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fidèlement & à la lettre celle des Ecrivains célèbres que cette queftion a divifés, Montefquieu, Rouffeau, Beccaria, Mably & Filangieri. Il fe décide enfin pour l'opinion de Beccaria, dont il n'adopte pourtant pas lés raifonnemens fophiftiques.

Nous imiterons fa franchise, & aux raifons qu'il oppofe lui-même à Montefquieu, à Rouffeau, à Mably, à Filangieri leur Difciple, nous nous permettrons d'oppofer à notre tour quelques réflexions, qui réduiront peut-être le problême à ce degré de précision & de fimplicité d'où fa folution doit dépendre.

D'abord il nous paroît qu'on ne s'accorde pas affez fur ce qu'on doit entendre par le droit de punir.

Le droit n'eft pas unè faculté, il la fuppofe; mais bien fouvent elle lui manque pour s'exercer, & il n'en exifle pas moins. Le droit par conféquent n'eft pas une puiffance; il n'eft pas non plus un devoir, car le devoir oblige, le droit ne fait qu'autorifer. Qu'est-ce donc que le droit? un caractère de juftice imprimé à l'action par la Loi. Ainfi le droit naturel nous femble être l'empreinte de la Loi naturelle; le droit public, de la Loi fociale; le droit des gens, de la Loi commune entre les Nations: bien entendu que pour être fouverainement légitime, le droit aura befoin de dériver de la Loi naturelle, d'où doivent émaner toutes les autres Loix. Nous avons mis cette défini !

tion à l'épreuve d'une foule d'exemples, qui tous s'accordent avec elle; & nous croyons qu'elle peut foutenir le plus rigou-

reux exainen.

Ce principe établi, la question fse réduit à favoir fi la Loi naturelle, c'eft-à-dire, l'intention, la volonté de la Nature à l'égard de l'efpèce humaine, a pu autorifer les hommes, pour leur commune confervation, à détruire celui d'entre eux qui violemment, & volontairement attenteroit à la vie de fon femblable; fi chacun d'eux, au moment que la Société s'eft formée, a pu & dû fübir cette condition; & s'il n'a pas été raiformable & jufte que chacun d'eux, & tous enfemble d'un commun accord fe foient dit: Celui de nous qui, ouvertement & par la force, ou artificies fement & par la trahifon, aura mis à mort fon femblable, fera lui-même mis à mort.

Si d'après l'intention évidente de la Nature, la Société a pu former ce pacte, & fi chacun a dû y fouferire, il eft jufte ; & punir eft un droit pour la Société, quoique ce ne foit qu'un devoir pour la puillance à qui l'exercice en eft confié.

Nal homme, dit Beccaria, 'a le droir de fe priver de la vie; nul n'a donc pu donner aux autres le droit de l'en priver... C'eft un raifonnement fubtil & faux, dont M. de Paftoret a fenti le vice.

Nul homme n'a le droit de quitter le pofte où la Nature l'a placé, nul homme

a droit de trahir l'efpérance qu'il a donée à la Société en naiffant dans fon fein, Ben fe liant avec elle: nous le croyons. vec Socrate. Mais fi le pofte que l'homme

pris eft celui d'un incendiaire, d'un affatin, d'un empoifonneur, a-t-il le droit dé le gardér ? Et ce pour exercer dans la Société le métier de brigand qu'il le croit obligé d'y vivre La Nature l'a destiné à être utile, ou du moins innocent (nous. 'ofons pas dire innuifible); c'est-là pour Jui en Société la condition de l'exiftente.. Sil détruit fes femblables, il doit être détruit..

Suppofons qu'au moment où la Société s'eft fait à elle même cette Loi vengereffe & confervatrice, quelqu'un des affociés eût refufé de s'y foumettre, en alléguant qu'il n'avoit pas le droit de difpofer ainfi des jours que le Ciel lui avoit confiés, qu'auroit-on fait de lui? ne l'eût-on pas exclus & banni de la Société Chacun, par fon filence, s'est donc foumis à cette Loi auffi formellement que s'il l'avoit foufcrite; & lorfqu'il s'eft rendu coupable, il n'a plus le droit d'en appeler.

Ici, l'Auteur objecte que nul n'est engagé tacirement & par fa naiffance à fubir une Loi injufte; & nous le croyons comme lui.

Mais eft-il injufte de détruire celui qui a détruit fon femblable? Oui, dit-on, fi fans le détruire, on a pu s'affurer qu'il ne

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feroit plus dangereux. Non, ce n'eft pas affez. La Loi en puniffant a trois objets comme dit Sénèque, ou de corriger le cou pable, ou de rendre les autres meilleurs par l'exemple du châtiment, ou de retrancher de la Société les méchans, pour la sûreté de tout le refte: Aut ut eum quem punit, emendet, aut ut pœnâ ejus cæteros meliores reddat, aut ut fublatis malis fecuriores cæteri vivant. Aulu Gelle y join le motif de vengeance pour l'offenfé, vindicatio lafi; mais cette vengeance nous femble une intention peu digne de la Loi.

Il s'agit donc effentiellement de mettre le coupable hors d'état de nuire, & d'épouvanter par fon exemple ceux qui seroient tentés de l'imiter; & c'eft ici qu'il eft intéreffant de voir, d'un côté, Beccaria & M. de Paftoret; de l'autre, Rouffeau Mably & Filangieri combattre, ceux - là contre, ceux-ci pour la peine de mert.

'En dernier refultat cependant ils s'accordent tous fur la condition que la peine foit néceffaire.

Un homme m'attaque, il en veut à ma vie, je ne puis me défendre & la fauver qu'en le tuant; je le tue, j'en ai le droit, tous en conviennent. Pour que la Société falle de même, il faut auffi qu'elle ne puiffe fe défendre autrement; & tous em conviennent encore. Une punition inutile eft toujours injufte, dit Filangieri. Rouffeau convient qu'on n'a droit de faire

mourir, même pour l'exemple, que celui qu'on ne peut conferver fans danger: il vient de dire qu'il n'y a point de méchant qu'on ne pût rendre bon à quelque chofe, & il femble en cela oppofé à lui-même s'il admet la peine de mort

Mais il ne s'agit pas feulement de favoir à quoi feroit bon le méchant; il s'agit de favort encore fi l'exemple d'une autre peine que la mort feroit affez effrayant & réprimant pour fes femblables, & s'il fuffiroit de condamner à vivre dans l'esclavage & les travaux, l'affaffin, l'empoifonneur, le parricide, l'incendiaire, dût-on tirer quelques avantages de la vie qu'on leur laifferoit dans les fers.

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M. de P. établit lui-même en principe, que la Société doit immoler le coupable, fi elle ne peut le conferver fans danger. Tout cède alors, dit-il, au repos public » & à l'utilité générale. Or il eft, pourfuit-il, un crime tellement marqué à ce » caractère, qu'on ne peut refpecter les jours du fcélérat qui l'a commis. Je veux parler de ces confpirations fecrètes, de » ces foulèvemens tumultueux qui mena» cent la Patrie, fi on ne fait à l'inftant tomber la tête des factieux ou des principaux conjurés, de tous ceux qui tien» nent dans leurs mains les fils obfcurs dont la trame eft ourdic «.

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Mais pour les autres crimes il ne nous paroît pas affez fondé à croire la peine de

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