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mon? Rendez, croyez-moi, cet hommage à la mémoire de votre oncle, d'effacer jufqu'au fouvenir de ce qu'il a défavoué par la plus éclatante réconciliation. Chacun a fes maximes; Monfieur le Curé, me dit-il: ma manière à moi de rendre hommage à la mémoire de mon oncle, c'eft de ne rien changer à fes difpofitions & d'accomplir fa volonté. Je n'infifterai pas, lui dis-je, & je vous laifferai le temps de changer de réfolution. Mais, Monfieur, fi je fuis réduit à défendre les droits de M. de l'Ormon, comme je m'y fens obligé, j'attaquerai, je vous en avertis., vos prétentions immodérées; & peut-être aurez-vous à vous en repentir. Un fourire amer & dédaigneux répondit à cette menace, & il finit en me priant de difpofer l'Ormon à fe retirer fans éclat.

Dès ce moment je défefpérai de le voir changer de langage. J'attendis cependant jufques au lendemain, pour voir fi la réflexion n'auroit pas amené quelque fentiment de pudeur.

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Le lendemain matin je demandai à l'un de fes gens comment fon Maître avoit pallé la nuit. Il m'affura qu'il avoit dorini d'un fommeil très-paifible, & qu'il venoit de s'éveiller. L'indignation me faifit, & armé de tout mon courage je me rendis au déjeûner. Il y vint plus délibéré que je ne l'avois jamais vu. Monfieur d'Örambré, dis-je en le voyant paroît avoir dormi cette

nuit du fommeil du Jufte. Comme vous, M. le Curé, me répondit l'audacieux. Comme vous me parut infolent à l'excès. Il careffa les enfans de l'Ormon, parla d'un air affectueux à leur mère, lui dit que les enfans étoient les fiens, que vraisemblablement il n'en auroit point d'autres, & qu'ils feroient les feuls auxquels pafferoit tout fon bien; & puis s'adreffant à l'Ormon: Ne vous offenfez pas, lui dit-il, que notre oncle ait voulu que ce foit de mes mains qu'ils reçoivent fon héritage c'est un dépôt que je conferverai pour eux avec le plus grand foin.

L'Ormon interdit le pria de s'expliquer. Quoi! M. le Curé ne vous a donc pas dit, reprit-il froidement, que M. de Glancy a fait de moi fon légataire, & qu'il en a laiffé le titre dans mes mains? Je ne l'ai pas dit, repliquai-je, & vous en favez la raifon. J'ai voulu laiffer à votre confcience le temps de vous parler; mais puifqu'ellefe tait, c'eft à moi de me faire entendre; & alors m'adreffant aux deux époux, que je voyois, frappés d'étonnement, le regarder l'un l'autre : N'accufez pas, leur dis-je, de vous avoir trompés, cet oncle qui en mourant vous a tendu les bras. Non, ne le croyez point capable d'avoir infulté an malher de vos enfans par de faux femblans de bonté & par des careffes perfides." Sufceptible & prompt, il a pu dans fa colère vouloir déshériter un neveu qu'il aimcit

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mais il n'a pu vouloir lui en impofer avec une douceur traîtreffe. Il vous a pardonné & en vous pardonnant il a voulu vous voir rentrer dans tous les droits de la Nature. Il a voulu que ce teftament, que luk avoit dicté la colère, vous fût à jamais inconnu. Il a voulu qu'il fût anéanti, & il l'a redemandé pour n'en laiffer aucune trace. On lui a dit qu'il étoit brûlé. Qui le lui a dit, demanda le fourbe? Vous, Monfieur.-Moi!-Vous-même ; je l'affirme fur la parole. Monfieur le Curé, reprit-il, l'éloquence a beau jeu lorfqu'elle fait parler les morts; elle ne rifque pas de fe d: voir démentie. Ce n'eft pas moi, Monfieur, lui dis-je, que votre oncle démentiroit, s'il le faifoit entendre du fond de fon tombeau. Tren.blez que fa cendre ne fe ranie, que le Ciel, pour vous confondre, ne permerte à la voix de rompre le filence de la mort. A ces mots, il me regarda d'un air moqueur. Eh bien, repris-je, il va parler, puifque vous ofez l'y contraindre. Et dans l'infant je tirai de ma poche un fecond teflament que le mourant m'avoit laiffé."

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Lifez tout haut, Monfieur, dis-je à l'Ormon voilà fa volonté dernière. Il lut, & par ce nouvel acte, ce fut lui qui fut déclaré feul héritier des biens de M. de Glancy.

D'Orambré frappé de la foudre, garda un moment le filence, & puis reprenant fon audace: On voit, dit-il, dans cet

écrit la féduction auriculaire; je ne tarde rai pas à la faire connoître, & nous faurons s'il eft permis d'abufer, avec ce manége, de la foiblefle des mourans. Il fortit outré de fureur, & peu d'inftans après nous: entendîmes partir fa chaise.

La révolution avoit été fenfible fur le vifage de Madame de l'Ormon & de fon mari. Mais je n'y apperçus, grace au Cicl, aucun figne d'une indécente joie; & tour à coup je vis l'Ormon tomber dans un abattement compréhenfible pour moi. Mon ami, me dit-il, c'est à préfent que vous me croyez bien heureux; c'eft à préfent que je le fuis moins que jamais; car je me fens coupable. Il vient de fe paffer en moit des mouvemens affreux: en me croyant déshérité, l'indignation m'a faifi; j'ai du fond de mon cœur, pour la première fois, outragé le meilleur des hommes, mon bienfaiteur, mon fecond père, que j'avois of fenfé, qui m'avoit pardonné; & qui m'avoie comblé de biens. Le bon jeune homme pou voit à peine articuler ces mots; la honte li étouffeit la voix. Allons, dit il, allons du moins fur fon tombeau demander pardon à fon ombre. Hélas! plus que jamais j'ai befoin de le rendre miféricordieux envers moi.

Ce fut là, ce fut en voyant ruiffeler fur la pierre qui renfermoir la cendre de M. de Glancy, les pleurs du repentir & ceux de la reconnoiffance; ce fut en voyant les

deux, époux incliner leurs enfans fur cette tombe révérée & la leur faire baifer avec amour; ce fut alors que je jouis avec une tranquille & pleine volupté. Qu'ils furent touchans l'un & l'autre ! Ils me devoient beaucoup, ils ne l'ignoroient pas ; & ni l'un ni l'autre dans ce moment ne s'occupa de moi. Leur cœur fut tout entier au véritable objet de leur reconnoiffance. Mais ce devoir rempli, la fimple amitié cut fon tour; & j'eus lieu d'obferver combien le reffentiment des bienfaits élève & anobfit encore les belles ames. Pour nous, me difoient-ils, le premier des biens, & celui auquel nul autre n'eft comparable, c'eft de favoir que ce généreux homine nous a aimés, jufqu'à la fin; mais après cette douce & précieufe idée, celle qui nous eft la plus, chère, cele au prix de laquelle tout Tor du monde feroit vil, c'eft de penfer que le retour de fes bontés, nous le devous au zèle d'un ami tel que vous. Ah! de grace, leur dis je, fi j'ai contribué à rapprocher de vous un bon parent, ne m'en ôtez le mérite. Que m'en reftera-t-il quand vous l'aurez payé au centuple de fa valeur? 11 n'y auroit plus de vertu à bien faire, l'on trouvoit par tout des cœurs auffi re connoiffans.

(Par M. Marmontel. )

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