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Quel genre de vie ! quoi ! aucun plai» fir?

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» Il n'en eft point, même d'innocens » pour ceux qui ont mérité d'être damnés. » Un de nos Religieux favoit deffiner, il » lui fut défendu de deffiner; un autre "aimoit à lire l'Hiftoire eccléfiaftique, cette " lecture lui fut interdite.

» Ce travail des mains eft-il quelquefois » adouci?

» Non. L'Abbé de Rancé refufa un No-» vice, qui, en cucillant des herbes, évi"toit trop foigneufement les ronces.

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» Et ce filence, n'en difpenfe t-on ja» mais ?

» Un jour le feu prit au Monaftère, il » fut éteint fans que perfonne eût parlé. "Vous êtes plus heureux que les autres, puifque l'ufage de la parole vous est » permis.

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»Je fuis plus malheureux que les au» tres, puifque par-là j'ai plus d'occafions » de pécher.

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» Vos Pères vivent-ils long temps? Quelques-uns deviennent âgés; en général, on meurt ici de bonne heure. » Nous avons, Dieu merci, quinze ma"lades.

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» Pouvez-vous du moins voir quelque» fois vos parens ?

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Dieu feul eft notre famille.

» Etes-vous contens?

Nous n'afpirons qu'à l'Eternité.

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La franche énergie de ces réponses "eut bientôt mis fin à mes queftions. Ah! » comme la fublimité de cet entretien m'a» voit élevé au deffus de moi-même ! "Comme mes penfées & mes affections » s'épuroient ! Comme devant les images » de la pénitence, de la Religion & de » Dieu, l'image de cette Courtifane deve"noit petite, & difparoiffoit dans le loin"tain! Le Père m'arracha à mes réflexions, pour me dire qu'il alloit me procurer un Ipectacle plus frappant que tout ce que » j'avois-vu, & plus utile encore, fi je fa"vois en profiter. Il me mena dans une falle baffe deftinée à l'ufage que je vais

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décrite. Toute la Communauté étoit affemblée dans ce lieu fombre. Un Frère » arriva tenant une braffée de paille qu'il » étendit fur la terre; un autre Frère, qui » marchoit fur fes pas, étendit pareille»ment à terre de la cendre au même » endroit ; enfin un Religieux, à fa dernière heure, parut, porté fur un brancard » par deux Frères. Il étoit pâle, décharné; » il avoit la mort dans les yeux. Déposé fur » cette couche funèbre, il le ranima, fourit » avec effort, puis, d'une voix languiffante » & baifant fa main, il dit adieu à fes

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compagnons; enfuite il joignit les mains » de lui-même. Cependant les Moines ré» citoient tout bas les prières des mourans, » & l'Abbé s'écrioit en lui montrant tour » à tour le Ciel & le Crucifix: Courage,

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mon Frère, courage Vos fautes font effacées par le Dieu que vous avez reçu, & qui s'eft immolé pour vous. Voyez les

Cieux qui s'ouvrent, & les Anges qui » vous appellent. Le moribond entra en ce ≫ moment dans les convulfions de l'agonie, » & expira au bout d'une demi-heure. "Ce fera bientôt, dit l'Abbé en fe tour"nant du côté des affiftans, le tour de >> chacun de vous; ne vous abandonnez pas » à une lâche confiance; craignez l'Enfer... » tremblez !

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Je me ferirai frappé de terreur far ma » vie paffée & fur mon état actuel. A deux heures après minuit, les Matines fonnè→ rent; je me levai fans avoir dormi, & j'y allai. Figurez-vous, mon ami, cette » Eglife vafte & nue, devant l'Autel une » feule lampe éclairant ces grandes ténèbres, foixante Religieux partagés en deux » chœurs, & chantant les Pfeaumes avec "onction; tantôt, aux endroits de fenti» ment, leurs voix s'affaibliffoient par de

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grés, on n'entendoit Plus à la fin qu'une "efpèce de foupirs cadencés ; tantôt, lorf" que David fent les ardeurs d'une vive piété, leurs tons fe ranimoient, leur prononciation étoit ferme, accentuée, précipitée. Ce que je défefpère de pouvoir vous faire comprendre, c'eft l'effet tout extraordinaire de leur Salve, Regina Cali. Il commence par plufieurs notes graves » & monotones; puis tout à toup on s'é

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» lève, fur le dernier mot Cali, jufqu'à » l'octave de la gamme. Ce paffage inat» tendu étonne, ravit, emporte l'ame jufqu'au Ciel. Pour moi, je favourois, dans » un coin, cette divine harmonie, & l'im"preffion que j'en receveis aidoit à mes » réfolutions timides & chancelances. A » demi- vaincu, il ne falloit plus qu'une » demi-fecouffe pour m'abattre aux pieds » de Dieu ".

Voyons maintenant la contre partie. Le jeune homme admis au Noviciat, fent bientôt rallentir fa première ferveur, & une converfation avec le Père Infirmier, bonhomme affez naïf, achève de détruire les impreffions qu'avoit faites le Père Abbé. »De l'aveu même du Père Infirmier, la

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Trappe n'étoit pas exempte des vices & » des abus qui fe remarquent ailleurs l'ambition n'y étoit pas inconnue. Lorfqu'il venoit à vaquer quelque place importante, on favoit bien la briguer. Les Candidats, pour éluder la loi du filence, fe parloient par fignes. La vengeance y » avoit produit quelquefois d'étranges fcè»nes. Un Père, offenfé d'un refus qu'il » avoit effuyé de la part de l'Abbé, le prit » tellement en haine, qu'à fa vue il éprou» voit un tremblement univerfel. Le jour » de Pâques, tous les Religieux étant age

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nouillés à la Sainte Table pour y rece» voir la communion des mains de ce premier Supérieur, felon l'ufage, ce Père

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qui, après bien des combats, s'étoit perfuadé peut-ête qu'il avoit furmonté fon averfion, eut à peine apperçu le Père "Abbé près de lui, qu'il détourna la tête,

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& repouffa de la main l'hoftie qui lui » étoit présentée. Ce que l'efprit immonde, c'eft-à-dire fans doute la Nature contrariée, faifoit fouffrir à ces Solitaires, ne " peut s'imaginer. Les récits du bon In» firmier me dévoilèrent, à cet égard, de » fingulières anecdotes....",

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L'Auteur rapporte ici des faits qu'il prétend être prouvés, & qui pourtant ne font guère de nature à l'être; mais que, dans tous les cas, nous ne croyons pas devoir répéter: ils n'attefteroient qu'une corrup tion par-tout naturelle à la foibleffe humaine, & ne ferviroient en rien à l'objet de cet article.

Il s'en falloit bien que tous ceux que » l'on recevoit à la profeffion, perfévéraffent long-temps dans leur première fer» veur. Soit pour une raifon, foit pour

une autre, le plus grand nombre quittoit » tôt ou tard l'Inftitut. Plus d'une fois des » Pères, même vieux, s'étoient enfuis en » efcaladant les murailles. L'excès du dé

fefpoir auquel l'ennui les réduisoit, ne » pouvoit m'être mieux peint que par le » trait du Père Anfelme ( auparavant le. » Chevalier de Raci), qui, la nuit au mi» lieu de l'Eglife où tout le monde médi» toit à genoux, se leva brusquement, &

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