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fils dénué de fortune; d'Orambré, un fils opulent. Pour lui, fe croyant plus fauvage qu'il ne l'étoi, quoiqu'il le fût un peu, il avoit préféré le célibat au mariage & il paff it la vie à la campagne, où il faifoit profpérer les biens.

Les oncles riches & fans enfans font rarement négligés par leurs neveux; celui ci croyoir l'être par le jeune l'Ormon. Il s'en plaignoit fouvent à moi; & je tâchois de Padoucir. La difc plne en temps de guerre eft févère, lui difois-je, & si gênante pour la jeuncffe, qu'il eft bien jufte. qu'un peu de liberté l'en d'dommage en temps de paix. M. de l'Omon vient vous voir rarement, il eft viai; mais quand il cft ici, je l'y vais gai, cone t, heureux de vos bontés, & il m'en a parlé fouvent avec une ame fincèrement reconnoiffante.

Belles paroles, me difoit l'oncle ; je n'encrois que les actions. Voyez mon neveu d'Orambré il cft riche, il n'a pas befoin de mes bienfaits, il n'en reçoit aucun; & avec quelle affiduité il me rend les devoirs que l'Ormon néglige!

Eh bien, je gage, lui difeis-je, que. votre cœur ne laiffe pas de pencher quelquefois du côté de l'Ormon. Sans doute, difoit-il, parce qu'on a plus de penchant à aimer ceux qui ont befoin qu'on les aime. Mais c'eft ce qui le rend plus inexcufable à mes yeux.

Une fois, comme il s'en plaignoit avec

plus d'amertume encore: Monfieur, lui dis-je, je vais vous paroître bien fingulier; mais je n'ai jamais fu déguiser ma pensée. A Dieu ne plaife que je veuille diminuer dans votre eftime le prix des affiduités & des complaifances de M. d'Orambré, ni jeter fur les fentimens qu'il a pour vous le plus léger nuage je les crois d'autant plus louables qu'ils font plus défintéreffés. Mais fi j'avois un neveu pauvre, je ne me plairois pas à le voir fi empreffé auprès de moi. Un air libre, aifé, naturel, écarteroit de ma pensée les motifs & les prévoyances d'un héritier avide & vigilant. J'aimerois à le voir s'abandonner à mes bontés, fans les pourfuivre avec trop d'ardeur. Ce qui convient à M. d'Orambré ne fieroit pas de même à M. de l'Ormon; & ces affiduités marquées, dont vous croyez qu'il fe difpenfe, j'ai dans l'idée qu'il s'en abftient. Son ame noble a de la répugnance pour tout ce qui reffemble à l'adulation; & il aime mieux, dans fon état, mériter votre bienveillance par une conduite honorable, que de paroître la cultiver avec l'impatience d'en recueillir les fruits.

A cela il me répondit qu'il connoiffoit mon foible pour M. de l'Ormon; que je plaidois fort bien fa caufe; mais que le Juge, par malheur, n'étoit pas facile à féduire. Je voyois cependant que je le foulageois en l'aidant à lui pardonner. Quelquefois même il s'égayoit fur ma morale

complaifante; & à l'indulgence avec laquelle je protégeois les jeunes libertins, il n'étoit pas éloigné de croire, difoit - il, que je leur avois reffemblé. Il m'appeloit le Docteur commode. Ainfi, du moins pour quelque temps, fon humeur étoit éclaircie, & fon neveu rentroit en grace auprès de lui.

Mais un jour qu'il m'avoit invité à dîner, je le trouvai d'un férieux morne & fombre, que je ne lui avois jamais vu. Je lui en demandai la caufe. Commençons, me dit-il, par dîner à notre aife, après cela nous parlerons.

Le diner fur filencieux; & au fortir de table, s'étant enfermé avec noi : Vous allez, me dit-il, apprendre à quel point je fuis refpecté de ce neveu que vous avez loué & justifié tant de fois. Il est marié, il y a fix mois, fans mon aveu, à mon infçu. Si cela eft, il eft bien coupable, lui dis-je. Si cela eft! Oui, Monfieur, cela eft, reprit-il d'une voix tonnante, avec des yeux enflammés de colère. -Et comment l'avez-vous appris? Par la douleur profonde où j'ai vu fon coufin, & dont il me cachoit la caufe. Enfin je lui ai fait violence; & forcé d'obéir, il m'a tout avoué. L'Ormon eft marié. Il l'étoit en fecret; mais fe voyant au moment d'être père, il a bien fallu prendre la qualité d'époux. C'est fans doute, lui dis-je, un mariage de folie; mais j'ofe croire au moins qu'il aura fait un choix dont vous n'ayez point à rougir.

A S

Oh non', dit-il, tout au contraire, j'ai lieu de m'en glorifier. Une Chanoinelle fort noble affurément, & fans doute fort belle, mais, comme lui, n'ayant, grace au ciel, rien au monde; à moins qu'il ne lui refte dans quelque coin de terre un oncle oublié, méprifé, & qui lui laiffera fon bien.

Et voilà, dis-je, l'écueil funefte où le plus heureux naturel, la bonté, l'honnêteté même, toutes les efpérances que donnoit la jeuneffe ne fe brifent que trop fouvent. Que l'homme eft foible à tous les âges, & qu'il eft fragile à vingt ans !

Monfieur le Curé, me dit-il, je vois le circuit que veut prendre votre éloquence infinuante; mais moi je parle fans détour. L'Ormon eft un ingrat, & il l'eft avec impudence. Je profère fon nom pour la dernière fois. Ne m'en parlez jamais ; ou malgré le tendre refpect que j'ai pour vous, je ne vous verrois plus. Monfieur lui dis je en tombant à fes pieds, encore une dernière grace. Il eft peut-être, malgré les apparences, plus malheureux qu'il n'eft coupable. Daignez l'entendre avant que de le condamner. Jamais, dit-il, jamais il ne paroîtra devant moi : je fais de lui ce que j'en veux favoir; je ne le connois que trop bien.

Alers tout fon feu s'étouffa; il devint calme & d'un froid de glace; fon efprit même reprit fa liberté; & ce qui me parut

plus terrible encore, il caufa gaîment avec moi. Je vis que fa réfolution étoit prife, & qu'il s'y croyoit affermi. Mais le temps, la Nature & la Religion l'ébranleroient peut-être ; il falloit les laiffer agir.

Le jeune homme étoit en Alface; il n'étoit que trop vrai qu'il y étoit marié. Je l'appris bientôt par lui-même. Il m'écrivit qu'irrévocablement déterminé à former ce lien, & intimement convaincu que M. de Glancy, fon oncle, refuseroit d'y confentir, il s'étoit vu réduit à la cruelle alternative de le former, ou à fon infçu, ou malgré lui; & que de ces deux torts il avoit préféré le moins ineffaçable. Il fe' recommandoit à moi, me fupplioit, au nom de l'amour le plus faint, d'intercéder pour lui, & d'employer mon zèle à Aléchir, s'il étoit poffible, la colère d'un oncle justement irrité, mais toujours chéri, & qui feroit pour lui, dans la difgrace même, l'objet du refpect le plus tendre. Il venoit de lui écrire; & il me confioit une copie de fa lettre, fans espérance, difoit-il, d'en obtenir la réponse affligeante & févère qu'il méritoit.

Cette inftruction me donna lieu d'examiner, dans le filence & dans l'humeur de M. de Glancy, l'impreffion qu'auroit laiffée l'humble & touchant aveu que lui faifoit l'Ormon de fa faute & de fes regrets. Je l'obfervai; le calme où il étoit tombé après la fougue de fa colère, ne me

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