entières; qu'au bureau de paix Parizet n'a pas parlé de prescription; qu'il s'est borné à dire que, si Poulain avait fait des fournitures, il en avait été payé d'avance; que, depuis, il est convenu que Poulain avait fait des fournitures, par son ordre, à un de ses amis, et qu'il a fait des offres, sur la représentation des bons; qu'indépendamment de ces fournitures, d'autres lui avaient été faites; que Parizet a défendu au fond, et qu'il ne justifie pas du paiement réclamé ».

Le sieur Parizet s'est pourvu en cassation 1° pour violation de l'art. 2272 du Code civil, qui établit la prescription annale, relativement aux fournitures faites par des marchands; 2° pour contravention à l'art. 2224, qui permet d'invoquer la prescription en tout état de cause.

M. Daniels, avocat-général, a conclu au rejet du pourvoi par la raison que les juges avaient pu décider, d'après les circonstances, que Parizet devait être présumé avoir renoncé à la prescription.

Du 5 juin 1810, ARRÊT de la Cour de cassation, section civile, M. Muraire président, M. Sierès rapporteur, MM. Guichard et Raoul avocats, par lequel :

« LA COUR, — Vu l'art. 2224 du Code civil; - Et attendu qu'il résulte du jugement attaqué que l'exception de prescription a été opposée, et que le moyen n'a été rejeté que par le double motif qu'il ne pouvait être valablement opposé que lorsque les choses étaient entières, et que Parizet avait défendu au fond; - Qu'il est évident, par l'énoncé de ce double motif, que le tribunal civil de Paris a considéré le moyen de prescription comme devant être proposé rebus integris, et préalablement à toutes autres exceptions et défenses, ce qui est une erreur et une contravention à l'art. 2224 du Code civil; - CASSE, etc. »

COUR DE CASSATION.

Sous le régime de la loi du 11 brumaire an 7, l'inscription' hypothécaire devait-elle, à peine de nullité, indiquer le domicile réel du créancier? (Rés. aff.) Loi de brumaire,

art. 17.

Peut-on, en cause d'appel, faire valoir contre une inscrip

tion hypothécaire un moyen de nullité qui n'avait pas été proposé en première instance? (Rés. aff. ) Cod. de proc. civ., art. 464.

LA DAME COSTE-CHAMPERON, C. MARTY.

La dame Coste-Champeron, créancière, en vertu de son contrat de mariage, du sieur Sabran son mari, avait pris inscription sur une rente foncière que celui-ci s'était réservée pour prix de la vente d'un moulin à lui appartenant : question de savoir si l'inscription avait pu grever cette rente. La Cour d'appel de Toulouse avait prononcé la négative, sur le motif que les rentes, ayant été mobilisées par la loi du 11 brumaire an 7, n'étaient plus susceptibles d'hypothèque. Sa décision fut annulée par arrêt de la Cour de cassation, du 51 août 1807, qui renvoya la cause et les parties devant la Cour d'appel de Montpellier : c'est là que s'élevèrent les questions dont il s'agit maintenant.

Les adversaires de la dame Champeron (1), abandonnant, comme de raison, leur ancien système, qui avait été proscrit, eurent recours à de nouveaux, moyens. Ils lui opposèrent que son inscription était nulle en la forme, parce qu'elle ne contenait ni la mention de son domicile réel ni une désignation suffisante de la rente affectée à l'hypothèque. La dame Champeron répondit que ces moyens ne pou

(1) Ces adversaires étaient le sieur Marty, acquéreur du moulin et débiteur de la rente envers le sieur Sabran, et le sicur Rousset-Folmont, à qui ce dernier avait fait cession de cette rente.

vaient être proposés de prime abord devant la Cour d'appel, la demande en nullité d'une inscription hypothécaire étant, disait-elle, une demande principale, susceptible des deux degrés de juridiction. Au fond, elle soutint que les reproches dirigés contre son inscription n'étaient pas de nature à la rendre nulle.

Ses défenses ne furent pas accueillies. D'un côté, la Cour d'appel de Montpellier admit la demande en nullité, attendu que cette demande n'était qu'une exception contre l'action qui était formée en vertu de l'inscription; qu'aux termes de l'art. 464 du Code de procédure civile, il est permis de former une nouvelle demande en cause d'appel toutes les fois que la demande nouvelle est la défense à l'action principale. D'un autre côté, elle déclara bien fondée la demande en nullité, par la raison que la mention du domicile du créancier est exigée par l'art. 17 de la loi du 11 brumaire an 7; que, bien que cette loi ne prononce pas formellement la nullité des inscriptions qui ne seront pas revêtues des formalités prescrites par l'art. 17, on ne peut cependant s'empêcher de les annuler; que la Cour de cassation l'a jugé ainsi par ses arrêts des 22 avril et 7 septembre 1807 (1).

Nouveau pourvoi en cassation par la dame Champeron. Elle soutint, sur le premier chef, que la Cour d'appel avait violé ou faussement appliqué l'art. 464 du Code de procé

dure.

Cet article, disait-elle, porte d'une manière bien expresse « qu'il ne sera formé, en cause d'appel, aucune nouvelle demande ». Il ajoute, il est vrai: « A moins qu'il ne s'agisse de compensation, ou que la demande nouvelle ne soit la défense à l'action principale. » Le législateur a voulu ménager aux parties tous les moyens de défense: il n'a pas voulu que, sous le prétexte qu'elles introduisent une nouvelle demande, on leur interdise l'usage de nouveaux moyens. Mais assuré

(1) Voyez ces arrêts, tome 8 de ce recueil, pag. 288 et 580.

ment aussi il n'a pas entendu que, sous prétexte de ne présenter qu'un nouveau moyen, on puisse faire naître un nouveau procès tout différent du premier. Et c'est ce qui est arrivé dans l'espèce. La question a été totalement changée. Il ne s'est plus agi de savoir si l'inscription avait pu être prise, mais si l'inscription prise était valable. Les rôles des plaidans ont été entièrement intervertis. La dame Champeron, originairement demanderesse, est devenue défende

resse.

Il faut avouer que ces raisons étaient bien faibles.

La question principale n'était pas changée : elle consistait à savoir si l'inscription de la dame Champeron était valable. Celle-ci soutenait l'affirmative: c'était l'objet de sa demande. Ses adversaires soutenaient la négative. Pour moyen de défense et pour exception, ils alléguèrent d'abord que l'inscription n'avait pu être prise sur une rente, n'avait pu l'affecter, La dame Champeron contestant cette proposition, elle forma question entre les contendans, mais une question incidente, une question secondaire, et qui avait pour but de parvenir à la solution de la question principale et définitive, celle de savoir si l'inscription était valable; une question, en un mot, qui n'était qu'un moyen de défense proposé par les adversaires. Ce moyen ne leur ayant pas réussi, ils en ont proposé un autré, savoir, que l'inscription était nulle dans la forme: nouveau moyen de défense, nouvelle question, si l'on veut; mais toujours question incidente et secondaire, et n'ayant toujours pour but que la solution de la question principale, Ainsi, les moyens de défense, la question incidente et secondaire, étaient changés; mais la question principale était toujours la même.

Au surplus, les rôles des plaidans n'étaient pas plus intervertis, lorsque les adversaires de la dame Champeron lui opposaient que son inscription était nulle dans la forme qu'ils ne l'avaient été lorsqu'ils lui avaient opposé que l'inscription n'avait pu être prise sur une rente.

Ce que la dame Champeron opposait sur le second chef

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