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couronne, vous m'auriez fait encore bien de la grace en me permettant de vous l'offrir. Mon Curé, reprit-il, ne prenez pas ceci pour une phrafe de, Roman: de votre vie vous n'avez entendu rien de plus vrai ni de plus jufte.

Le dîner fut de ce ton là. L'air content du mari, la férénité de la femme, leur courage à l'un & à l'autre, le caractère de loyauté, de cordialité, de franchise qui anobliffoient leur pauvreté, me la déguifoit à moi-même, & me perfuadoit qu'il ne leur manquoit rien.

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Cependant, après le dîner, étant allé avec l'Ormon parcourir ce qu'il appeloit magnifiquement fes domaines: Etes-vous bien lui demandai-je, auffi heureux que vous femblez l'être? Non, me dit-il, j'ai un poids fur le cœur ; & ce n'eft pas le regret des biens auxquels j'ai renoncé; mais le reproche des bienfaits que j'ai reçus & que l'on croit, avec quelque apparence, que j'ai payés d'ingraurude. Je vous le jure. mon ami, par tout ce qu'il y a de plus faint fi M. de Glancy étoit perfuadé que je n'ai ceffé de l'aimer, de l'honorer, de voir en lui un fecond père; déshérité par lui, réduit à cet état de médiocrité, de détreffe, nul homme fur la terre ne feroit: plus heureux que moi. Mon unique chagrin eft de paroître ingrat, & de n'avoir pas même l'efpérance que mon oncle foir détrompé.

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S'il eft poffible, il le fera, lui dis - je. Mais il m'a défendu de vous nommer à lui; & je connois fon caractère : il faut l'attendre & ne pas le heurter.

Nos adieux furent attendris par les plus vives proteftations d'une amitié inakérable. Je baifai mille fois les deux jolis enfans, j'embraffai leur bon père; vous l'avouerai je enfin je me laiffai embraffer par leur nière; & je partis.

Mais je fus trifte dans mon voyage. Plus mes amis m'avoient paru confolés de kur infortune plus j'en é:ois incenfolable. J'ai eu toute ma vie du regret à voir la richeffe entre les mains de ceux qui en étoient avides, & je l'ai toujours fouhaitée ceux qui l'eftimoient le moins.

Dans le temps dort je parle M. de Verval père vivoit encore, & il étoit ici. Je lui écrivis de Paris, comme il avoit eu la bonté de le vouloir; & plein de mon objet, j'en dis quelques mots dans ma lettre. Mais le lieu, comme les perfonnes, étoit marqué par des étoiles. Je ne défignois rien. Il prit ce récit peut un conte fait à plaifir, & dont j'avois voulu embellir mon voyage. Ce fut à fon dîner que ma lettre lui fut remife.. Ah! dit-il, c'eft le bon Curé qui me donne de fes nouvelles. Et favez-vous à quoi il s'amufe à Paris? à faire des Romans. En voici un effai. Il lut tout haut ma lettre. Notre encle étoit de ce dîner. Il favoit en quel lieu s'étoit retiré fon neveu;

d'Orambré l'en avoit inftruit ; & ce lieu étoit fur ma route. La fituation le frappa; il devina le refte, & il fe retira rêveur & agité; mais fa penfée fe fixa fur le fourçon, que j'avois moi-même pris ce détour pour l'émouvoir, & que l'arrivée de la lettre au moment du dîner de M. de Verval, avoit été préméditée.

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A mon retour, j'allai le voir. Il me reçut froidement me dit deux mots de mon voyage, me répondit à peine lorfque je lui parlai de lui-même & de fa fanté. Enfin après un long filence: Monfieur le Curé, me dit-il en fronçant les fourcils, je vous connoiffois bien des talens, mais non pas celui de faire des contes. Des contes! moi, Monfieur?-Oui, des contes qu'on lit à table, chez M. de Verval, & qu'on trouve fort amusans. Je vous entends, Monfieur, vous parlez d'une lettre ou j'ai légèrement & vaguement tracé le tableau d'un ménage heureux par fes vertus, dans le fein de la pauvreté, tel que je venois de le voir. Ah! n'est point un conte c'eft vérité toute fimple. cette vérité, Monfieur, vous la divulguez à laifir? Hélas! peut-elle être cachée ? › Et cependant je n'en ai dit que ce que l'amitié la plus difcrète en a pu dire; & je l'ai dit innocemment. C'eft donc innocemment, reprit-il avec amertume, que l'on met fon ami en fcène ? -Et qui vous dit, Monfieur, que j'aie parlé de vous ?

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Et

que

Qui le dit? moi, qui l'ai entendu; moi, qui n'ai que trop vu que la fcène étoit arrangée, & que l'on m'y invitoit pour m'en faire rougir. Ni M. de Verval ni moi lui dis je en me levant, ne connoiffons ces tours d'adreffe & de malice. Quant à moi, j'attefte le Ciel l'intention que vous m'attribuez ne m'eft pas venue dans la pensée; & je fuis étonné que vous ne m'ayez pas mieux connu. Quoi! vous vous en allez, me dit-il avec émotion! Oui, je m'en vais, pour ne plus vous trouver injufte. — Injufte de me plaindre, lotfque après m'avoir fait myftère!.... Il s'arrêta. De quoi vous ai-je fait mystère lui demandai-je en le preffant.-De vos liaifans avec un homme qui m'a caufé des chagrins mortels. C'étoit là que je l'attendois. Monfieur, je ne fais point, lui dis je, partager des reffentimens dont la rigueur m'afflige autant que la durée. Ils répugnent à mon état, & plus encore à mon caractère. Quant à mes liaisons, je n'en fais mystère

perioane. I eft vrai qu'avec vous j'ai gardé un filence que vous m'avez impofé vous-même; mais ce filence n'eft point celui de la diffimulation; & fi l'on ne veut point favoir ce que je penfe, au moins faura-t-on bien toujours ce que je fais. Au furplus, je déclare que pour perfonne au monde je n'aurai la foibleffe de facrifier l'amitié. Et moi, Monfieur, & moi, me dit-il avec violence, je ne fuis donc pas

votre ami?

- J'en ai deux; vous en êtes un; mais je n'abandonne point l'autre.— L'autre est un infenfé. Il l'a été peut

être

mais il n'eft point ingrat, mais il est honnête homme, mais je le croyois malheureux tous ces titres me font facrés. Malheureux peut il ne pas l'être? - Il l'eft d'aimer, de révérer un homme injufte qui le hair. -Encore! un homme injuste!

Qui, très injuste, de faire un crime d'une faute, & de profcrire un innocent. C'est une chofe étrange, repris-je, en le voyant ému, qu'avec un fac d'or à la main, on fe croye armé de la foudre, & que pour un moment d'erreur, de délire, que fais-je? de cet égarement dont la caufe eft fi pardonnable, on faffe gloire d'être inflexible & qu'on fe condamne foi-même au tourment de toujours haïr! Non, je ne le hais point, non, je l'aimai toujours; & puifqu'il faut le dire, je l'aime encore pour mon fupplice. Pour votre fupplice! Ah grand Dieu ! C'est donc un fupplice d'aimer, d'aimer les fiens! Oui, c'en est un pour ce cœur trop fenfible, que l'ingratitude a bleffé. Non point d'ingratitude, interrompis-je avec toute ma force. Ce vice n'a jamais fouillé l'ame du vertueux jeune homme qui vous chérit, qui vous honore, qui vous bénit dans fa misère, & qui pour vous donneroit tout fon fang. Qu'il vienne donc, dit-il, fe jeter dans mes bras avec fa femme & fes enfans; car tout ceci

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