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De quelque côté qu'on jette les yeux, dit Voltaire, on trouve la contrariété, la dureté, l'incertitude, l'arbitraire.

Ici, le bâton, le bannissement, l'exil, quelquefois la mort, punit d'un geste ou fait mal à propos ou qu'on a eu le malheur de ne point faire, même d'une intention soupçonnée, d'un mot.

Là, on arrache la chevelure et la peau de la tête, ou l'on attache à un pieu au-dessus du feu qui le consume, le soldat vaincu à la guerre.

Chez un peuple, on étrangle l'homme dont les services ont fatigué le maître; on fait mourir sur le pal, on arrache les yeux pour des inadvertances ou de légères fautes.

Chez un autre peuple, une action que les préjugés ont changée en délit, fait condamner celui qui l'a commise à être écartelé et à avoir ses membres palpitans dispersés dans plusieurs villes.

Leurs voisins multiplient les supplices les plus épouvantables pour des délits, graves en effet, mais dont il faudrait chercher la cause souvent dans l'organisation particulière à chaque individu, ou pour des crimes

d'opinion rarement inexcusables : celui-ci fait usage d'une roue qui arrache le coupable, promené ensuite sur une claie dégouttante de son sang; celui-là élève un bûcher, autour duquel on invoque avec les cris du fanatisme cette intelligence suprême au nom de qui l'on pousse sa créature dans les flammes qui la dévorent.

Près de ces barbares, et comme un spectacle plus digne d'amuser des cannibales qu'UN PEUPLE SOUVERAIN, on jette aux bêtes féroces l'infortuné qu'ailleurs on eût peutêtre épargné.

Si l'on se fût borné là! mais la culpabilité n'étant pas toujours établie, par cela seulement qu'il est facile de se méprendre sur les preuves qui constituent le vrai coupable, les uns mettent le prévenu dans une cage de fer jusqu'à l'aveu du crime pour lequel on le poursuit; les autres le chargent de chaînes, lui passent des anneaux au cou et aux jambes, le bâillonnent, l'enlèvent par les bras mis en croix sur ses reins, lui arrachent les ongles, le tenaillent, le martyrisent en tous sens...., et quelquefois le malheureux est innocent!

Le génie de l'homme, pour le mal, est d'une atrocité qui ne connaît point de limites.

Si toutes ces inventions inouïes fussent nées au milieu des sauvages de l'Inde, des CONNÉCÉDAGAS, elles n'exciteraient que la surprise; mais on ne saurait montrer assez d'indignation pour ces gouvernans des états de l'Europe à qui on les doit, ou qui en ont maintenu et propagé l'institution.

On n'a point assez couvert de l'exécration publique ces législateurs meurtriers, que la philosophie combattit long-temps sans succès, et qui perpétuèrent entre les mains du pouvoir, presque toujours faible ou tyrannique, des moyens d'exécutions judiciaires. qui révoltent la nature, et ne tiennent point leur existence de l'intérêt général des citoyens.

« Ouvrons l'histoire, dit Beccaria (1): nous verrons que les lois, qui devraient être des conventions faites librement entre des hommes libres, n'ont été le plus souvent que l'instrument des passions du petit nombre, ou la production du hasard et du moment;

(1) Des Délits et des Peines, chap. 1o.

jamais l'ouvrage d'un sage observateur de la nature humaine, qui ait su diriger toutes les actions de la multitude à ce seul but: TOUT LE BIEN-ÊTRE POSSIBLE POUR LE PLUS GRAND

NOMBRE. >>

Voltaire complète l'idée de Beccaria : « Le conseiller Dubourg, le chanoine Jehan Chauvin, dit Calvin; le médecin Servet, Espagnol; le Calabrois Gentilis, servaient le même Dieu; cependant le président Minard fit pendre le conseiller Dubourg, et les amis de Dubourg firent assassiner Minard; et Jehan Calvin fit brûler Servet à petit feu, et eut la consolation de contribuer beaucoup à faire trancher la tête au Calabrois Gentilis; et les successeurs de Jehan Calvin firent brûler Antoine. Est-ce la raison, la piété, la justice, qui ont commis tous ces meurtres? »

Ainsi, soit par plaisir, comme Néron et Caligula, soit pour s'assurer un trône, comme les empereurs turcs ou les souverains d'Alger, de Maroc et de Tunis; soit pour conserver une puissance honteuse, comme les inquisiteurs d'Espagne et de Goa, ou............, etc., soit pour satisfaire une vengeance insatia

ble, comme Louis XI, ou...., etc., à toutes les époques, chez toutes les nations, les peines et les supplices consacrés par les lois et les usages, ont également servi des intérêts privés, qui deviennent alors le sujet des plus grands crimes que l'homme puisse com

mettre.

Et si l'on peut détourner l'application de la loi au profit des passions haineuses, n'estce point une étrange impiété, une détestable trahison de la justice, d'oser, au lieu de la modifier en faveur de l'humanité et même de la morale publique, ajouter ces redoutables tortures à ce qu'elle a déjà d'excessif et de sanguinaire?

II

Il y a des affaires criminelles, où les cas sont si imprévus, si compliqués, accompagnés de circonstances tellement bizarres que l'habitude de juger, que l'esprit le plus pénétrant peut à peine soulever un des coins du voile de la vérité. Eh bien! ne sachant quel jugement rendre, il est des pays où les magistrats, impatiens de voir couler le sang de leurs frères (1), ordonnent que la

(1) Lire la vie de Jeffreys et celle de Machault, surnommé Coupe-tête.

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