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parut point altéré. Son ame fem it im paffible, & ne plus s'affecter de rien.

D'Orambré vint le voir, & j'espérai que l'accueil qu'il feroit à ce neveu, décé, leroit en lui quelque reffentiment de l'offenfe de l'autre, car ma plus grande peine étoit de l'y voir infentible. J'aurois préféré, pour M. de l'Ormon, le dépir lei plus violent à ce tranquille & févère oubli. Mais d'Orambré fut reçu comme de coutume ni plus, ni moins d'amitié pour lui; feulement un profond filence, qui fans doute lui étoit prefcrit, fur l'existence de fon confin. Du refte, même nonchalance & même liberté dans tous nos entretiens. L'Ormon fembloit anéanti dans le fouvenir de fon oncle. Trois ans s'écoulèrent fans qu'une feale fois fon idée y parût revivre.

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Et cependant que devenoit ce malheureux jeune hommé, avec une femme & deux enfans? car il étoit père pour la feconde fois. Il lui étoit refté des débris d'une fortune ruinée, une inauvaise petite ferme, au deffus de Corbeil & entre deux. forêts, abandonnée aux bêtes fauves. Il demanda, comme une grace, la permiffion de l'enclorre de haies vives & de foffés. Il l'obtint ; & fous le vieux toit de la maifon attenante à la ferme, il vint fe retirer avec la femme & fes enfans.

Nous nous écrivions fréquemment; & dans notre correfpondance, loin de fer

plaindre de fon infortune, c'étoit lui qui m'en confoloit. Les émolumens de fa Compagnie, une modique penfion qu'il avoit obtenue pour une action diftinguée, & le produit du coin de terre qu'il avoit fu rendre fertile, l'avoient mis, difoit il, au deffus du befoin; graces au Ciel, ce n'étoit plus que par un fentiment très-défintéreflé qu'il regrettoit les bontés de fon oncle: auffi en lui écrivant deux fois l'année, comme je le lui avois recommandé, ne s'exprimoit-il qu'en homme libre & en neveu rendre, fans lui parler d'aucun autre malheur que de celui d'avoir pu lui déplaire.

Ayant appris enfin que quelques devoirs de mon état m'appeloient à Paris, il m'écrivit qu'il efpéroit bien qu'en paffant fur la route voifine de Corbeil, je ne lui refuserois pas de traverfer la Seine, pour l'aller voir dans fa retraite; & je n'y au rois pas manqué.

Il étoit dans les champs au moment de mon arrivée. Je fus reçus par une femme dont l'air & le maintien auroit décoré une cabane. Rien de plus fumple que fon vêtement, rien de plus noble & de plus touchant que le caractère de fa beauté. A mon nom, un léger nuage de trifteffe parut fe difliper & laiffer fur fon front rayonner une vive joie. Monfieur, me dit-elle, j'éprouve en ce moment qu'il n'y a rien au monde de plus doux à la vue que la préfence d'un véritable ami qu'on voit pour

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la première fois; & Monfieur de l'Ormon lui même ne fera pas plus heureux que. moi de pofféder Monfieur le Curé de Ver-. val. Il s'en faut bien, Madame, lui dis-je en foupirant, que ma joie foit auffi pure que la vôtre; & ce n'eft pas ici, je vous l'avoue, que je défirois de vous voir. Pourquoi donc, me dit-elle avec une grace: charmante? Ne fuis je pas ici dans une fituation défirable? n'y fuis-je pas auprès de mon mari & au milieu de mes enfans? Ce qui nous manque ne touche guère que la molleffe & la vanité; on peut fe paffer de ces vices; & puis lorfqu'on a bien prévu, bien preffenti fa deftinée, & qu'on fe l'eft faite à foi-même, il faut avoir au moins le courage de la remplir. L'Ormon ne m'a diffimulé ni l'état d'infortune où le laiffoit fon père, ni le danger de déplaire à fon oncle & d'en être déshérité, s'il avoit fait fans fon aveu un mariage d'inclination; mais cet aveu, me difoit-il nous ne l'aurons jamais. - Vous l'auriez eu, lui dis-je, s'il eût pu vous connoître; & je lui aurois moi même procuré ce bon-. heur. Vous m'auriez fait la grace de paffer. pour ma niece; & il vous auroit vue chez moi. Belle fans atours, fans parure tout comme vous voilà, vous l'auriez enchanté. Cette raison, cette décence cet efprit fage & modéré cette ame fi noble & fi douce auroient fait leur impreffion. Vous. l'auriez bientôt amené à me dire: Que

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n'ai-je une nièce pareille ! & moi, je lui aurois répondu : Il ne tient qu'à vous de l'avoir. Votre joli Roman me fatte fenfiblement me dit-elle, mon bon Curé; mais la penfée n'en pouvoit venir qu'à vous seul. Pour nous, le choix se réduifoit, ou à nous unir à fon infçu, ce qui n'étoit qu'une fimple offenfe, ou à nous paffer de fon aveu, après le lui avoir demandé, ce qui devenoit une infulte. L'une, difoit l'Ormon, peut m'être pardonnée, l'autre ne le fera jamais. Ne nous abufons point, lui dis-je. Aux yeux d'un homme auffi fufceptible & auffi vif que Monfieur de Glancy, non feulement le tort de vous marier malgré lui, mais celui de vous marier à fon infçu peut être un crime irrémiffible, & peut l'aliéner fans retour. C'est dans cette pofition qu'il faut nous voir & nous demander à nous-mêmes, fi nous avons befoin de lui pour être heureux. Sa réponse fut fimple; il me fit le tableau de la vie que nous menons & m'en offrit la perfpective. J'aimois, j'étois aimée ; j'y bornai mon ambition ; & telle que vous la voyez, certe vie obfcure & tranquille, je la préfère encore à ce que la fortune a de plus magnifique & de plus féduifant. Ainfi parla l'intéreffante & belle Anaftafie.

L'Ormon revint des champs; & en me voyant il s'élança vers moi. Ah! mon digne ami; me dit il; je vous ferre enfin dans mes bras. Vous avez cru fans.

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doute me trouver malheureux; vous avez vu ma femme, vous êtes détrompé. Avezvous baifé mes enfans? Les voilà l'un & l'autre; recevez leurs careffes. Ils fauront quelque jour ce que vous doit leur père; ils en feront reconnoiffans. Ma femme, il faut tuer le faucon. Vous n'aurez pas ici mon bon Curé, à exercer contre le luxe votre éloquence paftorale. Vous ferez un dîner de l'âge d'or, je vous l'annonce; naais ce ne fera point avec des gens de l'âge de fer. Tandis qu'il me parloit ainfi, j'avois l'aîné de fes enfans fur mes genoux, je le baifois, & mes yeux fe mouilloient de larmes. Eh bien, mon bon Curé, me dit le père en fouriant, qu'eft-ce donc que cette foibleffe? Les voyez-vous avec pitié, ces deux enfans? Allez, n'en foyez pas en peine. J'ai déjà pour eux la promeffe qu'ils feront reçus tous les deux à l'Ecole de l'honneur & de la vaillance; & s'ils ont des fœurs, comme je l'efpère, elles trouveront dans mon état les fils de mes compagnons d'armes, qui ne les dédaigneront pas. Elles auront pour dot l'exemple, les leçons, les vertus de leur mère, peut-être auffi fa grace & quelques uns de fes attraits. Je fais que la fortune eft l'idole du monde; mais parmi les ames communes, il fe retrouve encore des cœurs nobles & généreux. Vous en êtes la preuve, lui dit modeftement Madame de l'Ormon. Moi > Madame, s'écria - t- il! fi j'avois eu une

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